CIEF, Congrès 2006, 26 juin: Certificat d'honneur à Maryse Condé

Index des résumés

20e Congrès à Sinaïa

25 Juin - 2 Juillet 2006

Résumés des communications

Lundi 26 juin 2006

 

Lundi 26 juin, 9h00-10h30

Session I. La réécriture des mythes dans la littérature francophone

Présidente : Joëlle CAUVILLE

« Vampires du Québec », Simone GROSSMAN, Université Bar Ilan

Dans le fantastique du Québec, les vampires confondent tradition et identité. Dans Angus ou la lune vampire de Michel Tremblay (1966), le vampire Angus s’est réfugié chez son ami pour échapper à l’emprise de la pleine lune qui le fixe. Leur étreinte relâchée trop tôt, une araignée pénètre dans la maison et s’attaque à Angus malgré les efforts de l’ami pour la désintégrer. « Je me souviendrai toujours d’Angus », affirme-t-il. Gilles Pellerin évoque dans East Glouster, Mass. (1992) la visite d’une vampire au pâle jeune homme amnésique dans son manoir isolé à la pleine lune. Dans l’atmosphère chargée de la Nouvelle-Angleterre bordée par l’océan poisseux, l’intertextualité, de Lautréamont à King, Lovecraft et Poe, oppose à l’oubli la dent de baleine dont la piqûre catalyse le retour du français chez le jeune amnésique et le rend apte à dire « je ». Une infirmière vampirise un patient dans À l’heure des repas de Stanley Péan (1988) lorsqu’elle procède à sa « prise de sang » avec ses canines. Elle raille sa tentative d’utiliser le pied de chaise en bois, arme traditionnelle contre les vampires et lui propose ironiquement de l’attaquer plutôt avec un cordon d’ail. Dans La Nuit de Sylvie Bérard (2003), les vampires étendent leurs capes noires sur la ville-prison et sèment la terreur parmi les citadins vampirisés par le passé revivifié. Mythe moderne, le vampire, immortel selon Barbara Sadoul, revêt au Québec une dimension mémorielle et identitaire.

« Édouard Glissant et Maryse Condé lecteurs de Mircea Eliade et la création de “mythes d’origine” aux Antilles », Marie-Christine ROCHMANN, Université de Montpellier III

« Il n’existe pas d’idéologie qui n’ait pour support une mythologie [. . .]. Cette mythologie est la forme imagée, métaphorique et non-conceptuelle, qui traduit le travail inconscient préalable à la manifestation du symptôme national », note Claude-Gilbert Dubois dans « Qu’est-ce qu’une nation ». De même qu’elle s’est revendiquée dans le continu d’une histoire, la construction d’une identité nationale dans les pays ex-colonisés s’est faite notamment autour de mythes d’origine, aptes à exprimer les revendications les plus essentielles, qu’elles soient d’autochtonie ou/et d’émancipation sociale, politique ou culturelle. Aux Antilles, dont la littérature orale ne comprend pas de mythe, Édouard Glissant constitue le premier un aspect de l’histoire antillaise, le marronnage, en mythe d’origine dans son roman Le quatrième siècle. Cette œuvre fait date et un certain nombre d’Antillais après lui, comme lui-même dans la suite de son œuvre, reviendront sur ce processus pour le servir ou s’en distancier et à fin d’inscription dans des identités sans cesse en mutation. Ce sont ainsi les différents avatars « du mythe d’origine » dans la littérature antillaise que nous nous proposons d’analyser, afin de tenter de circonscrire l’extension du phénomène et ses principales mutations.

« Symboles et mythes dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran d’Éric Emmanuel Schmitt (récit datant de 2001 et adaptation cinématographique de François Dupeyron, en 2003) », Joëlle CAUVILLE, Université Saint-Mary’s, Halifax

Philosophe de formation, dramaturge couronné et romancier, Éric Emmanuel Schmitt est devenu un auteur à succès, non seulement dans les milieux francophones mais à travers le monde. Ce qui nous a intéressé particulièrement dans son œuvre prolifique est la création d’un univers mythique à la fois ancré dans la symbolique traditionnelle et s’en démarquant. Sa première pièce de théâtre, La nuit de Valognes (1998), est à ce propos remarquable puisqu’elle nous propose une réécriture du mythe de Don Juan. Nous nous sommes toutefois attachés à un autre texte : Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran publié en 2001 et qui fait partie du « Cycle de l’invisible ». Comme cette appellation le laisse présager, Monsieur Ibrahim regroupe des textes de réflexion spirituelle : bouddhiste dans Milarepa (1997), chrétienne quant à Oscar et la dame Rose (2002), soufie dans le texte qui nous intéresse et juive dans le récit qui clôt la tétralogie : L’enfant de Noé (2004). Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran est un petit « traité » d’apprentissage qui met en scène Moïse, un adolescent juif de La rue Bleue à Paris et l’incontournable Monsieur Ibrahim, « l’Arabe du coin ». Schmitt nous propose un conte initiatique où les règles du sourire et du silence prédominent, où l’enseignement de maître à disciple l’emporte sur la lecture des livres, où la parabole de l’enfant prodigue est remplacée par celle du parent prodigue, où le mythe de la genèse est revisité et où le conflit entre différentes croyances s’estompe.

Session II. Kama Sywor Kamanda, écrivain et prophète

Présidente : Marie-Madeleine STEY

Secrétaire : Barbara KELLER

« Des eaux agitées aux eaux calmes dans l’œuvre poétique de Kama Sywor Kamanda », Barbara KELLER, Capital University

Comme nous l’avons souligné dans plusieurs communications précédentes, le lecteur attentif de la poésie de Kama Sywor Kamanda ne manquera pas de constater que l’eau y joue un rôle primordial. Des formes naturelles de l’eau et des différentes manifestations de ces phénomènes aux formes climatiques des eaux et à leurs parties composantes, les eaux dans l’œuvre poétique kamandienne dépassent leur signification habituelle pour acquérir une signification physique associée à l’être humain, voire pour assumer une fonction prophétique. Ce n’est nullement par coïncidence qu’on trouve peu d’eaux dormantes dans l’œuvre poétique kamandienne : les eaux courantes l’emportent. Dans cette communication qui continuera notre analyse de l’eau comme phénomène dans cette poésie, nous porterons notre attention sur les vagues, les torrents, les cascades, les marées basses et montantes, les rapides et les courants dans l’œuvre poétique de Kamanda afin d’en déceler la fonction et de montrer comment le poète en appelle aux forces de la nature pour exprimer l’étendue de leur influence. Nous discuterons également le lexique dont le poète se sert pour nous communiquer cet état d’âme qui vise l’éternel aussi bien que le terrestre.

