CIEF, Congrès 2006, 29 juin: Dumitru Tsepeneag et Virgil Tanase

Index des résumés

20e Congrès à Sinaïa

25 Juin - 2 Juillet 2006

Résumés des communications

Jeudi 29 juin 2006

 

Jeudi 29 juin, 9h00-10h30

Session I. Figures énigmatiques et figures errantes dans l’œuvre de J.-M.G. Le Clézio

Président : Bruno THIBAULT

Secrétaire : Bruno TRITSMANS

« La figure du berger dans les récits de J.-M.G. Le Clézio et d’A. Dhôtel », Bruno TRITSMANS, Université d’Anvers

Cette étude se propose de cerner la figure énigmatique du berger et de retracer ses parcours dans quelques textes de Le Clézio, notamment Les Bergers et Désert, ainsi que dans l’œuvre de Dhôtel, notamment dans Ce lieu déshérité, Je ne suis pas d’ici, et Lorsque tu reviendras. Cette analyse montre d’étonnantes convergences thématiques. Avec Le Clézio, le berger, dépositaire d’un savoir élémentaire, astral et mythique, est cependant problématisé, et il côtoie la figure du pêcheur (Naman) et celle du gitan (Radicz). Avec Dhôtel, le berger est d’emblée un personnage marginalisé, coupé de tout savoir mythique, et réduit à constater de simples coïncidences et incidents. On retrouve bien, dans les deux cas, la thématique du « mythe brisé » qui est sans doute un des archétypes de la modernité. La différence entre les deux images du berger réside dans le fait que Le Clézio présente cette dérive comme une perte, qui fait l’objet d’une poétique nostalgique, voire mélancolique, et il tient à distinguer le berger de ses doubles fragilisés que sont le pêcheur et le gitan. Dhôtel semble au contraire assumer la brisure, et son berger se caractérise par sa légèreté souveraine, son jeu, voire sa ruse.

« Le portrait masculin dans le roman leclézien : de l’aliénation au mythe », Ruth AMAR, Université de Haïfa

Dans les romans lecléziens se dessinent de nombreux portraits masculins énigmatiques et problématiques, souvent très secondaires par rapport au protagoniste principal féminin. Si au début des années 60, notamment dans Le Procès-verbal et Le Déluge, Le Clézio tâchait de construire ses romans autour d’un portrait masculin, à partir de Désert, en revanche, il n’hésite plus à lui donner un rôle tout à fait accessoire. Qu’est-ce qui caractérise le rôle masculin dans l’œuvre de Le Clézio ? Et quelle est l’évolution du portrait des protagonistes mâles que nous pouvons observer ? Telles sont les questions auxquelles cette communication tentera de répondre. Il est possible d’envisager une masculinité leclézienne se développant à trois niveaux différents. Au premier niveau le personnage masculin violent et solitaire semble condamné à la marginalité et l’aliénation sociale. Au second niveau, Le Clézio entreprend à travers ses personnages masculins de s’éloigner du rôle social rigide de l’homme afin de rejoindre le modèle de l’animal et de la nature. Au troisième niveau se développe une image du « masculin mythique » représenté avec le personnage d’Es Ser par la puissance d’un regard énigmatique.

« Adoption et adaptation filmique : “Mondo” de J.-M.G. Le Clézio revu par Tony Gatlif », Bruno THIBAULT, Université du Delaware

En 1995, le cinéaste Tony Gatlif porte à l’écran la nouvelle emblématique de J.-M.G. Le Clézio, « Mondo », publiée en 1978. Ovidiu Balan, un jeune gitan roumain et immigré clandestin en France y joue le rôle principal, après que le cinéaste est parvenu à obtenir l’autorisation des autorités françaises. Dans la nouvelle de Le Clézio, Mondo est un jeune garçon énigmatique, sans famille et sans attaches, un émigré clandestin débarqué un beau matin dans la ville de Nice. Il y vit pendant quelques mois de mendicité et de petits boulots. Il y rencontre plusieurs adultes bienveillants, auxquels il pose à chaque fois sa question désarmante : « Voulez-vous m’adopter ? ». Mais la seule réponse positive viendra de Ti-Chin, une vieille femme elle-même réfugiée d’Indochine. Cette nouvelle pose clairement, au seuil des années 80, à une époque où ce thème n’avait pas encore la popularité que l’on sait, la question de l’immigration et de l’intégration des minorités en France. Nous étudierons dans un premier temps la représentation de la clandestinité dans le texte leclézien, « situation irreprésentable » par excellence, puisque l’individu n’a pas d’existence sociale reconnue. D’autre part nous étudierons les techniques filmiques et les modifications apportées par Tony Gatlif dans son scénario pour mettre à l’écran le récit leclézien.

Session II. La Francophonie roumaine : tradition et actualité

Présidente : Mihaela Şt. RADULESCU

Secrétaire : Viorica-Aura PAUS

« L’enseignement du français en Roumanie – approche historique », Viorica-Aura PAUS, Université de Bucarest

L`étude de la langue française dans l`espace roumain remonte à une tradition de plusieurs siècles. Dès le XVIIIe siècle, les jeunes boyards d`origine phanariote ont été attirés par le français appris dans leur milieu familial ou au contact des Français natifs. Le saut spectaculaire de cet intérêt est enregistré dans la première moitié du XIXe siècle lorsque les jeunes intellectuels roumains perçoivent dans l`étude du français un moyen de mettre fin à l`isolement culturel des Pays Roumains face à l`Occident. L`essor significatif de l`enseignement du français débute après l`Union des Principautés Roumaines (1859), avec des conséquences notables sur toute la vie culturelle roumaine. On constate que l`évolution de l`enseignement du français suit un cheminement progressif, à partir d`un phénomène social – langue distinctive des boyards –, vers un phénomène culturel – le rapprochement du modèle culturel français – et, enfin, vers un but éducatif généré par l`introduction du français dans l`enseignement de masse. Être francophone en Roumanie a toujours impliqué apprendre le français pour avoir accès à la culture et à la pensée françaises dans le désir de faire valoir notre propre culture dans le circuit européen.

« L’influence de la culture française sur la vie quotidienne roumaine (1850-1950) », Janine MANZANARES-MILIAN, Université de l’Ouest, Timisoara, et Josée CLET, Éducation Nationale, France

Actuellement la Roumanie reste le pays le plus francophone d’Europe centrale. Nul n’ignore la place occupée par la France dans ce pays au cours des derniers siècles. Dans cette communication, nous nous proposons de montrer l’influence de la culture française sur la vie quotidienne, le mode de pensée et le langage de la bourgeoisie et de la haute société roumaine dès le milieu du XIXe siècle. Le dandysme fut importé en Roumanie après 1830 puis les « bonjouristes » de la Révolution de 1848 introduisirent à Bucarest et à Iasi la mode de Paris, de Vienne ou de Berlin. Au départ simple imitation vestimentaire ou conception de vie, le dandysme devint peu à peu l’opposition entre les idées libérales et les principes conservateurs. L’influence française se retrouve également en architecture : grand nombre de constructions à Bucarest sont d’inspiration française ou le fruit du travail d’architectes français. Ce n’est pas sans raison que Bucarest a été surnommé le « Petit Paris ». Ses larges avenues bordées d’arbres et ses hôtels particuliers ont beaucoup contribué à cette appellation. Aujourd’hui la Roumanie reste imprégnée par des influences occidentales et françaises. Mais pour combien de temps encore ? Car tout change très rapidement à Bucarest ! Restons optimistes, ici comme dans toutes les grandes métropoles il faudra bien que classicisme et modernisme vivent en bonne intelligence.

