CIEF, Congrès 2006, 28 juin: Robert Laliberté

Index des résumés

20e Congrès à Sinaïa

25 Juin - 2 Juillet 2006

Résumés des communications

Mercredi 28 juin 2006

 

Mercredi 28 juin, 9h00-10h30

Session I. La francophonie en Turquie : aperçu historique et tour d’horizon

Présidente : Arzu ETENSEL ILDEM

Secrétaire : Nurmelek DEMIR

« Ahmet Riza et la critique de la politique orientale de l’Occident », Nurmelek DEMIR, Université d’Ankara

Ahmed Riza figure parmi les chefs du Comité Ottoman d’Union et de Progrès. Homme de vaste culture orientale et occidentale, disciple fervent du positiviste Auguste Comte, il cherche dans ses ouvrages écrits tous en français une réponse aux préjugés qui, d’après lui, constitueraient l’essentiel de la politique orientale de l’Occident. Pour ce faire, il se base sur les écrivains et penseurs occidentaux dont les opinions guidées par la raison et le bon sens pourraient remédier à cette politique sinistre qui tend à créer une crise artificielle en Orient. Il invite donc les hommes politiques occidentaux à marcher sur les pas de leurs intellectuels pour pouvoir fonder une politique orientale plus humaniste et plus estimable, et à « ne rien admettre pour vrai qui ne soit clairement et distinctement conçu par le vrai ».

« Les signes précurseurs de l’esprit réformiste ottoman à la lumière des relations d’ambassade », Gülser ÇETIN, Université d’Ankara

Les diplomates ottomans envoyés en mission dans les pays européens furent les premiers à connaître l’Autre et à observer l’Ailleurs ; cela fut une occasion pour eux de constater l’écart dans le niveau du développement économique, militaire et culturel et par ce biais de s’incliner sur la problématique des causes de la régression dans l’État turc. En conséquence les relations d’ambassade que les diplomates ottomans devaient rédiger afin que le Sultan soit tenu au courant des changements survenus chez les protagonistes occidentaux, s’avèrent les documents précieux où l’on ose pour la première fois exprimer la nécessité de réformer l’armée d’abord et l’administration après, au sein de l’empire ottoman. Les relations d’ambassade écrites en français, qui ne s’adressaient qu’à un cercle très restreint, furent la plate-forme écrite et secrète où les fonctionnaires ottomans ont fait la constatation de la situation inversée : le Musulman qui se considérait comme supérieur au Chrétien par définition, s’était déjà rendu à la réalité que le monde oriental était en arrière par rapport au monde occidental. De ce fait, les relations d’ambassade représentent des sources précieuses où l’on a posé le problème fondamental des contacts des civilisations.

« Osman Nuri Gürmen et son œuvre intitulée L’Écharpe d’Iris », Emin ÖZCAN, Université d’Ankara

Osman Nuri Gürmen a écrit son premier roman intitulé L’Écharpe d’Iris en français (l976). Il venait de terminer ses études en France. Il a continué sa carrière littéraire en partie en France et en partie en Turquie. Le but de cette intervention est d’étudier le dialogue interculturel dans cette œuvre d’Osman Nuri Gürmen.

« Les deux rives de Nedim Gürsel », Arzu Etensel ILDEM, Université d’Ankara

Nedim Gürsel qui est l’un des écrivains les plus populaires de la littérature turque contemporaine vit en France depuis le début des années 80. Il a écrit une partie de son œuvre en français. Toutefois il continue d’écrire en turc également. Comme la ville d’Istanbul, Nedim Gürsel a deux rives : Paris et l’Anatolie.

Session II. Marginalités françaises

Présidente : Antoinette SOL

« Octave Mirbeau et les marginaux », Pierre MICHEL, Université d’Angers

Octave Mirbeau (1848-1917) présente l’originalité d’être à la fois un écrivain arrivé et reconnu, riche et influent, et un intellectuel engagé, un justicier révolté et marginal, de par ses prises de position politiques et esthétiques, qui font de lui une sorte de « délinquant textuel », socialement et culturellement incorrect. Il a pris systématiquement la défense des opprimés contre ceux qui les écrasent et a entrepris de démasquer et de démystifier les dominants pour les réduire à leur minimum de malfaisance. Soucieux de modifier le regard de ses contemporains, dûment abêtis et larvisés par la famille, l’école, l’Église et la presse, dans l’espoir qu’ils prennent peu à peu conscience de la réalité des choses et deviennent des citoyens actifs, il a volontiers recours à des porte-parole marginaux par rapport à la société et aux bien-pensants : les prostituées, les révoltés, les domestiques, les fous et les artistes. Potentiellement subversifs, ils ont tous en commun d’avoir peu ou prou échappé à la crétinisation programmée et de nous permettre de découvrir à notre tour les hommes et les institutions sous un jour nouveau.