« L’Harmonie dans les Contes de Kama Sywor Kamanda », Marie-Madeleine STEY, Capital University

Cette communication se propose d’étudier ce que signifient la paix et l’harmonie dans les Contes de Kamanda. On se demandera dans quelles conditions la paix et l’harmonie règnent et les conséquences que cela entraîne. On verra ensuite où conduisent le manque d’harmonie et la dissension.

Session III. Le dialogue interculturel dans l’œuvre de J.-M.G. Le Clézio

Président : Claude CAVALLERO

Secrétaire : Isabelle ROUSSEL-GILLET

« Figures du déplacement », Isabelle ROUSSEL-GILLET, Université de Lille II

L’intertextualité, avec les mythes, est une passerelle pour relier et en même temps pour ne pas affirmer de territoire, ce que renforce également la présence patente d’archétypes dans l’œuvre leclézienne. Cette dernière est à comprendre dans son paradoxe du topique (un pays ?) et de l’insaisissable (la trace, l’altérité). Nous analyserons dans cet esprit les images matérielles insérées – carte, médium photographique, encres de Chine – dans certains textes de Le Clézio. Le déplacement n’est pas réductible à la notion de « voyage », ni au genre « récit de voyage ». Le déplacement à l’œuvre s’effectue dans le régime de la lecture et dans l’usage de la métaphore. Le repérage de figures d’absence, d’éloignement ou d’ouverture servira cette problématisation du déplacement, dans un corpus comprenant Haï, Gens des nuages, et le dernier ouvrage paru de l’auteur. Puisque nous parlerons d’images, il sera question de lumière, lumière qui seule permet de distinguer et d’éblouir, de voir l’altérité plus que de la concevoir.

« Formes de métissage et métissage des formes dans le roman Révolutions de J.-M.G. Le Clézio », Marina SALLES, Faculté des lettres, arts et sciences humaines, La Rochelle

Révolutions, ce « livre somme », dernier roman en date de Le Clézio, articule pensée du métissage et écriture métisse. Le recours à des formes romanesques variées, la polyphonie des voix narratives, les emprunts à certains modèles musicaux (thèmes et variations, boléro) servent la parole sur le métissage présenté comme le devenir inéluctable des sociétés contemporaines. L’idée s’inscrit subtilement dans l’écriture qui travaille les points d’intersection, les variations, les nuances pour préserver la diversité, l’hétéromorphisme sans risquer l’éclatement ou la dispersion. Ce roman, qui relie divers espaces-temps, multiplie les rencontres et les contacts entre cultures différentes, répond à la définition du métissage comme une mise en rapports, un mode relationnel qui, excluant la fusion ou la domination valorise la synergie, l’échange. Le roman d’apprentissage, le roman picaresque (Londres), la saga familiale fictionnalisent le besoin de chercher « ses » autres pour se trouver soi-même, mais aussi les obstacles, les résistances qui accompagnent généralement toute confrontation à l’autre, tout processus de métissage. Les références à l’Histoire, à la Révolution française (porteuse des idéaux des Lumières) à la Guerre d’Algérie, soulèvent à nouveau, après Le Rêve mexicain, Désert ou Onitsha, le débat, posé par la colonisation, entre l’exportation d’un « modèle » de civilisation jugé universel et le respect des particularités culturelles. Le traitement de l’autobiographie, qui replace l’histoire familiale dans le vaste contexte d’une histoire collective, et le final du texte dessinent par ailleurs une évolution de la quête des origines (mise en valeur par les effets de leitmotive, d’écriture circulaire), de « l’identité-racine », synonyme d’unicité mais aussi de clôture et de fixité, vers « l’identité-rhizome », cette « poétique de la relation » qu’exalte Édouard Glissant et qui pose un acte de foi dans les cultures plurielles.

« Le pays véritable de J.-M.G. Le Clézio », Claude CAVALLERO, Université de Savoie

Né à Nice en 1940 d’une famille d’origine mauricienne – et donc de nationalité britannique – J.-M.G. Le Clézio aurait parfaitement pu choisir de s’exprimer dans la langue anglaise. Les récits de Conrad et Melville sont parmi les premières œuvres qu’il découvre dans la bibliothèque familiale, et aujourd’hui encore, il cite souvent Stevenson et Joyce comme les romanciers qu’il admire le plus. Néanmoins, l’écrivain a pris le parti de s’exprimer dans la langue française : il s’agit là d’un choix délibéré qu’il convient d’expliciter. Écrire en français, ce n’est pas seulement pour Le Clézio se déterminer pour la langue des illuminations rimbaldiennes ou des incantations convulsives d’un Lautréamont ; c’est aussi affirmer la valeur interculturelle d’une langue laissée en partage aux anciens colons et aux anciens colonisés, cette « arme miraculeuse » gisant dans les décombres de la civilisation dont parle Senghor. Au fil de ses premières œuvres, l’écrivain s’est beaucoup interrogé sur les capacités du langage, rêvant d’une harmonie parfaite entre les mots, le monde et la matière. Attentif au silence dont procède toute parole, encore vibrante d’incertitude quand déjà promise à l’effacement, l’auteur décline dans sa maturité une langue du passage, une esthétique de l’éphémère en souffrance d’éternité. Les voix du récit se démultiplient pour livrer complaintes et légendes, pour extraire du mythe la mémoire enfouie d’une identité individuelle ou collective bafouée. Telle est la fonction d’une langue française que l’écrivain-voyageur voue poétiquement au métissage et au multiculturalisme : permettre l’assemblage d’un puzzle identitaire équivalent à un véritable ancrage territorial.