« Francophonie universitaire roumaine et moyens actuels d’information », Malina GURGU, Université Technique de Construction de Bucarest

Privilégiant autrefois comme source d’informations la bibliothèque, les archives, le centre de documentation, la recherche scientifique (de même que la recherche tout court) peut de moins en moins se passer des services d’Internet. En contrepartie, une institution qui ne bénéficie pas d’un site Internet passe à côté d’un public international et potentiellement très nombreux. On ne saurait plus, donc, ignorer Internet. Cette communication se propose de faire un état des lieux de la présence de la francophonie universitaire roumaine sur le web sous toutes ses formes et ses manifestations.

« Francophonie et francophilie roumaines : “invariants” et évolution », Mihaela ŞT. RADULESCU, Université Technique de Construction de Bucarest

Nous nous proposons une vue historique et multidimensionnelle de la francophonie roumaine, phénomène culturel d’une longue tradition et d’une grande complexité, qui a influencé incontestablement la formule de la spiritualité roumaine. L’analyse met en évidence la spécificité de la francophonie et de la francophilie roumaines – fondées sur maintes affinités, dont la romanité constitue l’élément essentiel – et relève, au-delà de la diversité des formes de manifestation, des « invariants », certains d’entre eux paradoxaux. L’étude des « invariants » démontre que la Roumanie est le principal soutien de la culture française en Europe de l’Est et que la France continue à être pour les Roumains un pays sentimentalement privilégié. Quant aux fluctuations analysées, elles reflètent, sans aucun doute, non seulement l’évolution de la société et des mentalités roumaines, mais aussi celle des rapports de la langue et du modèle culturel français avec d’autres langues et modèles de large impact sur la société roumaine. Finalement, nous nous pencherons sur la contribution originale de certains créateurs roumains qui ont fait de la francophonie un espace de leur pensée libre et novatrice, devenant ainsi des « détonateurs » de culture.

Session III. Mythes et exotismes : ailleurs exotiques/espaces mythiques

Présidente : Karen VANDEMEULEBROUCKE

Secrétaire : Cristina-Ioanna CHILEA

« Mythe de la terre natale et fascination d’un ailleurs exotique chez Vassilis Alexakis et Andreï Makine », Cristina-Ioanna CHILEA, Université Al. I. Cuza, Iassy, et Université Jean Monnet

Les deux romanciers dont l’œuvre fait le sujet de nos recherches illustrent bien cette catégorie d’écrivains « venus d’ailleurs » selon l’expression d’André Brincourt, francophones d’élection, installés en France et dans le paysage littéraire français par amour pour la langue et la littérature françaises. Aussi bien Makine qu’Alexakis, exilés en France, restent profondément attachés à leur terre natale, l’empreinte du pays se manifestant souvent d’une manière inconsciente, à peine perceptible, par des « identisignes », évocations géographiques, culturelles ou par des « identithèmes », structures logico-grammaticales qui trahissent l’appartenance ou le positionnement par rapport à une collectivité. Nous nous proposons de voir comment l’espace, en tant que reflet d’une expérience individuelle et traduction d’une manière d’être, d’agir sur le monde, apparaît et est valorisé dans leurs textes. La Russie incarne chez Makine un espace mythique à connotations négatives qu’il oppose à un Occident merveilleux, qu’il s’agisse de la France ou des États-Unis, mais toujours décrit comme un ailleurs fascinant. En échange la situation est inversée dans les textes d’Alexakis. C’est toujours la Grèce ensoleillée, sa terre natale, qui reste exotique par rapport à une France brumeuse et sombre. Cependant, pour lui, ce sera l’Afrique et l’apprentissage d’une langue africaine, comme dans Les Mots étrangers, qui joueront le rôle d’un ailleurs envoûtant.

« Pierre Loti, le voyage en Inde », Éric FOUGÈRE, Université Paris IV

Une réalité nue grelotte avec une intensité d’abandon qui n’a d’équivalent que le tremblement par où s’insinue le paradoxe exotique. Il faut retourner le miroir en avançant l’hypothèse d’un voyage où la réalité, loin de se refléter dans l’écriture, promène un regard évasif et fuyant sur le voyageur en personne et sur ses simulacres. Il y va du temps lotien comme de l’espace indien : autant l’instant ne peut faire corps avec un présent que le passé rattrape, autant les lieux sont retranchés d’eux-mêmes et coupent ainsi toute retraite à la profondeur. Autant le réel est hypostasié dans une réalité que sa visibilité rend caduque à force de lumière. Il est donc intéressant de renverser la logique admise en considérant que le voyage exotique est non seulement constat banal, intérieur aux représentations, mais aussi conditionnel à la réalité conduite et produite. Et séduite. On est devant non ce qui serait la réalité (si la réalité pouvait parler) mais devant son effet d’apparition. Le second paradoxe exotique est chez Loti d’assumer simultanément les conditions de disparition du réel. Un concret vide, un réalisme immatériel enfantent une relation de distance intime, et contradictoire. On cherche à durer dans le temps, mais aussi, plus encore, à se maintenir au-delà de soi-même en sortant du temps. Sans disparaître.

« Le mythe sotériologique des Américains dans la Roumanie d’après-guerre », Roxana Magdalena BARLEA, Académie d’Études Économiques, Bucarest, et Petre-Tudor BIRLEA, University of East Anglia

L’Amérique en tant qu’Espoir pour des peuples entiers est un lieu commun dans la culture et civilisation moderne. « Le pays de toutes les possibilités » rappelle de nos jours des endroits symboliques des anciennes mythologies du monde – « la terre promise », « le pays des rêves »… Pour la Roumanie, ce rôle miraculeux de l’Amérique n’a pas cessé de se manifester et cela sous divers aspects. Un exemple en est le motif de « l’oncle Américain », l’expatrié revenu dans son pays d’origine, fréquent dans la littérature, la dramaturgie, la cinématographie (cf. Jean Barthes, Europolis) qui apparaît chez les Roumains, tout comme dans les autres cultures. Il existe pourtant des spécificités nationales, relevant de la situation géopolitique et économique et des mentalités. Dans cette communication nous nous proposons d’analyser les particularités roumaines du mythe du Big Brother. L’épisode le plus douloureux dans lequel ce mythe se manifeste a lieu après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, quand le pays, trahi par le Traité de Yalta, sous la « protection » de l’Union Soviétique, garde l’espoir que le « Grand Frère » américain viendra un jour le sauver. Mais il n’est jamais venu… Nous allons détailler les formes sous lesquelles cette situation s’est manifestée concrètement et la manière dont cela se reflète dans la littérature, dans les études historiques, dans la publicité et surtout au niveau du langage. Le mythe n’est pas disparu après la chute du Mur. Aujourd’hui la majorité de la population soutient, avec le même espoir des bénéfices qui vont la sauver, les efforts d’intégration dans les structures de l’OTAN. De nouveau, les déceptions ne manquent pas… Même si la Roumanie se considère un pays européen, sous aspect ethnique et géographique, et fait des efforts afin de s’intégrer également du point de vue géopolitique, le Mythe de l’Amérique continue à l’attirer.