« Écritures en mouvement. Le mouvement de l’écriture. Écrivains africains en France », Carmen HUSTI LABOYE, Université de Limoges

Dans le contexte socioculturel actuel, le déplacement des écrivains africains dans l’espace géographique s’accompagne par une modification profonde de leur écriture. Le regard se délocalise et prend comme point de départ de la perspective son nouveau positionnement territorial. Les oppositions spatiales connues auparavant perdent toute pertinence ; entre l’ici et l’ailleurs, l’espace de l’appartenance et l’espace étranger, les frontières sont instables et interchangeables. La littérature devient la manifestation d’une recherche permanente de l’identité, à la croisée des frontières et des origines. Les romans de Kossi Efoui, La fabrique de cérémonies (2001), et de Fatou Diome, Le ventre de l’atlantique (2003), rendent parfaitement compte des transformations qui ont affecté la littérature africaine francophone au cours des deux dernières décennies. Vivant et écrivant en France, les deux écrivains donnent naissance à une écriture en marge de tout discours dominant, une écriture du mouvement territorial, qui engendre une mutation profonde du profil de la littérature. Abandonnant tout jugement idéologique au profit des interrogations ontologiques, Kossi Efoui et Fatou Diome, comme la plupart des écrivains africains contemporains, aspirent à libérer la littérature de tous les stéréotypes de jugement. Ils s’inscrivent désormais dans le mouvement littéraire mondial sans pour autant nier leurs origines. L’exil, l’hybridité et le métissage deviennent les préoccupations de cette nouvelle littérature dont l’analyse révélera la constitution d’une nouvelle esthétique, en cours de consolidation, une esthétique du mouvement, postmoderne ou postcoloniale, qui se détache de la tradition littéraire africaine, afin de trouver sa propre place dans l’histoire littéraire.

« Image des marginaux dans les romans de Gary/Ajar », Dina TIRVEN-GADUM, Université Athabasca

En 1975 Romain Gary réussit à se faire couronner une deuxième fois du prix Goncourt, transgressant en cela un interdit de l’Académie Goncourt. Expliquant plus tard sa ruse, il avouera son malin plaisir d’avoir joué un bon tour au “parisianisme” des critiques français qu’il accuse surtout de favoriser les auteurs français de souche. Or, Romain Gary est un Français naturalisé. II est né à Moscou et évoque par sa stature et son teint basané les guerriers tartares des armées de Genghis Khan plutôt qu’un Français de souche. Aussi toute sa vie, aura-t-il le sentiment de vivre en marge de la société littéraire parisienne. C’est sans doute l’une des raisons qui incitent Gary à peupler ses romans d’un défilé de personnages marginaux et désaffectés vivant à la frontière de ce qu’on pourrait qualifier de normalité. Il y a tout d’abord Cousin, le statisticien qui cohabite avec un python et qui tombe amoureux dudit python. Il y a aussi Momo le petit arabe, « fils de pute » qui parle un français approximatif et qui vit chez une ancienne prostituée juive dans un foyer qu’elle tient clandestinement à Belleville ; Mme Lola, l’ancien champion de boxe du Sénégal qui travaille maintenant comme prostituée au Bois de Boulogne, et Monsieur N’Da Amédée, le proxénète Malien dont on retrouvera le corps poignardé dans La Seine.