Session IV. Histoire et histoires

Président : Pierre-Louis FORT

Secrétaire : Antoinette SOL

« Raconter son histoire, écriture historique : l’interprétation féminine de la Révolution », Antoinette SOL, University of Texas at Arlington

Le champ d’étude sur le traumatisme personnel s’est récemment étendu avec l’élaboration de théories sur le « traumatisme historique » : celles-ci dépassent le cadre individuel et essaient de saisir le mécanisme du trauma sur un peuple dans son ensemble. Tout trauma, qu’il soit personnel et/ou historique, inscrit la violence dans la psyché. C’est-à-dire qu’il faut se confronter à l’épisode traumatique (historique), comprendre les événements et relâcher l’attachement à la douleur afin de le transcender. Parler, témoigner, partager et se souvenir du passé sont donc des étapes indispensables au dépassement du passé. Témoigner, se souvenir et analyser sont des mots clés. Mais comment dépasser le trauma quand on est exclu de la discussion publique, de l’analyse des événements, de l’écriture de l’Histoire officielle ? Dans cette communication, je vais regarder comment des survivantes de la Révolution française de 1789 ont transcrit leurs histoires au début du XIXe siècle. Exclues par leur genre de contribuer à une version officielle et reconnue de l’histoire de la Révolution, elles participent à une élaboration historique d’une autre façon : une élaboration romanesque, journalistique, dramatique. Dans ces élaborations, on explorera l’effet d’un dédoublement du traumatisme personnel et du trauma historique sur ces écrivaines et leurs tentatives de rentrer leurs histoires dans le record historique, dans l’Histoire.

« Visions de l’altérité masculine dans Menaud, maître-draveur et Bonheur d’occasion : analyse de l’idem et de l’ipse », Kenneth MEADWELL, Université de Winnipeg

Cette intervention se donne pour objectif de faire état de la problématique de l’altérité et de la transformation identitaire dans le texte littéraire. L’approche se fonde sur les écrits de Paul Ricœur au sujet de l’identité narrative – l’identité-mêmeté (l’idem) et l’identité-ipséité (l’ipse) – et ceux d’Éric Landowski sur la subjectivation du personnage qui devient autre, incarnation donc de l’ipse. Dans un deuxième temps, elle se donne pour but l’étude de l’Autre dans Menaud, maître-draveur de Félix-Antoine Savard et dans Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, et notamment du personnage masculin central, en l’occurrence Menaud et Jean Lévesque. Chacun de ces protagonistes incarne une identité spécifiquement masculine qui, vu le chronotope dans lequel il évolue, représente une figure de l’altérité. Les manifestations identitaires de Menaud comme celles de Jean Lévesque évoluent à partir d’une identité collective – celle de l’idem – vers l’identité unique d’individu – celle de l’ipse. Ces configurations seront analysées aux niveaux narratif et discursif, notamment à travers la focalisation et la modalisation narratives telles que conçues par Landowski, afin d’élucider les opérations sémiotiques qui engendrent et sous-tendent la création de leur identité-ipséité. Menaud finit par s’aliéner de sa collectivité en sombrant dans la folie, altérité extrême, après une lutte masculine épique pour sauvegarder « sa » terre. Jean Lévesque se démarque ultimement de l’identité masculine de son époque en refusant la vie de soldat pour devenir ingénieur et, ce faisant, accède à un monde refusé à la majorité des jeunes hommes qui l’entourent et dont le destin est de partir à la guerre.

 Annie Ernaux, une œuvre “à la jointure du familial et du social” », Pierre-Louis FORT, Université de Paris XII

Dans Une femme, Annie Ernaux définit son projet en convoquant d’emblée le « personnel » et le « collectif » : « Ce que j’espère écrire de plus juste se situe sans doute à la jointure du familial et du social, du mythe et de l’histoire ». Si cette volonté de jouer sur la dimension intime et la dimension universelle, cette manière d’alterner – mieux même, de mêler – ce qui est de l’ordre de l’« histoire » (familiale et personnelle) et ce qui est du ressort de l’« Histoire » (événementielle et collective) est ici clairement exprimée, force est de constater que c’est l’ensemble de l’œuvre qui se joue dans cette perspective. C’est donc à celle-ci, aux ressorts de ce que l’auteure appellera ailleurs l’« autosociobiographie » – néologisme dont la composition souligne justement l’oscillation permanente de l’œuvre entre « histoire » et « Histoire » – que sera consacrée cette communication.

 

Lundi 26 juin, 10h45-12h15

Session I. L’interculturel dans le cinéma québécois

Président : Denis BACHAND

Secrétaire : John Kristian SANAKER

« La Sarrasine de Paul Tana : langues, cultures – conflits, réconciliation », John Kristian SANAKER, Université de Bergen

Dans le domaine de la francophonie, les rencontres de cultures se produisent souvent par rapport à un axe nord-sud : l’Europe et l’Afrique, la France et le Maghreb, le Québec et Haïti, et la toile de fond est le plus souvent l’immigration et/ou le colonialisme. La Sarrasine de Paul Tana (1992) se réfère à une période dans l’histoire du Québec où la rencontre de cultures nord-sud n’implique pas encore les immigrés de couleur. Le sud, dans le film de Tana, c’est la Sicile qui débarque en Italie. Par son beau film de fiction, Tana exploite une matière historique intéressante, à savoir la difficile intégration de la communauté italienne dans le Québec francophone au début du XXe siècle. Un des outils principaux de Tana dans sa mise en scène de cette rencontre de cultures conflictuelle, est une mise en langue systématique de la diversité culturelle et linguistique. Le français du Québec, l’anglais, l’italien standard et le sicilien, voilà les quatre idiomes qui contribuent à structurer ce récit émouvant qu’est La Sarrasine.

« De la Négritude dans le cinéma québécois. À tout prendre et Golden Gloves », Boulou E. de B’BÉRI, Université d’Ottawa

La notion de négritude a souvent été avancée pour décrire la « rencontre » des différences et les « exclamations » politiques de ces mêmes différences faisant face à une idéologie dominante. Comment À tout prendre (Claude Juras, 1963) et Golden Gloves (Gilles Groulx, 1961) se réapproprient-ils cette notion de négritude pour représenter « l’Autre » comme une altérité intrinsèque aux identités québécoises à l’ère de la Révolution tranquille ? Comment ces deux films démontent-ils les procédures idéologiques de construction de l’autre pour en faire une entité au centre du discours culturel québécois ?

« Travestissements et perversions identitaires dans Le Temps des bouffons de Pierre Falardeau », Francis TREMBLAY, Université du Québec à Montréal

Avec le documentaire intitulé Le Temps des bouffons et réalisé en 1985, Pierre Falardeau n’a pas essayé de mettre de gants blancs pour montrer ce à quoi ressemble une certaine frange de la bourgeoisie canadienne. C’est ce regard incarné dans des plans dénués d’artifices et commentés avec des mots incisifs qu’il s’agit d’analyser dans le but d’en saisir les gestes se référant explicitement à des individus dont les travestissements rejoignent les perversions identitaires d’une classe sociale qui pratique impunément au Québec le plus vil des colonialismes depuis 1760.