« Les Lettres parisiennes de Georges Rodenbach : contestation ou confirmation du mythe nordique ? », Karen VANDEMEULEBROUCKE, Université de Leuven

Comment le mythe nordique, donné comme la fusion entre le prestige pérenne de la langue française et l’inspiration revigorante de l’âme flamande, a-t-il pu imprégner la jeune littérature belge au tournant du XIXe siècle ? S’agissait-il de réacclimater au contexte belge des perspectives initialement conçues dans le cadre de relations franco-allemandes (songeons à De l’Allemagne, 1814) ? Nous entendons, dans cette contribution, développer l’hypothèse suivante. Le mythe nordique, qui n’a pas encore vraiment pris de poids en 1850, ne commence à intéresser les Belges qu’au moment où les Français s’en emparent à partir de 1880 à des fins de positionnement d’une nouvelle province littéraire. Le mythe nordique, acclimaté en Belgique à partir de la France, devient ainsi l’expression d’une attitude entièrement mimétique dont il conviendra de scruter de près les tenants et aboutissants. Nous nous y prendrons à partir d’une analyse des Lettres parisiennes de Georges Rodenbach (1855-1898), poète et critique flamand francophone qui, de Paris, envoie en Belgique des lettres hebdomadaires sur « cette vie de Paris, si compliquée et si étrange » pour en extraire « ce qu’elle a de vraiment spirituel, sérieux ou édifiant ». Il s’engage à « parler art devant un public choisi ». Chez Rodenbach, le Nord devient un métonyme appelant spontanément un réseau d’images et d’expressions, qui dépassent le domaine géographique, et ceci afin de mieux répondre à une attente pré-formée par le modèle français hérité de Mme de Staël. Loin d’être contesté ou corrigé, le mythe nordique se trouve au contraire conforté, et par-delà se trouve mieux assuré le positionnement belge au sein de la littérature française, fût-ce à ses marges.

Session IV. Les langages du corps dans la littérature canadienne d’expression française

Présidente : Elvire MAUROUARD

Secrétaire : Lélia YOUNG

« Analyse textuelle de L’Homme papier de Marguerite Andersen », Lélia YOUNG, Université York

Dans cette œuvre la narratrice défie les conceptions établies au moyen d’une métaphore sublime qui est celle de l’homme papier. Le titre alléchant aguiche le lecteur qui veut en savoir plus sur le comparant et le comparé de la figure de style. Ce texte qui se veut roman est pince sans rire. La critique a dit qu’ici « l’humour cherche à adoucir les blessures de la vie. » Marguerite Andersen trouve là un moyen génial pour exorciser ses hantises et aussi remettre en question certains stéréotypes et acquis culturels. Dans ce travail, je chercherai à voir comment se manifeste la relation homme-femme dans l’œuvre de Marguerite Andersen. J’essayerai de comprendre comment l’impact situationnel a influencé le développement du récit et les diverses problématiques qu’il soulève. Mais aussi, j’aborderai l’œuvre dans sa matérialité. En d’autres termes, je verrai comment l’auteure utilise les moyens cohésifs et stylistiques pour alimenter la cohérence microstructurelle (rapports entre les phrases) et macrostructurelle (rapports entre les paragraphes) de l’unité textuelle. Dès le début la cohésion lexicale, activée par le procédé de répétition et l’hyponymie, fait progresser le récit vers l’acte d’écrire. Cette œuvre, qui est une tentative de récupération d’un amour volé ou détruit ainsi qu’un voyage dans la découverte et l’accomplissement de l’identité féminine, joue habilement sur la polysémie. Malgré tous les obstacles de la vie, la narratrice essayera d’écrire sur un homme en entretenant un dialogue constant avec ses lecteurs imaginaires. La solitude est rompue, le vous déictique s’adresse aux hommes, les interpelle et les provoque. Un dialogisme constant et révélateur habite ce corps vêtu de mots, ce corps texte qui se veut recommencement du couple.

« Les tumultes du corps dans la poésie de Lélia Young », Elvire MAUROUARD, Université Paris IV

Nous étudierons les humeurs du corps dans l’œuvre de Lélia Young. En effet, cette thématique est omniprésente dans toute la poésie de l’auteure et le lecteur découvre tout à coup qu’elle signifie des choses qui transpercent la stricte temporalité. Dans Pygmalion ou la Statue animée de Deslandes, on trouve une réécriture ironique du cogito cartésien. C’est par l’apprentissage du plaisir, au contact des baisers de Pygmalion sur son corps que la statue prend courage d’elle-même. La poésie apparaît alors comme la dernière ligne de défense contre la désaffectation du monde, comme le moyen d’épaissir des signes devenus transparents. Une mystérieuse accumulation de sensations passées a développé chez la poétesse, une habitude émotionnelle qui se manifeste par un « frémissement », une résonance à certains thèmes privilégiés : l’amour des êtres et des paysages, la tendresse, le corps amoureux ou ivre. Entre l’outil et la matière, Lélia Young trouve sans effort les mots qui frappent, les expressions vivantes, et sa phrase bien construite, coule harmonieuse et rythmée.

 

Jeudi 29 juin, 10h45-12h15

Session I. Nouvelles dimensions de la francophonie en Roumanie

Présidente : Mariana IONESCU

Secrétaire : Ileana MEHELEANU

« Commencements de la francophonie et de la francophilie en Roumanie », Claudiu Eduard BRAILEANU, Bibliothèque Départementale, Panaït Istrati, Braila

Jusqu’à quel point peut-on considérer la Roumanie comme un pays francophone ? Pourquoi les Roumains ont choisi à aimer un pays qui était loin, au point de vue géographique, de leurs régions, limitées à une certaine époque par trois empires : autrichien (puis austro-hongrois), russe et ottoman ? Comment expliquer cette diffusion de la langue française au sein d’un peuple passant pour « balkanique », sinon tout-a-fait « oriental » ? Aucun désappointement – et ils n’ont pas manqués ! – n’a pu faire perdre le sentiment que « chaque Roumain a deux patries », la seconde étant la France. Ajoutons encore que quelles que fussent les alliances politiques lors des guerres intervenues pendant l’histoire de la Roumanie, alliances imposées par des raisons qui n’avaient rien à faire avec le sentiment, la francophilie des Roumains n’a jamais été éclipsée. Par conséquent, les commencements de la francophonie et la francophilie en Roumanie présentent un caractère spécifique par rapport aux formes qu’elles revêtent dans d’autres pays du monde. Tâchant de mettre en lumière ce trait particulier, notre communication a la prétention de présenter une vue d’ensemble de ce caractère spécifique, susceptible de servir à une future recherche synthétique d’envergure, qui ne renoncerait cependant pas, pour autant, à l’analyse. En effet, l’image qui s’en dégage, même incomplète, rend toutefois compte de certaines interférences à même d’intéresser au même titre le lecteur ou l’auditeur roumain que celui français ou francophone.