« La marginalisation du personnage houellebecquien », Nathalie DUMAS, Université d’Ottawa

L’œuvre de Michel Houellebecq est principalement caractérisée par une lutte constante des classes ainsi que par la misère sexuelle dans laquelle évoluent la plupart des personnages. C’est d’abord dans Extension du domaine de la lutte que Houellebecq élabore, à partir de la sexualité, une hiérarchie sociale basée sur différents paramètres et fonctionnant comme un second système de différentiation. Cette hiérarchie, qui exclut l’individu dit « normal », montre l’effet « paupérisant » qu’elle peut avoir. Ce système agit comme « loi du marché » et est régi par la domination, la peur et l’argent. Le domaine sexuel doit inévitablement s’associer au système économique si l’individu désire atteindre les plus hauts échelons de la hiérarchie sociale. Ce processus est une constante dans les romans de l’auteur. Le but de ma communication sera, en premier lieu, de montrer brièvement le fonctionnement de ces deux systèmes de différentiation et les exclusions qui en résultent. Le personnage de cadre « moyen » se voit lui-même marginalisé au sein d’une société qui devrait l’inclure et le personnage féminin n’a pas sa place au sein de la hiérarchie. Puis, dans un second lieu, il s’agira d’analyser comment l’auteur représente le personnage étranger qui devient systématiquement marginalisé et ancré dans divers stéréotypes.

Session IV. Le métissage culturel en question

Président : Moncef KHEMIRI

Secrétaire: Ylenia DE LUCA

« Le Voile en République », Isabelle CONSTANT, University of the West Indies

En réfléchissant sur l’historique et le débat qui a amené à la loi sur le port du voile en France, cette communication rend compte des nombreux articles de presse parus en France avant la promulgation de cette loi ainsi que des livres de Chahdortt Djavann sur le sujet. La France, en légiférant contre le port de signes ostentatoires religieux dans les écoles a donné un cadre légal aux chefs d’établissements pour refuser le port du voile chez les élèves mineures de l’enseignement public. L’un des arguments contre le voile musulman dans l’espace public est qu’il s’agit d’un signe d’oppression des femmes que la République ne peut entériner. La France entend surtout conserver les prérogatives d’un État laïc et la séparation de l’église et du politique. Le débat sur le voile qui a précédé la loi cache une modification structurelle de la société où la distension du tissu social engendre déjà de nombreux conflits. Le voile n’est qu’un des signes du repli communautaire mais il participe pleinement à le renforcer, au grand bénéfice de l’islamisme. L’interdiction du voile dans les écoles n’empêchera pas le repli et les revendications communautaristes mais elle aura le mérite d’indiquer clairement aux groupes ultras que la République n’est pas prête à tolérer d’entorse à la séparation de l’église et de l’État. Il est urgent de proposer aux jeunes issus de l’immigration un autre modèle de société, qui les intègre, auquel ils aient envie d’appartenir, et qui exclut la violence et l’oppression des femmes.

« Langage et malaise culturel de l’écriture interculturelle au Canada francophone. Comment vivre ensemble ? Perspectives françaises », Ylenia DE LUCA, Université de Bari

Le tissu social et culturel du Québec s’est profondément transformé depuis une vingtaine d’années et continue de se transformer. Le Québec actuel, particulièrement Montréal, devient de plus en plus pluriel. Comme le dit Pierre Nepveu : « L’unité est perdue », pour laisser place à une nouvelle conjoncture faite de liens et de langues dans le tissu de la société québécoise. Le Québec a changé. La poésie et sa culture le démontrent. Presque tous les poètes du Québec sont des immigrants. Le domaine littéraire est perméable aux nouvelles réalités qui représentent la société actuelle. De nombreuses œuvres mettent en mots la relation conflictuelle entre ces différents pôles et parfois cartographient une aire ouverte, un espace de négociations où l’écrivain se débat pour accéder à sa propre vision de la société. Dans ce cas, la question du métissage culturel est exploré par plusieurs auteurs, nés au Québec ou ailleurs. En effet, une constellation de mots – déplacement, interlude, palimpseste, strate, déracinement, enracinement, intégration, échange – se dessine en de nombreuses variantes. Dans ce cadre, les écrivains haïtiens, latinos, italiens, et de divers autres lieux d’Europe et d’Afrique ont contribué à l’ouverture du Québec, refaisant le tableau de l’identité québécoise devenue plurielle, dans la mesure où la confrontation avec d’autres cultures a donné du sang neuf à leur façon d’imaginer leur appartenance à l’Amérique, à la francophonie et aux sociétés modernes en général, les rendant encore plus consciemment américains et contemporains, en incluant dans leur définition d’identité, la nation concrète de métissage culturel.