« Identités migrantes et figures paternelles dans le cinéma québécois contemporain », Denis BACHAND, Université d’Ottawa

Deux thèmes majeurs émergent de la production cinématographique québécoise de ce début du XXIe siècle : les relations père-fils et la diversité culturelle. Ces deux vecteurs convergents d’interrogation identitaire questionnent les fondements de la personnalité des points de vue des filiations individuelle et collective. D’une part, l’on est témoin d’un retour du refoulé au moment où les fils s’emploient à apprivoiser la figure inaugurale de l’Autre : ce père admiré et mal-aimé tout à la fois. Et l’on assiste, d’autre part, à l’exploration des ramifications ethnoculturelles de plusieurs cinéastes désireux d’exhumer des racines plus ou moins enfouies profondément lors des mouvements migratoires. Notre analyse portera plus spécifiquement sur les films Mémoires affectives de Francis Leclerc (2004) et Littoral de Wajdi Mouawad (2004), deux récits qui déclinent des variantes d’une interrogation commune portant sur l’identité et l’altérité.

Session II. Mythes et Exotismes : Le Clézio

Présidente : Bénédicte MAUGUIÈRE

« Le mythe du “désert rêvé” de J.-M.G. Le Clézio modifie la poïétique du “désert vécu” de Jemia et J.-M.G. Le Clézio », Murielle MARTIN, Université Heinrich Heine

La réflexion sera structurée autour de deux axes : 1) La lecture tardive de l’auteur par lui-même demeure l’« événement d’un vécu phénoménologique » modifiant l’« anamnèse du mythe rêvé » (Désert, 1980) ; 2) La méthodologie de la « lecture » et une mise en place d’une nouvelle « stratégie » face à des mythologies « rapportées et oscillantes » (Gens des nuages, 1997). L’ambition finale de l’auteur retiendrait une méthodologie comme mise en œuvre d’une manière de penser la dignité de deux héros appartenant à deux périodes de l’histoire des peuples du Sud marocain. L’auteur s’attacherait à montrer que la logique du paradoxe de la « relecture » travaille et éclaire toutes les strates et les étapes de son cheminement littéraire par un correctif du mythe de l’exotisme. Néanmoins, il convient de signaler la constante crise de l’information de la mythologie personnelle de l’auteur du « désert rêvé ou mythe rêvé » (Le Clézio) face à une multiplicité d’images en fluence venues s’adjoindre à des mythologies « rapportées », « oscillantes », anéanties avant même d’exister.

« Le mythe au féminin dans La quarantaine et Le chercheur d’or de J.-M.G. Le Clézio », Fouzilla SAADY, Université de Louisiane at Lafayette

Nous voulons montrer dans cette communication que si la quête intérieure est une thématique essentielle des œuvres de J.-M.G. Le Clézio, celle-ci passe invariablement par l’élément féminin. Dans La quarantaine (1995) et Le chercheur d’or (1985), le mythe de la femme originelle est réactualisé, et dans Désert (1980), bien que le contexte soit arabo-musulman, la femme est représentée comme différente mais non opposée. La femme dans l’œuvre de Le Clézio contraste avec sa représentation dans les romans maghrébins,  l’œuvre de Tahar Ben Jelloun notamment, où la femme est posée comme « objet ». Dans l’œuvre de Le Clézio, où elle se manifeste comme « sujet », la complémentarité et la dynamique entre le féminin et le masculin deviennent même une partie intégrante de la quête intérieure. Une approche mythocritique nous semble la mieux appropriée pour montrer comment la symbolique du féminin est constitutive de cette quête intérieure.

« Le mythe de la création du monde dans l’œuvre de Le Clézio : Désert », Monique MICHEL, Université de Louisiane à Lafayette

À travers mon intervention je voudrais surtout faire émerger le dimension mythique et symbolique de la naissance du monde dans le roman de Le Clézio, Désert. Si toute réalisation artistique est déjà en soi un microcosme, l’œuvre de J.-M.G. Le Clézio nous renvoie invariablement aux mythes des origines. Dans Désert Le Clézio nous livre, en effet, une vision poétique et originale de la création du monde. Du désert sur lequel règne le souffle divin naissent les hommes et le cosmos comme dans un rêve. La symbolique du désert en tant qu’espace mystique, lieu de naissance et de renaissance constituera ainsi la ligne directrice de cette étude. Des liens seront enfin établis avec la Bible (La Genèse) et le Coran.

Session III. Considérations linguistiques francophones

Présidente : Phyllis WRENN

Secrétaire : Mark LOGUE

« L’image stéréotypée de la France et des Français à travers des annonces publicitaires dans la presse écrite. Étude comparative des publicités françaises, roumaines et portugaises », Andreea TELETIN, Université Paris VIII et Université de Bucarest

Le discours publicitaire est un genre discursif avec un contrat de communication spécifique, un espace de stratégies persuasives par excellence. Le regard sur l’autre qui comprend en même temps un regard sur soi-même représente la valeur-matrice de notre siècle, qui se veut multiculturel, et la publicité n’a pas tardé à se servir de ce topos. Notre principal objectif sera d’analyser les images stéréotypées de la France et des Français dans 30 annonces publicitaires de langue française, roumaine et portugaise. Notre corpus comprend deux types d’annonces publicitaires : des publicités touristiques qui proposent des représentations de la France en tant que destination idéale pour les loisirs et la culture et des publicités pour des produits typiquement français comme les vins, les voitures et les parfums. Toutes ces images ont à la base des représentations partagées comme le dit clairement Ruth Amossy, le stéréotypage étant une « opération qui consiste à penser le réel à travers une représentation culturelle préexistante, un schème collectif figé ». Les stéréotypes sur la France et les Français dans le discours publicitaire comportent des aspects sémantiques et pragmatiques qui mériteraient une étude approfondie. C’est dans cette perspective que nous nous proposons d’aborder la complexité liée aux phénomènes de stéréotypage, en particulier par le biais de l’analyse des présupposés et des procédés de modalisation. L’approche comparative des publicités (françaises, roumaines et portugaises) nous permettra de réfléchir sur les relations interculturelles, ainsi que sur le fonctionnement et la véracité des images véhiculées.