« De l’enseignement bilingue vers les filières francophones », Christina ZAHARIA, Lycée bilingue George Calinescu

Cette communication portera sur un projet de coopération franco-roumain ayant pour but le renouvellement de l’enseignement bilingue en Roumanie. Mis en place en 2003 par les Services de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France et par le Ministère Roumain de l’Éducation et de la Recherche, le projet intitulé « De l’enseignement bilingue vers les filières francophones » représente un axe prioritaire de la coopération éducative franco-roumaine. Ce projet visant l’harmonisation progressive des cursus et des certifications s’inscrit, d’une part, dans la participation de la Roumanie à la construction de l’espace éducatif européen, d’autre part, dans la communauté des pays de la francophonie en développant « autrement » l’apprentissage du français et l’accès aux cultures francophones. Les finalités du projet concernent, entre autres, l’amélioration du niveau des compétences linguistiques des élèves des sections bilingues francophones, l’intégration et la réussite des anciens élèves des sections bilingues dans les filières francophones, ainsi que la rénovation de l’enseignement bilingue francophone en Roumanie (programmes scolaires, certifications, formation initiale et continue des enseignants, statut des enseignants etc.). Vu son caractère innovateur, le projet a prévu d’abord d’impliquer dix lycées pilotes dans la conception et l’expérimentation de nouveaux contenus dès la rentrée 2003-2004. À présent, une vingtaine de lycées l’ont adopté, suite aux excellents résultats obtenus par les apprenants roumains.

« L’enseignement du FLE et les échanges scolaires », Sanda SIMION, Lycée Mihai Eminescu

L’enseignement du français en Roumanie remonte vers la fin du XVIIIe siècle. À partir de 1918, le français devient matière obligatoire dans toutes les écoles roumaines. Au cours du régime communiste, l’enseignement du français a suivi les programmes scolaires officiels et les orientations linguistiques de l’époque, se donnant comme buts principaux l’acquisition de la grammaire (basée surtout sur la traduction) et l’étude diachronique de la littérature française. Par contre, la composante communicationnelle y avait peu de place à cause du manque de contact avec les natifs francophones. L’ouverture de la Roumanie vers le monde après 1989 a permis de repenser les priorités de l’enseignement du français. Dans ce sens, les échanges scolaires avec des établissements de France jouent un rôle très important. Notre communication portera justement sur un tel programme mis sur pied il y a dix ans par le lycée où j’enseigne et un lycée privé français. Le contact direct avec les locuteurs français contribue au perfectionnement de la compétence orale des professeurs roumains, ainsi qu’à un échange enrichissant de pratiques pédagogiques. Quant aux élèves, hébergés dans des familles d’accueil, ils bénéficient de l’apprentissage de la langue telle que pratiquée dans des situations de communication concrètes. À la fin de leur séjour linguistique, ils réalisent un projet correspondant au thème de recherche de chaque échange. La perspective de l’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007 devient un facteur encore plus motivant pour l’enseignement et l’apprentissage du français, tels qu’envisagés par différents projets scolaires européens.

« L’Alliance Française – pilier de la francophonie en Roumanie », Ileana MEHELEANU, Lycée bilingue George Calinescu

En Roumanie, pays francophone et francophile depuis le XIXe siècle, les Alliances françaises ont eu une présence active entre les deux guerres mondiales. Fermées pendant le régime communiste, elles renaissent, non sans difficulté, après la révolution de 1989. À présent, les Alliances françaises, dont la raison d’être est la promotion de la francophonie, ont ouvert leurs portes dans cinq grandes villes roumaines. Ancienne société culturelle franco-roumaine fondée en 1990 à la suite d’un don en livres fait par la ville de Brest, l’Alliance Française de Constantza, approuvée officiellement en 1994, participe au nouveau dialogue culturel mondial grâce au développement de trois volets majeurs. Le volet pédagogique y est largement représenté : cours de français général, préparation en vue d’examens variés, cours de français à objectifs spécifiques, préparation de l’interview Canada et beaucoup d’autres. Un groupe de 12 professeurs ayant suivi plusieurs stages en France et en Roumanie prennent en charge ces cours de formation et la préparation des tests et examens. Le volet culturel, témoignant de l’ancestral intérêt des Roumains pour les différentes traditions culturelles, facilite l’ouverture du pays vers le monde francophone : projets communs des danseurs de l’Opéra de Paris et du Théâtre de Ballet de Constantza, Salon International de la BD Francophone, chorales de France et de Roumanie, Fête de la musique, etc. Le volet humanitaire, également riche en activités variées (projets de jumelage, accueil des navires militaires arrivés à Constantza), confirme l’importance de l’Alliance Française, pilier de la francophonie au bord de la Mer Noire.

Session II. La génétique du texte littéraire

Président : Gérard ETIENNE

Secrétaire : Samira SAYEH

« Collision entre Histoire, lyrisme et fiction : une autopsie de La Grande maison », Samira SAYEH, University of Kansas

À sa parution, La Grande maison (1952) de Mohammed Dib engendra de nombreuses critiques dont celles relatives au rôle de l’écrivain et à son engagement politique. Toutefois, à l’ombre de la toile poétique soigneusement tissée par l’écrivain, c’est l’omniprésence étouffante du milieu qui ressort puisqu’il conditionne chacune des actions et des paroles des personnages. Déterminés par leur milieu, la grande maison de Tlemcen, et la politique coloniale française (un sujet que Dib effleure timidement), les protagonistes de La Grande maison subissent la misère sans jamais pouvoir la nommer, et encore moins lui échapper. Pour cette communication je me propose de rouvrir le premier texte de Dib à la lumière scientifique, littéraire et anthropologique afin d’analyser les jonctions entre l’art, la science et le politique. Par le biais d’une étude du rapport entre (1) l’image carcérale et avilissante de Dar Sbitar, la grande maison où évoluent les personnages fictifs de Dib, et (2) son reflet artistique, La Grande maison où se libère la pensée monstrueusement belle et poétique de l’auteur, je m’interroge sur la contribution du poétique et de l’esthétique sur le politique. Jusqu’à quel point l’opprimé peut-il se montrer lyrique ? Où commence et s’arrête l’imagination de l’écrivain ? Ou plus simplement, comment Dib parvient-il à intégrer sa petite histoire au sein de l’Histoire des peuples colonisés ?