« Francophonie et histoire personnelle : les prémisses d’une universalité nouvelle ? », Lilia RAYTCHEVA, Université de Versailles

Arrivé à une étape « hypertrophiée » de son évolution, l’homme contemporain ne se trouverait-il pas devant la nécessité d’un paradigme existentiel nouveau, « meilleur » et « prometteur », qui dépasserait les motivations univoques de l’économie et de la politique, pour placer au plus haut de son échelle le champ universel de la culture ? La culture, dans ses facettes multiples – de la création artistique, des lettres et des formes de communication de masse aux progrès en matière de science –, communiquant entre elles à un niveau méta-national, éthique, humaniste, constituerait alors une issue à l’impasse sociale actuelle, ainsi qu’un legs exclusif face à la postérité. L’époque des identités nationales, révolue, laisserait la place à celle de l’identité plurielle. Dans cette optique, repenser la francophonie en tant que phénomène dynamique et pluriel, et évaluer l’acte migrant au sein de ce processus peuvent s’avérer enrichissants. Nous mettrons à l’épreuve cette hypothèse en développant successivement trois idées : 1. L’importance accordée à l’histoire personnelle du migrant, notamment l’originaire des pays de l’Europe de l’Est, comme composante de l’avenir francophone ; 2. Les étapes caractérisant l’acte migrant, la motivation ayant provoqué un tel choix (réaction anti-totalitaire, voyage intentionnel, etc.), l’expérience mimétique de l’adaptation culturelle et linguistique initiale, et la finalisation du déplacement en rapport avec l’impossibilité d’enracinement qui, par la suite, devient un nomadisme conscient (apport considérable à une création culturelle spécifique) ; 3. Le pluralisme de l’expression francophone migrante, quel que soit le domaine, et l’impact que ces acquis peut avoir sur la construction d’une nouvelle culture universelle.

 « La fraternité à l’épreuve de l’histoire dans la littérature judéo-tunisienne : le cas de Mohammed Cohen de Claude Kayat », Moncef KHEMIRI, Université de la Manouba

Dépassant les clivages religieux, politiques et historiques qui ont opposé le monde arabo-musulman au monde juif, Claude Kayat présente dans son roman Mohammed Cohen (Seuil, 1980), dont les événements se déroulent dans trois pays (La Tunisie, Israël, La Suède), l’histoire de deux jeunes gens, un juif et une arabe, qui parviennent malgré les aléas d’une époque prise dans la tourmente de la guerre, à préserver leur amitié et leur fraternité, nourries de la sève d’une même terre, imprégnées des mêmes souvenirs, hâlées par le même soleil, ivres des mêmes parfums et des mêmes chants. Pour Claude Kayat, le métissage ethnique et culturel semble être la meilleure antidote à la folie meurtrière qui régulièrement agite des élites en mal d’identité.

 

Mercredi 28 juin, 10h45-12h15

Session I. Cris et chuchotements dans la littérature contemporaine

Présidente : Jacqueline BERNARD-BILLIEZ

Secrétaire: Nicole BAJULAZ-FESSLER

« Souffrance et littérature », Gaëtan BRULOTTE, University of South Florida

Dans le contexte de l’actualité, cette communication se propose d’examiner les rapports entre souffrance et littérature en s’appuyant sur un corpus diversifié, mais surtout francophone. À une époque où la souffrance semble s’accroître avec le vieillissement, les guerres, le terrorisme, les épidémies incontrôlables, les catastrophes, quel est le rôle de l’écrivain et de la littérature ? Peut-on percevoir la littérature comme un vaste répertoire de blessures ? Quel visage humain la littérature donne-t-elle à ces douleurs et est-ce que sa fonction reste pertinente devant l’ampleur des problèmes ? Beaucoup d’écrivains n’arrivaient plus à écrire après les événements du 11 septembre 2001 et ont senti leur activité comme totalement inutile. La littérature peut, certes, agir en bonne consolatrice humanitaire, mais cela suffit-il ? Si la littérature parle de la souffrance sous toutes ses formes, la douleur révèle ainsi des choses sur la nature du littéraire. Elle soulève la grande question de la littérature, celle de sa raison d’être, surtout aujourd’hui devant le retour en force de l’obscurantisme et la montée des médiocraties. Quelle est sa fonction dans le monde moderne ? Que peut faire la littérature actuelle devant un adversaire géant comme celui de la bêtise qui jette son ombre en travers de la civilisation, sème la destruction, fait couler le sang partout, et qui représente l’insulte la plus barbare de l’histoire ? Comment la littérature tire-t-elle de la souffrance sa révolte ? Comment mettre en forme la souffrance ? Comment est-ce que la littérature peut être un instrument d’éveil et de lucidité, une arme robuste contre l’ignorance et la déshérence, une résistance au non-sens, au néant, à l’oubli, un hymne à la persistance des lumières dans un monde qui la déconsidère ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles on va essayer ici de répondre.