« Les mots d’emprunt français en roumain », Mark LOGUE, University of Toronto

La Roumanie est un pays de l’Europe de l’est où l’influence française a été particulièrement forte. Le roumain est une langue romane qui a également subi des influences slaves assez importantes. Je propose de parler des mots d’emprunt français en roumain à travers les siècles. La présence du français en Roumanie et des emprunts français en roumain témoigne d’une certaine francophilie. S’agit-t-il d’une influence sur toutes les couches sociales, ou uniquement sur les élites ? La communication que je propose serait plutôt sociolinguistique. Une liste des mots d’emprunts peut être intéressante, mais s’agit-t-il d’emprunts éphémères ou d’emprunts qui ont vraiment marqué la langue ? Est-il possible de discerner l’influence culturelle de la France en Roumanie à travers les mots d’emprunt ? Je tenterais de répondre à ces questions dans ma communication.

« Théorie de l’humour et cohérence du discours chez les monologuistes francophones », Phyllis WRENN, Simon Fraser University

L’analyse de l’interaction entre l’énonciation et l’énoncé, élaborée par Wallace Chafe (Discourse, Consciousness and Time, 1994) a fourni le modèle pour décrire à la fois les données lexico-sémantiques et les particularités grammaticales (par exemple les structures morpho-syntaxiques et la structure phrastique) du discours, en tenant compte aussi de l’interaction locuteur/interlocuteur au niveau de l’énonciation. Je propose de reprendre et d’élargir ce modèle afin d’interpréter, dans une analyse de monologues d’humoristes francophones, certaines stratégies linguistiques que Chafe identifie comme étant caractéristiques : a) du déroulement de l’information, par exemple, l’exigence d’un sujet léger (« Light Subject Constraint »), l’accessibilité de l’information (Identifiability and « Definiteness »), l’exigence d’une seule idée nouvelle (« One New Idea Constraint »), la hiérarchisation des thèmes et des énoncés ; et b) de la différenciation entre les modes du rapprochement et de la distanciation présents dans le langage de la conversation courante, par exemple les marques d’un immédiat distancié et celles d’une distanciation intégrée au déroulement de l’information. L’étude détaillée d’un choix de sketches humoristiques, des sketches représentatifs de types différents de textes dans l’œuvre d’auteurs/humoristes français et québécois et classés selon leur structure notionnelle (narrative, expositive, dramatique), aura pour but de montrer comment ces amuseurs exploitent ces stratégies linguistiques pour obtenir l’effet comique qui est l’essence de leur art. Cette étude comprendra également certains aspects matériels tels que la durée du sketch ainsi que le mode de réalisation, publiée ou dramatisée.

Session IV. Guerre et littérature I

Présidente : Claire KEITH

Secrétaire : Mark BENSON

« La guerre des intégristes algériens : littérature et dénonciation de Rachid Boudjedra à Malika Mokeddem », Armelle CROUZIÈRES-INGENTHRON, Middlebury College

Dans le contexte de l’intégrisme en Algérie, dénoncer la violence par l’écriture et la littérature est une manière de montrer son opposition, son refus, sa rébellion. C’est aussi faire preuve de courage et risquer de mourir à tout instant. Écrire la violence au début des années quatre-vingt-dix pour des écrivains algériens comme Malika Mokeddem ou Rachid Boudjedra relève donc du domaine de l’éthique, de la conscience morale et de l’acte politique. Ce n’est pas une question de genre ou de sexe, car il s’agit d’un moment dans l’histoire de l’Algérie où la mort ne peut plus être fantasmée dans l’écriture, mais est bien réelle et présente. Exposer la violence dans le texte littéraire, c’est confronter sa propre mort dans l’univers rétrécissant et étouffant qu’est celui de l’Algérie de cette époque.

« Jeux de voiles, guérillères et (re)conquête : Assia Djebar, L’Amour, la fantasia », Christiane P. MAKWARD, Pennsylvania State University

Pour éclairer les choix et les parti-pris, les (im)prudences de l’auteure dans ce roman, on recherchera le méta-discours inscrit dans le texte, avec la centralité de l’écrit et de la forme épistolaire comme échappatoire des filles (et de la romancière) sur le monde, ainsi que la problématique familière de la langue de l’Autre employée pour le (re-)conquérir. On observera aussi la structuration narrative très formaliste – autre voile –, mais le cœur de l’analyse s’attachera aux ambigüités du récit. L’accent est mis sur la dialogisation à tous les niveaux : textes historiques et pseudo récits de vie, voilage des références autobiographiques, et emploi d’une écriture artiste opaque pour dénoncer et faire l’éloge du rapt du pays. On a surtout retenu de ce roman une dénonciation flamboyante de la conquête et de la guerre. Il convient aussi de faire état des techniques du voilage qui transforme l’histoire en œuvre d’art de tendance académique et revendique le droit de subir le charme de l’ennemi.

« L’absurde odyssée de l’enfant soldat chez Ahmadou Kourouma », Lisa FRIEDLI-CLAPIE, University of Washington

Le devoir du héros est d’explorer le territoire non-sanctifié. Le Liberia, un pays ravagé par la guerre civile et l’anarchie depuis 14 ans, a perdu toute notion de sanctification. C’est à travers ce paysage apocalyptique que Birahima, l’enfant protagoniste d’Allah n’est pas obligé, se fraie un passage. Son odyssée est l’image inversée de celle de son ancêtre mythique, le héros sans pair, Soundjata. D’origine malinkée, tout comme Birahima, Soundjata avait surmonté toute épreuve afin d’atteindre la gloire et le royaume qui lui étaient destinés. Ce parcours du héros classique ne sera jamais à la portée de Birahima car son monde est vide de sens. En dépit des horreurs qu’il subit, Birahima survit et se dédie à sa quête avec une ténacité inouïe. D’où puise-t-il sa force ? Délaissé par les dieux, Birahima, rejeton devenu enfant-soldat, ne confronte que l’absurdité telle que Camus l’a définie dans Le Mythe de Sisyphe. Birahima continue sa quête dans Quand on refuse on dit non qui traite de son retour au pays natal. Ce récit conclut le parcours circulaire du héros mythique pendant qu’il souligne l’actualité historique d’une aventure peu rassurante. Comme l’affirme Claude Meillassoux, les mythes renchéris par l’actualité signalent leur engagement politique. Dans cette perspective, le conte horrifique de Birahima, en tant que mythe de transformation décrie l’inhumanité de la guerre et le chaos post-colonial qui l’a engendrée. Cette communication explorera les limites de la transformation de Birahima en héros ainsi que les possibilités d’initiation héroïque offertes par son expérience absurde.