« Ré-écriture postmoderne de la littérature et la production du sens. Particularités de la poésie roumaine postmoderne », Eugenia Simona ANTOFI, Université Dunarea de Jos, Galati

Les particularités de la littérature de chaque époque peuvent être identifiées grâce aux règles d’élaboration et de fonctionnement du discours littéraire. À son tour, le discours littéraire obéit à l’institution littéraire, aux stratégies littéraires impliquées par la convention esthétique de l’époque et que le discours critique commente. Et, chaque fois, le processus de la représentation littéraire met en œuvre « l’illusion de réel » par les « effets de réel » qui déterminent, au niveau du texte, la « figure » de l’auteur, comme énonciateur originaire. De ce point de vue, la pratique et la théorie postmodernes de la littérature mettent en question, au niveau de la littérature roumaine et surtout au niveau de la poésie, des concepts spécialisés ; autrement dit, des concepts intégrés dans une phénoménologie du langage et du monde. La poésie postmoderne roumaine est prosaïque, biographique, réaliste, quotidienne. Il s’agit d’un nouveau programme poétique qui implique la récupération des styles poétiques désuets par paraphrase, par parodie ou par citation, l’autoréférentialité et la diversité des formules d’écriture. Sans métaphores et sans lyrisme, l’ironie, le comique, le grotesque et le dérisoire deviennent, dans le discours poétique postmoderne, des instruments de la production du sens et des « réalités » poétiques.

« La génétique littéraire ou l’aspect multiforme de la création », Gérard ÉTIENNE, écrivain

Auteur de 25 titres (poésie, romans, nouvelles, essais, pamphlets) je me propose, dans cette communication, d’étudier les multiples formes de la création littéraire dont les paramètres échappent hélas aux critiques littéraires et pire encore aux théoriciens de la littérature. Pour cela je poserai comme thèse de ma démarche les questions des étudiants inscrits au doctorat (Allemagne, Italie, France, Canada) qui m’ont amené à risquer plusieurs hypothèses d’abord sur la problématique existentielle du sujet (consciente-inconsciente) ensuite sur l’esthétique de l’œuvre qui correspond à l’originalité du sujet de l’œuvre en question. On verra que le processus de production, dans certains cas, répond adéquatement à la génétique de l’œuvre conçue et qu’il y a même un parallélisme entre les structures profondes et les structures de surface.

Session III. Genres littéraires et traduction en francophonie I

Président : Jean-Marc GOUANVIC

Secrétaire : Iulia MIHALACHE

« La pratique interculturelle de la traduction », Iulia MIHALACHE, Université du Québec en Outaouais

La chute du communisme en Europe centrale et en Europe de l’Est a réorganisé les rapports entre le discours et le pouvoir social, avec un effet direct sur l’esprit des gens et sur la pratique de l’écriture, du dialogue social et de la traduction. Dans ce contexte, qui a transformé à la fois le politique et la pensée, l’analyse des nouvelles pratiques de traduction fait apparaître les stratégies discursives qui ont favorisé l’insertion, le développement et la manipulation des modèles mentaux de situations sociales : notamment le modèle de l’« Occident » (Europe de l’Ouest, États-Unis) vu comme un ensemble d’événements sociaux, économiques ou politiques et considéré, par conséquent, dans sa dimension historique et rhétorique. La traduction surgit non seulement comme accès à un nouveau savoir, mais aussi comme un actant social qui agit sur les cultures et les sociétés. La traduction véhicule et rend dominantes certaines représentations et, par l’utilisation de stratégies discursives spécifiques, elle construit des modèles mentaux privilégiés, analysables dans le discours. Nous présenterons ici diverses représentations postcommunistes du modèle occidental, à partir d’un corpus de traductions en roumain en provenance de l’Occident, et montrerons comment différentes approches critiques pourraient éclairer l’analyse de la circulation des idées et du transfert des représentations entre l’Occident et un espace postcommuniste.

« Procédés d’infantilisation de Gulliver en France au XIXe siècle », Benoit LÉGER, Université Concordia

De la réédition de Hiard en 1832 de la traduction des Voyages de Gulliver par l’abbé Desfontaines (1727) à la version de Jules Janin publiée en 1862, l’infantilisation n’est jamais exclusive : même si certaines révisions du texte se présentent ouvertement comme des adaptions ou des abrégés, la plupart des grandes versions du XIXe siècle restent mixtes. Préfaciers, éditeurs et prétendus retraducteurs affirment parfois s’adresser aux parents, ce qui indiquerait qu’ils visent les enfants ; le texte qu’ils soumettent aux parents est, pourtant, le plus souvent, encore saturé d’allusions scabreuses ou politiques qui ne sauraient intéresser les jeunes lecteurs et qui devraient même inquiéter les parents. Même les célèbres illustrations de Grandville, constamment reproduites après 1838, ne s’adressent pas exclusivement aux enfants. Dans le cadre de cette communication, on tentera de montrer comment la lecture ethnocentrique et hypertextuelle de certains réviseurs de la version de Desfontaines cherche à transformer le brûlot swiftien en un conte aseptisé, destiné à un lectorat bourgeois soucieux d’éviter toute idée philosophique inspirée des Lumières. On se demandera en conclusion jusqu’à quel point ils y arrivent.

« La traduction littéraire, terrain privilégié du dialogue interculturel. Les romans d’Hervé Bazin et de George Calinescu », Silvia BURDEA, traductrice

Les traductions littéraires ont toujours servi de pont entre deux pays. Elles ont le mérite de faire connaître la valeur artistique de l’œuvre originale et d’établir un dialogue spirituel entre l’écrivain et le lecteur. En ce qui a touché à la Roumanie, dont la langue n’est pas de circulation internationale, la traduction littéraire contribue à l’introduction et à la hiérarchisation des valeurs liées au patrimoine de l’humanité. Dans ce pays, le français a été la première langue de communication, et cela depuis le XVIIIe siècle, époque des premières traductions en roumain de la littérature française. À partir d’une analyse des romans d’Hervé Bazin et de George Calinescu, l’étude relève des similitudes dans les œuvres des deux grands écrivains sur le thème de la chronique socio-familiale, ainsi que l’intérêt du lecteur qui découvre à travers l’écriture deux univers, le français et le roumain, et une période, la seconde moitié du XXe siècle, où le rideau de fer empêchait complètement la communication entre l’Occident et les pays de l’est de l’Europe. Après la chute du mur de Berlin, le roman et sa traduction ont pu retrouver leur fonction qui consiste à faire connaître à l’ouest les réalités socio-historiques des pays de l’est, et réciproquement. Car la collaboration francophone est un terrain privilégié pour la communication et le dialogue culturels franco-roumains.

Session IV. Mythes et exotismes : théories et outils d’analyse

Présidente : Roxana-Magdalena BÂRLEA

« Les Carpathes. Pour une mythologie confuse », Corina MOLDOVAN, Université de Cluj

Notre démarche part de l’affirmation de Jean-Marc Moura, dans L’Exotisme fin de (XXe) siècle (Presses Universitaires de France, 2003), c’est-à-dire que : « l’exotisme est la totalité de la dette contractée par l’Europe littéraire à l’égard des autres cultures, l’usage esthétique de ce qui appartient à une civilisation différente ». En même temps certains mythes doivent être sortis de la sphère des idées appartenant à un espace purement poétique et remis dans le contexte socio-social qui les a créés. Dans cette perspective nous envisageons une lecture particulière du roman de Jules Verne Le Château des Carpathes et en particulier d’un mythe présent, le vampirisme. La confusion qui l’entoure de même que la fascination qu’il suscite nous a fait penser à une analyse à double sens : d’un côté la valorisation esthétique du mythe, sa valeur dans le roman et dans l’ensemble de l’œuvre de Jules Verne, de l’autre une vue « roumaine », qui présente les sources ethnographiques et sa valeur dans la mythologie est-européenne en même temps que les enjeux de la résistance de ce mythe dans la perspective de l’union européenne.