« Le Cri de la pensée existentielle de Benjamin Fondane », Arta LUCESCU-BOUTCHER, Bergen County Academy

Fondane croyait que « si l’humanité dédaignait l’intelligence et se cramponnait délibérément à l’erreur et à l’absurde, il n’y aurait guère de “malaise,” de “crise” ou de “chaos” dans le monde ». La pensée rationnelle ou spéculative est liée au concret, car elle ne peut expliquer l’essence de notre vie. S’explique-t-elle par l’absurde ? La souffrance de l’homme, quand elle est liée à l’absurde, devrait ouvrir la porte d’une compréhension plus profonde de notre existence. Afin d’illustrer sa philosophie, Fondane prend comme exemple l’histoire biblique de Job. Fondane, comme Chestov, reconnaît que le mérite de Job consiste dans son esprit de révolte. Job a le courage d’exprimer sa colère devant un Dieu injuste. Le cri se produit alors ; il constitue la manière de lutte que Fondane choisit afin d’interroger le monde. Quand le « cri » de Fondane rencontre celui de Job, il vit un absolu désespoir. Mais il y a aussi de l’espoir dans le cri de la pensée existentielle. C’est ce « cri » que nous allons illustrer dans cette présentation à travers la poétique et la pensée philosophique de Benjamin Fondane.

« Échardes de silence : choix d’une poétique ou refuge ? », Nicole BAJULAZ-FESSLER, INPG-CUEFA, Grenoble

Rencontres croisées de quelques auteurs contemporains. Nous empruntons, pour mieux le détourner, le titre de cette communication à Frédéric Martin qui a obtenu le prix Prométhée de la nouvelle (2004) pour son recueil, L’Écharde du silence. Nous souhaitons aborder la question du genre (la lettre, la nouvelle, cet art du peu pour dire beaucoup), du registre (la satire), ou de l’écriture poétique pratiquée par quelques auteurs contemporains. Toutes ces voies esthétiques se rejoignant parfois pour dire la blessure de l’intime mais aussi pour donner de la voix face à la souffrance du monde, et prêter une parole aux « taiseux » de toutes sortes.

« Dan Lungu : une esthétique de la rumeur », Jacqueline BERNARD-BILLIEZ, Université Stendhal Grenoble III

Avec Le paradis des poules (2004), l’écrivain roumain Dan Lungu propose ce qu’il appelle un « faux roman de rumeurs et de mystère », savoureux ramassis de potins de bistrot, constituant une complainte à la fois burlesque, satirique et élégiaque. Cette narration indirecte libre entretenue par un énonciateur collectif a le charme ambigu d’une polyphonie hésitant entre le bredouillement et le bruissement du langage humain. Outre sa fonction esthétique, cette incertitude porte en même temps sur la représentation et l’évaluation du régime communiste effondré dont les ruines occupent les mémoires : n’était-ce pas un poulailler déshumanisé, mais où il peut sembler rétrospectivement qu’il faisait bon d’y être poule.

Session II. Images et voix de femmes

Présidente : Lucienne SERRANO

Secrétaire: Edith WAINWRIGHT

« Le rôle de la femme dans la littérature francophone des Antilles : Haïti, La Guadeloupe, La Martinique », Edith WAINWRIGHT, Nassau Community College

Cet essai sur le rôle du personnage féminin dans la littérature haïtienne se limite aux années 1902-1975. Une chronologie logique et pratique des œuvres et auteures choisis sera préservée par l’auteur. Sur sa liste d’auteurs on trouvera un Léhrisson, un Roumain, une Colimon, un Alexis, une Poujol-Oriol… Le but de cet essai est de définir le degré d’importance accordé au personnage féminin en tant que protagoniste ou repoussoir, suivant l’écrivain. L’auteure espère, en même temps, rapprocher la fiction à la réalité de ce rôle.