 

Lundi 26 juin, 14h15-15h45

Session I. La Francophonie littéraire aux Balkans I

Président : Georges FRÉRIS

Secrétaire : Elena-Brandusa STEICIUC

« Francophonie et émancipation. Le cas d’André Kédros », G. Olympia ANTONIADOU, Université Aristote de Thessalonique

En précisant ce que signifie la francophonie – acte d’écrire en français – pour l’auteur francophone grec, André Kédros, on va essayer d’expliquer pourquoi il a fait ce choix, surtout parce qu’il s’agit d’un auteur engagé politiquement. Ensuite, on s’attardera à démontrer que la langue française est pour lui un outil, une fin : (a) pour dénoncer le système capitaliste qu’il condamne personnellement ; (b) pour critiquer l’application du socialisme établi et pratiqué dans certains pays ; et enfin (c) pour insister sur la solidarité humaine, idéal issu du contexte socio-chrétien européen et des idéaux de la Révolution française qu’il défend. Pour parvenir à son objectif, il utilise un « exotisme » imaginaire spécial où utopie et réalité se confondent. À l’aide d’exemples précis de l’œuvre de cet auteur grec, né en Roumaine mais ayant fait des études en Suisse Romande et ayant vécu en France, nous démontrerons que l’« exotisme » imaginaire en littérature est un moyen pour s’émanciper de la réalité.

« À la quête de l’identité “singulière” de Clément Lépidis, écrivain grec francophone », Katerina SPIROPOULOU, Paris XIII Nord

Naturalisé français, Clément Lépidis incarne parfaitement les vertus de l’intégration par l’école et la culture. D’un couple mixte, d’une mère française et d’un père grec qui quitta son Anatolie natale en 1910 parce qu’il refusait d’être enrôlé dans l’armée turque, Clément Lépidis demeura un écrivain considérablement marqué par ses identités multiples ; « francité », « grécité » et engagement espagnol sont les trois aspects de son œuvre dont l’écriture s’effectue par le biais de la langue française. Loin des écrivains francophones bilingues, Lépidis n’a pas eu un traumatisme linguistique, ne s’est jamais demandé « pourquoi écris-je en français ? » ; seule langue apprise, le français lui servira comme seul outil arme d’expression face à ses identités. J’envisagerai d’abord, l’assimilation tranquille de l’écrivain dans la langue française à Belleville et l’exil du langage paternel que Lépidis n’entend que par les immigrés de son quartier ; immigré lui aussi, de deuxième génération, il ressent la migration du père comme déracinement. À partir de ce terme, je passerai ensuite à la façon dont Clément Lépidis construit ses identités. Le fait d’appartenir à la Grèce, à l’Orient et à la France l’oblige à penser toujours plusieurs mondes à la fois. Conscient de la richesse de la multiplicité des cultures qui sont mélangées, Lépidis n’est pas capable d’opter pour l’une ou l’autre. Il apprend à avoir plusieurs points de vue et sa quête identitaire se construit moins dans le rapport à soi que dans le rapport à l’Autre.

« La littérature francophone : lien entre périphérie et Centre », Georges FRÉRIS, Université Aristote de Thessalonique

Cette communication vise, sinon à expliquer le pourquoi de l’existence de la littérature francophone aux Balkans, du moins à comprendre le pourquoi de sa création. Il s’agit de voir comment s’est développée cette production littéraire, qui en principe coïncide avec l’essor de la littérature nationale des pays balkaniques, c’est-à-dire au XIXe siècle. À cette époque toutes les littératures, en particulier celles des pays qui venaient d’acquérir leurs indépendances, imitaient et étaient orientées vers la littérature française. C’est pourquoi les principes de l’imitation, adaptation, création, ont joué un rôle très important et ainsi s’est développé et créé une sorte de lien culturel entre le Centre (Paris), admiré, respecté, imité, et la périphérie (les Balkans), où tout l’effort était de traduire, puis d’adopter et d’adapter avant de créer, les « exigences » du Centre. Par conséquent, la littérature francophone des pays balkaniques a joué un double rôle. D’un côté elle a encouragé les nouvelles littératures, « en voie de développement » à l’époque, à se moderniser et à se développer, et d’autre part, elle a permis à la littérature française de connaître d’autres horizons et d’autres paramètres. Les cas de J. Moréas et de G. Séféris, mais aussi d’Ionesco et de bien d’autres auteurs, illustrent les liens existant entre Centre et périphérie, au profit des deux parties concernées.

Session II. Le Canada vu par l’étranger dans les romans d’aventures du XIXe siècle et du début du XXe siècle

Président : Jean LEVASSEUR

Secrétaire : Rémi FERLAND

« Aventures au Canada : L’Épopée blanche de Louis-Frédéric Rouquette (1884-1926) », F. X. EYGUN, Mount Saint Vincent University

Louis-Frédéric Rouquette fut un auteur apprécié au début du XXe siècle et ses récits d’aventures ont marqué plusieurs générations de lecteurs qui se sont ouverts, grâce aux talents de l’auteur, à de nouveaux horizons. Certains de ses romans n’ont d’ailleurs jamais cessé d’être republiés. Le Canada, surtout le grand Nord, est au centre d’au moins trois de ses romans : Le Grand silence blanc, La Bête errante et l’Épopée blanche. Ce Jack London français a voyagé à travers tout le Canada et, dans L’Épopée blanche, il dresse un portrait des débuts de la colonisation de l’Ouest et de l’œuvre missionnaire des Oblats. Dans cette présentation, nous proposerons donc une relecture de cette œuvre par rapport au concept de roman d’aventures, ainsi qu’une analyse de l’idéologie sous-jacente.