« Les bases mythologiques de hydronymes européens », Gheorghe-Petre BÂRLEA, Université Valahia de Targoviste, et Roxana-Magdalena BÂRLEA, Académie d’Études Économiques, Bucarest

Dans les mythologies de tous les peuples le motif Magna Mater est le motif de la fertilité, qui est associé à la symbolisation de l’eau. Dans notre communication, nous nous proposons de montrer que dans la hydronymie européenne, on conserve des réminiscences des anciens mythes, plus précisément, d’un fond mythologique commun, qui couvre tout l’espace indo-européen. Notre méthode de recherche est celle de la mythologie linguistique, telle qu’elle a été conçue par ses initiateurs, Max Muller, Adalbert Kuhn, Michel Bréal, Bogdan Petriceicu Hasdeu, Lazar Sainean, avec les modifications apportées par leurs successeurs, Georges Dumézil, Pierre Grimal, Pierre Brunel, etc. Le point de départ de notre recherche est le personnage mythique polymorphe Anna Perenna, qui apparaît dans toutes les mythologies du monde. Toute une symbolisation zoomorphe, astrale, etc. se retrouve dans des hydronymes comme Epona, Rhiannan (Rhin), Macha, Somes, etc., ainsi que dans les rituels aquatiques magico-religieux qui persistent encore dans les pays du sud-est européen, et dans beaucoup de pays des autres continents. Tous ces aspects relèvent de la philosophie des cycles de la vie et de la mort, du passage éternel du temps, de la transformation des choses et des êtres, philosophie qui, dans son essence, n’a changé ni dans le temps, depuis les époques les plus éloignées jusqu’à nos jours, ni dans l’espace, d’un peuple à l’autre. C’est la théorie des universaux de la pensée et de la sensibilité humaine qui justifient, plus que les évidents intérêts pratiques modernes, les tendances d’unification, jusqu’à l’échelle de la globalisation.

 

Jeudi 29 juin, 14h15-15h45

Session I. Expressions artistiques

Présidente : Doina PUNGA

Secrétaire : Vincent MORRISSETTE

« L’identité québécoise en chansons depuis la Révolution Tranquille », Vincent MORRISSETTE, Fairfield University et Sacred Heart University

Depuis les années soixante les Québécois chantent l’identité qu’ils ont toujours rêvée. À bas l’idée d’un peuple obéissant aux autorités ecclésiastiques, soumis à un gouvernement forcément anglophone, ou victime de forces économiques, politiques et intellectuelles qui les ont toujours dépassés. Vive un Québec libéré de toutes les chaînes qui les retiennent depuis plus de trois cents ans ! Ce sont les compositeurs et les poètes lyriques ainsi (bien sûr) que les interprètes de la chanson québécoise qui entreprennent de formuler, de refléter et d’affirmer cette identité en voie d’épanouissement. L’intervenant et les participants analyseront et, dans la mesure du possible, écouteront certaines chansons clefs de cette période décisive dans l’histoire identitaire du Québec.

« Livres objets en français et en roumain. Comment travailler avec des textes de Ionesco, Beckett, Dinu Flamand, Agota Kristof et les Dadaïstes Urmuz et Tristan Tzara », Anka SEEL, artiste/peintre

« Les peintres roumains en dialogue avec la spiritualité française », Doina PUNGA, Musée National d’Histoire de Roumanie

L’attachement des Principautés Roumaines pour la culture française, comme valeur de la spiritualité européenne, est né sur le fonds des transformations qui ont eu lieu au début du XIXe siècle en marquant la voie vers l’apparition de la nation roumaine moderne. À partir du XIXe, les deux cultures, française et roumaine, allaient se rencontrer en permanence dans le creuset de la création. Et, si la langue française, en tant qu’expression du patrimoine immatériel, constitue un élément essentiel de cette communion, l’image artistique comprend des témoignages concrets d’une relation complexe dont l’histoire compte déjà deux siècles. Si la construction de l’État moderne et des principales institutions a suivi le modèle français, la contribution de la France a certainement été décisive pour l’histoire de l’art roumain moderne. Dans cette atmosphère d’émulation artistique, les grands noms de la peinture roumaine moderne se sont formés : Nicolae Grigorescu (1838-1907), Ioan Andreescu (1850-1882), Ştefan Luchian (1868-1916). Suivant les coordonnées établies par les trois grands peintres roumains, d’autres jeunes talents choisirent la France pour y étudier et pour assimiler la grande diversité des idées qui animaient la vie artistique parisienne. Theodor Pallady, ami d’Henri Matisse, Gheorghe Petraşcu, Nicolae Dărăscu, contribuèrent à l’extraordinaire fleurissement de la peinture roumaine du XXe. À une époque mouvementée, où des écoles, des courants et des tendances se confrontaient à de véritables polémiques, la voie de l’école roumaine de peinture s’éclaira dans ses rapports étroits à la peinture française, en contribuant au parachèvement et à l’accomplissement de l’esprit européen.

Session II. Passages

Présidente : Françoise NAUDILLON

Secrétaire : Gabrielle RICCIARDI

« Passages couverts et galeries du XVIIIe siècle à nos jours », Gabriella RICCIARDI, Pacific University

Entre 1786 et 1860 une cinquantaine de passages couverts et galeries furent construits à Paris. Les passages couverts, partie intégrante de la ville et de la vie urbaine, occupent une place importante dans le paysage architectural du XIXe siècle et sont essentiels pour comprendre la naissance de la bourgeoisie et la révolution industrielle. Ils ont donc joué un rôle fondamental dans notre compréhension du siècle dernier et dans notre perception de la ville et de nos rapports avec une réalité urbaine qui garde les signes du temps, s’ouvre à la lecture et, témoignage du passé, nous démontre l’avenir. En tant que lieu de raccord, de liaison, les passages représentent la vie et la compréhension humaine grâce à ce lien qu’ils établissent entre le passé et le futur. Les passages couverts où l’extérieur devient intérieur sont comme un texte intérieur qu’il faut explorer et dévoiler pour comprendre le rapport entre l’individu et la collectivité, le monde intérieur et la réalité extérieure, le monde de l’expérience. Symboliquement parlant, traverser le seuil d’un passage c’est traverser l’étendue de la vie et de l’Histoire, qui est constituée par le passé, le présent et le futur : le seuil de l’expérience. Les passages donnent à la mythologie de la ville une dimension historique. Les passages et leur évolution constituent un commentaire important sur les derniers deux siècles de l’histoire de la ville.