« Entre clémence romantique et damnation irréparable : la femme noire dans Ourika et La Noire de… », Eliana VAGALAU, Northwestern University

En se concentrant sur les intersections des économies raciales, sexuelles et sociales dans Ourika de Marguerite Duras, cette communication projettera le roman sur le fond de sa contrepartie du XXe siècle, La Noire de… de Sembène Ousmane, tout en espérant que les similarités et particulièrement les différences dans la trajectoire narrative des deux protagonistes pourront illuminer davantage les congruences de sexe et de race dans les deux textes. Le projet tente aussi de clarifier l’impératif créatif derrière ces deux romans : pourquoi et comment Duras et Ousmane écrivent-ils la même histoire, quels changements peut-on détecter entre la production des deux narrations et sur quoi se fondent-ils ? Pour encadrer des questions aussi larges et atteindre une conclusion plus incisive, j’emploierai plusieurs méthodes. Premièrement, un examen textuel rigoureux, avec des référents principaux dans l’analyse de personnage et l’étymologie, qui considérera des questions telles : Y a-t-il un modèle narratif identifiable dans les trajectoires des deux protagonistes ? Où et comment divergent-elles ? Comment Ourika peut-elle être assimilée au mythe de Galatée ? Diouana est-elle aussi une incarnation de Galatée ? Quelle est la pertinence de la nomenclature des protagonistes ? Deuxièmement, je m’appuierai brièvement sur la métaphore de l’épave dans La Noire de… dans le contexte des apparitions répétées de cette métaphore dans l’histoire littéraire. À travers la discussion de la particularité de cette métaphore ici, j’arriverai à la troisième et dernière méthode critique, notamment la théorie psychanalytique de la mélancolie, qui dévoile un autre angle révélateur pour la compréhension de la congruité entre les asservissements ethnique et sexuel dans les deux romans.

« Le voyage de l’écriture dans Le livre d’Emma de Marie-Célie Agnant », Lucienne SERRANO, York College, CUNY

Ce roman s’adresse à certains lieux du passé qui habitent le présent d’Emma, insoutenables de souffrance et de non-dit, en attente de signification. Mais cette signification ne pourra se faire que par un travail qui allie mémoire et écriture. La mémoire se met en place de différentes manières. La remémoration à laquelle se livre Emma, fouille le passé, le remet en question, interroge ce qui a précédé, suivi. Elle fait revivre les femmes de sa lignée depuis la première esclave séparée de sa mère et de l’Afrique, voulant ainsi raviver le processus de reviviscence et cette tragédie à laquelle l’Histoire n’a pas voulu donner voix. Autre forme de mémoire, sorte de court-circuit, est le passage à l’acte, mémoire sans représentation qui l’amène au meurtre de son enfant et à son suicide. Fouillant ainsi cette mémoire avec ou sans souvenir, Marie-Célie Agnant entre dans un espace d’écriture qui est révolte intime – notion de Julia Kristeva – où écrire est un questionnement, un retour sur soi, une volte constante souvent hors de la logique et du sens pour arriver à un sens autre qui fouille et ouvre les différents niveaux de l’in/sub/conscience pour arriver à un sens nouveau qui semblait jusqu’alors absent. L’écriture devient alors un voyage qui ouvre grand l’espace transitionnel. On pourrait dire que l’écriture se fait migrance entre passé, présent, soi et l’autre, annonçant un futur dont elle nous révèle la mémoire. Les acteurs d’une telle scène vivent un temps suspendu, immobile afin de rendre la mémoire vivante – consciente et souvent inconsciente – de ceux qui les habitent depuis toujours sans que parfois elles/ils le sachent.

Session IV. Variations sur le thème de la quête identitaire II

Président : Kapele KAPANGA

« Dialectique de la quête identitaire dans Le Baobab Fou de Ken Bugul », Annabelle DOLIDON, University of California Davis