« Une horrible aventure de Vinceslas-Eugène Dick : une caricature des lieux communs français sur le Canada », Rémi FERLAND, Université Laval

En 1875, l’écrivain québécois Vinceslas-Eugène Dick (1848-1919) publiait son premier roman, intitulé Une horrible aventure. Par rapport à la production qui allait suivre, ce titre constitue une sorte de préambule ironique et mené au second degré, avant la prise en charge d’un genre ensuite pleinement assumé, celui du roman d’aventures. En effet, si Le roi des étudiants (1876), L’enfant mystérieux (1880-1881), Un drame au Labrador (1895), et Les pirates du Saint-Laurent (1906) s’inscrivent de plain-pied dans une tradition éprouvée, le coup d’envoi de cette série constitue plutôt une variation amusée sur certaines des recettes propres au genre. L’œuvre montre un jeune dilettante québécois féru de lectures romanesques et qui rêve de connaître une aventure semblable à celles qui font ses délices. Pour ce faire, il se transporte dans la capitale de l’aventure romanesque, Paris, où il se portraiture auprès de ses commensaux comme un héros canadien. L’affabulation se nourrit et prend forme à même les attentes de ses interlocuteurs, une Nouvelle-France réinventée à la mesure de leur ignorance comme de leurs fantasmes. Une horrible aventure donne ainsi à voir, à partir des lieux communs français, une vision de l’étranger sur le Canada. Cette communication proposera les linéaments de cette identité canadienne fantaisiste, mais cherchera aussi, dans la production romanesque française dont s’inspira ou put s’inspirer l’auteur, l’origine et la justification d’une pareille caricature. Car d’évidence Une horrible aventure est l’œuvre d’un auteur novice mais aussi d’un lecteur déjà aguerri, qui tourne en dérision les poncifs d’une certaine littérature sur le Canada.

« Maria Chapdelaine de Louis Hémon ; la vision exotique d’un roman d’aventures », Jean LEVASSEUR, Université Bishop’s

Traduit dans plus d’une vingtaine de langues, objet de trois adaptations cinématographiques et de nombre d’adaptations théâtrales, d’imitations et de pastiches, le « classique québécois » que devint Maria Chapdelaine, huit ans après la mort de son auteur, un Français n’ayant passé qu’une vingtaine de mois au Québec, a curieusement toujours été considéré comme la plus belle réussite du roman agriculturiste. Paradoxalement, ce genre était éminemment tributaire d’une tradition ultra-catholique datant de plusieurs décennies déjà, tradition dont un étranger de passage ne pouvait évidemment subir l’influence. L’objet de notre intervention sera de démontrer que, plutôt qu’un roman de la terre comme il s’en publia à cette époque près de quatre-vingts, Maria Chapdelaine s’inscrit, malgré certaines influences issues de réalités géographiques, historiques et sociales, dans la lancée des romans d’aventures du XIXe siècle, et qu’il est ancré dans un exotisme d’inspiration française et un style fougueux qui expliquent en grande partie son succès populaire, contrairement à la fortune des autres romans de type « agriculturistes ».

Session III. Paris, terre promise et la diaspora est-européenne

Présidente : Domnica RADULESCU

« “Français, peut-être eussé-je été un poète génial !” Eugen Ionescu et Eugène Ionesco », Jeanine TEODORESCU, Lexington College

Dans Nu (Non) (1934), sa collection d’essais critiques et de pages de journal, le Roumain Eugen Ionescu, poète à ses débuts littéraires, avoue à ses lecteurs l’inavouable : il « souffre comme une bête de ne pas être le plus grand critique d’Europe ». Ce cri de douleur ne suffit pas ; Ionescu se propose de démolir le « mythe » de la littérature roumaine, en attaquant farouchement ses « étoiles » : écrivains, poètes et critiques littéraires. Le complexe d’infériorité de la littérature roumaine trouve dans Ionescu son représentant idéal : les écrivains roumains seront toujours dans l’ombre de leurs condisciples français, et seront jugés par le jeune auteur à travers une comparaison obsessionnelle qui ne sera jamais à leur avantage. Eugen Ionescu, complexé lui-même par son appartenance à une littérature provinciale, se venge toujours à sa façon. Comme il n’est pas satisfait par l’attaque contre les littérateurs roumains, il va aussi s’attaquer à une idole française : Victor Hugo. Ses articles parus en 1935 et 1936 seront publiés sous le titre : Hugoliade (Viata groteasca si tragica a lui Victor Hugo). Dans cette anti-biographie satirique, l’humour (méchant) de Ionescu est irrésistible. Mais c’est en France que Ionescu, l’enfant terrible de l’intelligentsia roumaine, trouvera sa vraie vocation : le théâtre. C’est Eugène Ionesco et sa Cantatrice chauve qui deviennent célèbres. Mais est-ce que le dramaturge français d’origine roumaine oubliera tout à fait son pays des Balkans ? Dans ses journaux publiés en France, Ionesco utilise parfois des mots roumains avec une certaine nostalgie et affection, surtout lorsqu’il donne des citations d’Eminesco, le plus grand poète des Roumains. Mais il n’oublie pas les souvenirs tristes ou même tragiques d’un pays en proie au totalitarisme vert et ensuite rouge. Le pays idéalisé, la France, n’échappera pas non plus à la critique lucide d’un citoyen et écrivain qui se sent trahi. D’un exil à l’autre, le parcours initiatique de Ionesco devient littérature.

« O.V. de L. Milosz, poète français, Européen de choix », Katarzyna JERZAK, University of Georgia

En décrivant l’enfance à Czereïa d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, l’homme que Oscar Wilde a appelé « la poésie elle-même », Czesław Milosz se demande : « Dans quelle langue pensait-il alors ? À la maison on parlait le polonais, mais sa gouvernante alsacienne lui a appris très tôt l’allemand et le français. À l’âge de douze ans il était trilingue. » O.V. de L. Milosz, fils d’un aristocrate lituanien polonisé et d’une mère juive polonaise, est né en 1877 dans le Grand Duché de Lituanie (aujourd’hui en Biélorussie), et est mort – citoyen français naturalisé – en 1939 a Fontainebleau. Il est arrivé à Paris en 1889. En 1899 il publie son premier livre de poésie en français, mais cinq ans plus tard, après un séjour de presque deux ans à Czereïa, il publie également ses seuls poèmes polonais à Varsovie. Il se considère lui-même en tant que « poète lituanien de la langue française », une autodéfinition qui esquive la question d’identité. Comment peut-on être lituanien ? Comment peut-on être lituanien quand on ne parle pas le lituanien ? Comment peut-on être lituanien, ajoutons encore, en Pologne, c’est-à-dire nulle part ? Or, à Paris, Milosz choisit la nationalité lituanienne, comme il choisit l’appartenance au domaine français en poésie. C’est son exil et son manque de patrie véritable qui lui offre la liberté de ce choix. Poète français, il est diplomate du jeune état lituanien ; traducteur de la poésie anglaise, allemande, polonaise et russe, il étudie aussi les langues orientales et maîtrise l’hébreu et l’assyrien. En effet Milosz est un Européen, l’homme venu de la marge de la culture occidentale qui s’installe dans la capitale de l’Ouest pour y proclamer un héritage mystique oriental.