« Passages génériques : le polar africain et la ville », Françoise NAUDILLON, Université Concordia

L’apparition du genre policier en Afrique depuis une trentaine d’années s’inscrit dans un contexte politique postcolonial et d’interrogations sur les devenirs de ces sociétés. Le roman policier – le polar – peut alors être considéré comme une mise en texte et en fiction des pratiques endoréiques des sociétés en ce qu’il prétend mettre au jour le secret – criminel – des protagonistes et de la société dont ils font partie. L’auteur de polars serait celui qui pratique une sorte d’autoscopie sociale du crime et de la criminalité en en donnant la genèse et les procès. La plupart des romans policiers que nous présenterons se situent dans la ville. Il faut distinguer les polars de la ville africaine de ceux situés dans les marges des grandes villes européennes ou nord américaines. Les représentations de la ville importent pour l’étude des processus d’inclusion et d’exclusion notamment parce que le polar interroge par exemple les enjeux politiques, sociaux, culturels et épistémologiques de l’ethnicisation de l’autre quand il a pour cadre les banlieues et les populations migrantes en décrivant les trajectoires sociales et spatiales, les expressions communautaires, les processus identitaires et les formes d’hybridation voire de créolisation des porteurs de signes ethniques. Il faudrait mettre en parallèle ces représentations avec celles des villes africaines pour ce qu’elles révèlent des tensions communautaires et culturelles sur fond de mondialisation. Nous postulons que ces observations et schémas sociologiques sont au cœur de la poétique du roman policier africain et que l’approche sociologique (Lahire, 2005, voir notamment le chapitre sur Simenon) peut rendre compte de cette originalité et de cette spécificité. Notre deuxième postulat est qu’au niveau idéologique, le roman policier se veut une réponse aux discours scientifiques et savants (ethnologie, anthropologie) tenus sur les sociétés africaines en période coloniale et postcoloniale et que cette dimension – dont il faut aussi interroger l’attrait commercial (exotisation du polar) – est aussi constitutive d’un projet auctorial qui veut contribuer à l’approfondissement du même, du soi et de l’Altérité (anthropologie inversée).

Session III. L’« Onirisme esthétique », courant littéraire roumain aux résonances francophones I (Virgil Tanase)

Président : Nicolae BÂRNA

Secrétaire : Georgiana LUNGU BADEA

« Au delà des circonstances politiques et onirique, un portrait d’écrivain : Virgil Tanase », Georgiana LUNGU BADEA, Université de l’Ouest de Timisoara

Il est écrivain et, évidemment, il fait de la littérature. Exilé, dissident politique, réfugié, révolté ? Ce ne sont que des appellations circonstancielles. Virgil Tanase refuse constamment l’étiquette d’« écrivain dissident » – compromis inacceptable ! – et l’engagement de sa littérature, et il renforce ses affirmations par le souci de fidélité aux principes de création promus par les chefs de file du groupe onirique, Dumitru Tsepeneag et Leonid Dimov. Par une suite logique, sa littérature n’exclut pas le côté événementiel, même s’il récuse, à l’instar des autres oniriques, le réalisme vieillot et l’engagement. Chercher à comprendre la littérature de Tanase, c’est tenter de apprendre et de comprendre ce qu’est l’onirisme roumain aussi bien par rapport aux courants littéraires français et/ou francophones que par rapport à la littérature universelle. Tout comme leurs précurseurs – romantiques, symbolistes, dadaïstes, surréalistes –, les oniriques roumains croient appartenir à une orientation littéraire et théorique particulière. Sans insister expressément sur l’originalité indéniable des écrivains oniriques, nous remarquons le style propre et la conception romanesque audacieuse de Virgil Tanase. Celui-ci nous offre sa vision du monde, une vision humanisée et onirique (*onirisée ?), métamorphosée en littérature. Dans un roman des mémoires fracturées – car une certaine chronotataxie s’érige en cicérone de lecture –, qui a la conscience de soi, par son topos réel, identifiable, et son ontos riche de significations, Zoia – du grec zoi « vie » –, écrit et paru en roumain (2003), Tanase développe des perspectives fluides, des angles multiples. La manipulation textuelle, grâce aux démarcations et aux marques des plans temporels, rétrospectif, prospectif et onirique, entraîne le lecteur dans la quête d’identité à travers l’exil, le rêve, les aller, les retours, les détours, et tout cela afin d’esquisser le portrait d’une âme collective à la dérive. De cette foule fourmillante, ce n’est que par l’antiphrase qu’on pourrait se distinguer. Le créateur pareillement.

« Virgil Tanase et le rêve inventé », Marian Victor BUCIU, Université de Craiova

Après Vintila Ivanceanu et Dumitru Tsepeneag, Virgil Tanase (1945) est le troisième écrivain onirique roumain (le quatrième sera Sorin Titel) qui se soit fait connaître à l’étranger, notamment en France. Le prix qu’il a dû payer pour que cela soit possible a été de se résigner à être inconnu dans son pays d’origine, c’est à dire en Roumanie, jusqu’à la chute du régime communiste. C’est après 1989 qu’il publiera pour la première fois un livre en Roumanie. Mais, à cause des nouvelles conjonctures politiques et culturelles caractérisées soit par l’ignorance, soit par une certaine politique esthétique, Virgil Tanase n’y est toujours pas considéré à sa vraie valeur littéraire. Par l’intermédiaire de ses proses courtes (qui n’ont été incluses dans aucun de ses livres publiés en Roumanie), il s’est approprié l’espace de la réalité et de l’écriture onirique ; cet espace était en grande partie autonome, malgré la présence de quelques éléments, participant de l’imaginaire, comme les aspects picturaux, la théâtralité et la musicalité, que nous retrouvons chez d’autres prosateurs oniriques roumains. Le rêve inventé, écrit, textualisé, en tant que forme maximale de la liberté, non seulement ontologique, mais aussi stylistique, envahit la réalité et, en même temps, écarte l’irréalité imposée par le dogme idéologique du réalisme socialiste (à la fois dans sa variante hard, anti-esthétique, et dans sa variante plus récente, soft, quasi-esthétique). En apparence, le rêve textualiste détourne le référent, la réalité historique. Mais en réalité, il en préserve l’essence non dégradée. Cette manière d’écrire sauvegarde, d’un côté, l’authenticité esthétique de l’œuvre, attestée par une poéticité novatrice qui n’étouffe pas le talent individuel, et, de l’autre côté, l’authenticité historique, existentielle, pré-esthétique. Paradoxalement, l’onirisme esthétique structurel conserve l’informe de la vie beaucoup mieux que le réalisme, toujours soumis à l’idéologie. Dans l’œuvre de Virgil Tanase, il y a un entrelacement de rigueur et de fantaisie, d’hédonisme et de bizarrerie, de jeux et de gravité, de réflexivité et de relativisation, de subtilité et de franchise.