Cette étude du Baobab Fou prend la forme d’une dialectique entre la signification du verbe « reconnaître » et ses dérivatifs, et la généalogie du regard de la narratrice sur l’Occident et l’Afrique. Le besoin de reconnaissance jalonne ce texte mettant en parallèle les souvenirs d’un séjour en Belgique et les réflexions contemporaines portant sur la réalité des deux pays. L’écriture de Ken Bugul pose à la fois un regard dans le temps et dans l’espace. Nous avons donc enchâssé dans cette communication deux dialectiques : d’abord, le besoin de reconnaissance et la découverte de soi à travers le regard de l’autre ; puis le regard porté sur l’autre et les diverses interprétations qui en découlent. La première partie de cette double exploration retrace l’origine et les différentes significations du terme « reconnaissance » afin de mettre en relief la connivence de ce dernier avec le concept d’appartenance au centre de la quête narrative et rétrospective de la narratrice. Ce court historique sociolinguistique permet ensuite de retracer la généalogie des deux directions qu’emprunte le regard de Ken Bugul sur l’Occident et sur l’Afrique – deux regards ne pouvant exister que l’un par rapport à l’autre. Dans la deuxième partie, nous nous intéressons de nouveau au texte afin d’établir le lien entre le besoin de reconnaissance et l’expérience vécue sur les deux continents. Il devient alors évident que cette quête exacerbe plutôt qu’elle n’apaise un besoin d’appartenance qui ne peut être comblé en choisissant une identité africaine ou occidentale, mais peut-être en procédant à une redéfinition du concept même de « reconnaissance ».

« Quartier Trois Lettres d’Axel Gauvin : un roman “réyoné” », Mohamed AÏT-AARAB, Université de la Réunion

Quartier Trois Lettres, premier roman de l’écrivain réunionnais Axel Gauvin, est publié trois ans après un texte au titre volontairement polémique, Du créole opprimé au créole libéré. Défense de la langue réunionnaise. Dans cet essai / manifeste, Gauvin qui entend s’exprimer en tant que « créophile convaincu » clame haut et fort son attachement à la langue créole, composante essentielle de l’identité réunionnaise dont il est un militant actif, à une époque où les manifestations visibles de cette revendication identitaire sont encore sévèrement réprimées. Le passage à la fiction romanesque s’inscrit dans une continuité idéologique : le peuple réunionnais pour lequel le militant Gauvin revendique le droit à l’expression identitaire est celui que le romancier met en scène dans Quartier Trois Lettres. Il s’agira donc tout en confrontant écriture romanesque, dominante normative et revendication identitaire de s’interroger sur le paradoxe (réel ? apparent ?) d’une démarche qui fait entendre la voix de la culture créole par le biais de la langue française et de montrer en quoi Quartier Trois Lettres est le roman d’une identité (familiale, culturelle, sociale, politique) qui s’affirme.

« L’Identité et l’enseignement du français à l’école africaine : Dilemme pour l’efficacité de l’enseignement aux Africains et un fructueux dialogue interfrancophone ? (État de la question et propositions de solution) », Kapele KAPANGA, Université Laurentienne

L’identité est, pour l’individu, le socle qui permet d’affronter les semblables à « armes égales » et de s’enrichir mutuellement. C’est une assurance qui ne se développe qu’à partir prioritairement de la langue maternelle. Mais, malgré tout, la tendance actuelle de la francophonie, doublée de la mondialisation/globalisation, n’accorde aux langues nationales africaines dites « faibles » qu’un bref sursis avant leur mort prochaine. Une participation égalitaire au rendez-vous du « donner et du recevoir » de la francophonie exigerait qu’on laisse aux peuples parlant concurremment ces langues maternelles et le français, un espace suffisant pour recouvrer et raffermir leur identité, laquelle ne peut être soutenue par une langue d’emprunt. Se résigner à perdre ces langues maternelles c’est accepter implicitement la disparition de l’identité de ceux qui ont cru aux « échanges culturels entre les peuples ayant le français en partage » car, comme l’écrivait H. Walter : « renoncer à la diversité linguistique, c’(est) [. . .] perdre l’incomparable richesse culturelle qu’elle renferme ». Pour conjurer ce sort, nous proposons quelques mesures qui, préservant la base – l’identité des peuples –, faciliteront l’atteinte de l’objectif principal de la francophonie en Afrique. Ces mesures, politiques et techniques, assureront aux Africains l’enseignement dans leurs langues nationales, et favoriseront chez les apprenants la maîtrise des langues enseignées. En gros, il s’agit de définir la place des cours de langues dans les programmes d’enseignement, et la méthodologie appropriée du français dans les écoles africaines. À défaut de cela, il disparaîtra sûrement des pans entiers des cultures des peuples africains, et les échanges culturels interfrancophones ne seront à jamais que des vœux pieux.