« Le théâtre de Matei Visniec et les violences de l’histoire », Domnica RADULESCU, Washington and Lee University

Une des nouvelles étoiles du théâtre français contemporain, Matei Visniec, poète et dramaturge d’origine roumaine, enchante depuis quelque temps les scènes parisiennes et celles des festivals internationaux de théâtre comme celui d’Avignon, avec un discours dramatique qui se situe dans la lignée de son compatriote et génie de l’absurde, Eugène Ionesco, mais qui apporte en même temps une forte voix originale où l’élément carnavalesque se combine avec une profonde conscience politique et une vision lucide des violences de l’histoire. Je voudrais analyser les moyens dramatiques, surtout ceux du grotesque, de l’absurde et du carnavalesque, utilisés par Visniec avec tant d’aplomb dans son théâtre, et qui reflètent à la fois la tentative de témoigner et de dépasser la rupture et les traumatismes causés d’un côté par l’expérience et le souvenir des atrocités du XXe siècle en Europe (le fascisme, le stalinisme, la guerre de Bosnie,) et par l’expérience personnelle de l’exil, de l’autre côté. En utilisant la théorie bakhtinienne du carnaval, je vais démontrer que, soit dans la pièce inspirée par les viols de masse soufferts par les femmes pendant le guerre de Bosnie, soit dans la pièce sur les horreurs de la période stalinienne, soit dans son tour de force Beckettien de commedia dell’arte sur la vie de trois clowns italiens juifs, qui vivent en marge de la société, Visniec se sert des moyens comiques extrêmes, comme forme de dénonciation et de résistance aux injustices de l’histoire. En même temps, la diversité culturelle des lieux, de ses personnages, leur non-patriotisme et leur détachement de tout sentiment national ou nationaliste, témoignent du déracinement de l’exilé dans le sens positif élaboré par Edward Said, et selon lequel c’est précisément le déracinement qui a le potentiel de mener à une vraie compréhension du monde, du moi, et de l’autre.

Session IV. Anna de Noailles entre la Roumanie, la Grèce et la France

Présidente : Claude MIGNOT-OGLIASTRI

Secrétaire : Catherine PERRY

« La Roumanie, terre paternelle et patriarcale », Catherine PERRY, University of Notre Dame

Dans l’œuvre d’Anna de Noailles la figure paternelle, à la fois originaire et patriarcale, est l’objet d’une forte ambivalence. Directement liée au père de Noailles, Grégoire de Brancovan, la Roumanie n’apparaît presque jamais dans l’œuvre. Ce n’est qu’en 1928, dans la préface aux Poèmes d’enfance, que l’on trouve un début d’explication pour ce silence : le décès de son père, survenu lorsque l’écrivaine avait à peine dix ans. En 1932, dans Le Livre de ma vie, Noailles décrira plus amplement cet événement capital pour son œuvre, y compris les obsèques de Grégoire de Brancovan en Roumanie. Ainsi le monde du père est intimement lié à la mort, figure centrale qui révèle la présence du père « en creux » dans toute l’œuvre de Noailles. Si la Roumanie se manifeste à peine dans son œuvre, la correspondance de Noailles durant la Grande Guerre révèle toutefois que l’écrivaine se préoccupait de ce pays et suivait son évolution de près.

« Correspondance Anna de Noailles-Henri Franck : Écriture de l’amour et esthétique de l’intériorité », Élisabeth HIGONNET-DUGUA, Tufts University in Paris

Cette communication montrera comment la correspondance d’Anna de Noailles avec le jeune poète Henri Franck représente une conception de l’amour qui incarne parfaitement l’esthétique de l’intériorité propre à Anna de Noailles, encore plus présente ici que dans sa correspondance pourtant étendue avec Maurice Barrès. Sera ainsi révélée la constante de cette esthétique, que cette correspondance prolonge et que l’on retrouve dans toute l’œuvre : la poésie, les trois romans, les nouvelles et autres textes courts.

« Anna de Noailles “l’Orientale” ? », Claude MIGNOT-OGLIASTRI, Université Paul-Valéry/ Montpellier III

Qualifiée ainsi dès l’enfance (« la Petite Assyrienne »), Anna de Noailles a rencontré en 1903 le rêve barrésien de l’Orientale et accepté de l’incarner (elle inspirera l’Oriente du Jardin sur l’Oronte). Mais comme femme et comme poète, elle ne doit pas y être enfermée. Par ses origines familiales, l’Orient commence au Danube : la Roumanie est présente au long de sa vie (en témoignent un « compliment » écrit en roumain à 9 ans ou un beau poème de 1929), même si le double héritage hellénique prédomine. Mais Anna de Brancovan naît, vit, étudie, aime à Paris. C’est la culture française qui lui révèle la Grèce antique, la Bible, Les 1001 Nuits ou les poètes persans. L’hellénisme du Cœur innombrable, nourri de l’Anthologie, rend déjà un son bien personnel : le poème « Bittô » érotise la nature. Après 1903, dans Les Éblouissements, « l’Asie », c’est Barrès, dont le nihilisme oriental influence Noailles, qui consent à être Grecque ou Persane. Mais quand il veut voir en elle l’Orientale « défaillante », elle résiste et préfère la Grèce héroïque et voluptueuse. À l’incitation de Barrès, elle voyage, voit la Sicile à défaut de la Grèce, mais ne se laisse pas entraîner en Égypte ou en Asie mineure (il ira seul). Pour elle, nul vrai besoin d’un « Voyage en Orient » (comme l’ont fait Chateaubriand, Nerval, Loti) : son Orient n’est pas l’actuel, mais le légendaire. C’est une quête d’identité, un moyen de « multiplier son cœur » (elle est Nausicaa, Cléopâtre, Shéhérazade, l’adolescente chinoise, et tant d’autres...). L’Orient est toujours au-delà de l’Orient. Si elle étend sa patrie jusqu’aux confins de l’univers, elle situe aussi son commencement aux origines. Son don d’ubiquité embrasse l’espace et le temps.