« Passages », Dumitru TSEPENEAG, écrivain

Passages – un texte lorsqu’il passe d’une langue à l’autre reste-t-il le même ? Et quand le passeur est l’auteur lui-même que se passe-t-il ? Virgil Tanase, une fois en France, n’a pas attendu longtemps pour se mettre à écrire dans sa langue d’adoption. Pour se faire la main il a eu l’idée d’utiliser des textes déjà écrits en roumain et de les transposer en français. Ce n’était pas une traduction, plutôt une réécriture. Dans ma communication, je vais essayer de théoriser ce passage d’une langue à l’autre, qu’il s’agisse d’une traduction ou d’une transposition, tout en m’appuyant sur les textes.

« Onirisme et témoignage chez Virgil Tanase », Nicolae BARNA, Institut d’histoire et théorie littéraires G.-Calinescu, Bucarest

L’« onirisme esthétique » (ou « onirisme structural ») est un mouvement littéraire roumain, qui s’est coagulé dans les années soixante et soixante-dix du XXe siècle, comme une réaction d’opposition de quelques jeunes écrivains à l’égard de l’art officiel de l’époque, du soi-disant « réalisme socialiste », art de propagande et rétrograde esthétiquement. Les résonances francophones de ce mouvement roumain – en fait, véritable courant littéraire – sont à double sens : influencés, dans leur formation et dans leur cheminement artistique, par la littérature et la culture françaises, des tenants de l’onirisme – exilés en France – sont devenus écrivains français également. Dans leurs œuvre en français, on perçoit les traces et de l’onirisme esthétique roumain, et de leur biographie roumaine. Virgil Tanase est un de ces écrivains qui, dans son œuvre, neutralise ce qui pourrait sembler d’irréductibles oppositions : l’auteur a changé de pays, il a changé de langue d’expression et de cadre de vie, et ses livres français portent les marques de sa double identité. Notre approche, centrée sur son roman Ils refleurissent, les peupliers sauvages, tente d’examiner le fécond métissage scriptural entre onirisme et témoignage, entre espace (culturel et réel-historique) roumain et français, entre les prouesses du style et de l’imagerie fantastique et, respectivement, un « message » humaniste et moral de haute tenue.

Session IV. Voix roumaines

Présidente : Aurélia ROMAN

Secrétaire : Natania ÉTIENNE

« Tristan Tzara et le Dadaïsme : de la Roumanie à Paris », Maria TRAUB, Neumann College

Le surréalisme, qui est bien connu, a des racines dans le dadaïsme. Tristan Tzara, un fils de la Roumanie, est un des fondateurs du mouvement Dada, un mouvement du nouveau dans l’art au début du XXe siècle. Ce mouvement de fracture avec la tradition a attiré des artistes de divers domaines comme Marcel Duchamp et Filippo Marinetti, des écrivains comme André Breton, Paul Éluard, et Louis Aragon. Leurs rencontres et réunions ont produit un impact très fort sur la direction de la pensée dans l’art, spécialement l’art du langage. Cette intervention jette un regard sur les origines du mouvement, sur la contribution de Tzara, et sur l’impact du Dadaïsme sur les valeurs modernes.

« Cioran entre le cercle et l’horizon : une fêlure métaphysique », Aurélien DEMARS, Université Jean Moulin Lyon III

La philosophie existentielle de Cioran, en sautant d’Orient en Occident, en transformant sa langue et en chutant du temps, a rompu le cours ordinaire de la pensée contemporaine. Comment le vécu de cette brisure délie-t-il et délivre-t-il le sens ? Et pour dire quoi ? Il s’agira d’éclaircir, dans ses enjeux philosophiques autant que littéraires, la « noire exaltation » propre à cette brisure.

« Cioran moraliste ? », Monica GAROIU, University of Wisconsin-Madison

Ce travail interroge l’écriture cioranienne par rapport à la morale. Comme tout écrivain dont l’œuvre renferme un message moral, une thématique pessimiste ou une forme d’apparence fragmentaire qui semble s’inscrire dans la continuité de l’âge classique, Cioran est qualifié de moraliste. Nous consentons à la remarque de Michel Jarrety qui considère ce raisonnement hâtif et qui construit son analyse du moralisme sur la triade : sujet – écriture – monde (La morale dans l’écriture – Camus, Char, Cioran [PUF, 1999]). Il ne s’agit pas d’un retour du biographisme, mais de « l’authenticité qui ne sépare pas l’écrivain de l’expérience [. . .] ». Donc n’est moraliste que l’écrivain qui écrit sur l’expérience vécue, même si son œuvre « ne l’exprime pas comme telle », et qui définit le souci moral de la vérité. Nous tenons pour acquis que Cioran est moraliste par le caractère pessimiste de son œuvre ainsi que par les formes d’écriture fragmentaire qu’il a pratiquées. Ce sera le but de ce travail d’envisager une analyse de son écriture de dedans pour révéler sa dimension pleinement morale dans le refus radical des propositions abstraites, des pensées qui expriment quoi que ce soit qui n’ait pas été vécu, dans le congé donné au Système, à l’Histoire et à la divinité ainsi que dans la réflexion sur le langage et le discours. En guise de conclusion, il faut dire que cette recherche tente d’atteindre une connaissance plus approfondie des modalités du discours moral dans l’œuvre de Cioran, de mieux comprendre l’importance de l’héritage moraliste classique et de repenser l’apport d’authenticité du moraliste moderne à illustrer, par son propre témoignage ou par des « situations », la condition humaine.

« Eugène Ionesco : Solo voce ou symphonie ? Ou “je cogète, je pirouette, c’est vachement chouette” », Aurelia ROMAN, Georgetown University

Dans une interview lors du Salon du livre à Paris, Hélène Cixous déclarait qu’il n’y a rien de plus beau que de « se libérer de soi ». On est tenté de se demander : cela signifie-t-il perte de l’identité ou bien un meilleur moyen de se connaître ? Au premier abord, l’itinéraire de Ionesco semble suivre un sentier opposé, celui d’une quête obsessive du soi ; un soi sans cesse en fragmentation et allant dans toutes les directions possibles. En effet, cette « quête intermittente », douloureuse et obstinée a dominé à un tel point sa production dramatique que nous nous sommes habitués à appeler son théâtre « un théâtre confessionnel ». Moins connu pourtant est le fait que certaines de ses pièces les plus célèbres ont été tout d’abord écrites sous forme de récit à la première personne, comme par exemple Victimes du devoir, Amédée ou comment s’en débarrasser, Tueur sans gages et Rhinocéros. L’objet de mon étude est de présenter brièvement les multiples visages de cette voix narrative et de relever les différentes formes que ce « je/j-eu » prend dans le théâtre. Est-il tantôt acteur, tantôt spectateur, tantôt tous les deux à la fois ? Le « moi » devient-il vraiment voix plurielle , orchestre symphonique, dans cette quête identitaire de celui qui « se regarde regardant » et qui est « infiniment surpris » ? Que nous apprend-elle cette aventure du « moi » intime projetée sur la scène publique ? Cette enquête nous conduira, on l’espère, à mieux saisir l’originalité d’un théâtre formé en grande partie de « courtes pièces à longue vie » et dont la « solo voce » ou la « symphonie » résonne encore.