CIEF, Congrès 2006, 1 juillet: Colette Nys-Mazure et Béatrice Libert

Index des résumés

20e Congrès à Sinaïa

25 Juin - 2 Juillet 2006

Résumés des communications

Samedi 1er juillet 2006

 

Samedi 1er juillet   09h00 – 10h30

Session II. Littérature face à la violence

Présidente : Élisabeth MUDIMBE-BOYI

Secrétaire : Mimi MORTIMER

« La littérature d’engagement : Boubacar Boris Diop, Murambi, le livre des ossements », Mimi MORTIMER, University of Colorado, Boulder

Je propose une analyse de Murambi, le livre des ossements de Boubacar Boris Diop car le texte traite de la notion de l’engagement en nous faisant revivre une crise politique qui a marqué la fin du XXe siècle, le génocide rwandais de 1994. Je choisis ce texte à cause de la perspective de l’écrivain et celle de son personnage principal, Cornelius. Diop a visité les sites du massacre quelques années après le génocide et a découvert que cette expérience a modifié son rapport à l’écriture et sa vision du monde. Ayant choisi de témoigner, il se sent impliqué en tant qu’Africain bien qu’il soit « étranger » en tant que Sénégalais. Son personnage principal est le prototype de l’enfant prodigue. Ayant passé la période de violence en dehors du pays, Cornelius rentre chez lui quelque temps après pour confronter un passé douloureux. En faisant parler les victimes et les bourreaux, Diop nous mène au cœur des paradoxes. Cornelius va découvrir que le bourreau peut être un de ses proches : le bourreau est son père. En nous présentant ce texte complexe et ambigu, le romancier revient à la même question : lorsqu’il s’agit du génocide qui devrait témoigner ? Et comment ?

« L’expérience des limites dans le récit contemporain : l’exil intérieur dans les romans de la dictature », Doinita MILEA, Université Dunarea de Jos, Galati

Les formes littéraires dans leur relation avec la pensée sociale, politique et philosophique contemporaine, donnent naissance à un champ de réflexion à propos de la condition humaine vue par les mécanismes du pouvoir politique, dans l’espace du roman de la dictature. Dans l’espace littéraire de l’Est, ces démarches thématiques exigent à la fois la prise en compte de la différence de perception d’une expérience autre du monde, son organisation intérieure, relevant de l’image de soi ou du don de soi, et aussi de la question si une telle représentation du monde reste compatible avec le réel. Entre les stratégies de la confession et celles des « récits-chroniques » fonctionne cette image du monde qui pèse sur le moi intime, le forçant à émigrer dans un exil intérieur, frustrant, endossé par le personnage, soit ironiquement, soit tragiquement. Des mythes de la solitude humaine relient ces romans dystopiques aux romans de la condition humaine de l’entre-deux-guerres, de telle manière que Malraux, Camus, Sartre, Yourcenar, rencontrent Broch, Papini, Buzzatti, et tous rencontrent Soljenitsyne, Kundera, Czelslav, Milosz, y compris les Roumains tels que Breban, Toiu ou Buzura, dépassant ainsi les frontières linguistiques et socioculturelles.

« Écrivain et politique : le cas algérien », Robert MORTIMER, Haverford College

La situation politique actuelle fait couler beaucoup d’encre parmi les écrivains algériens. À l’époque où l’état vient de commémorer le 50ème anniversaire du déclenchement de la guerre d’Algérie, je propose une analyse de deux textes qui traitent de l’histoire politique du pays : Assia Djebar, L’amour, la fantasia ; Yasmina Khadra, À quoi rêvent les loups. Ayant témoigné depuis la fin de la guerre d’Algérie jusqu’à la guerre civile des années 1990, ces deux romanciers nous offrent des réflexions sur la violence dans une nation à la recherche d’une identité nationale post-coloniale qui semble, à plusieurs égards, lui échapper.

Session III. Des mots entre le rire et les larmes : littérature francophone d’aujourd’hui

Présidente : Jeannine PAQUE

« L’autodérision dans les romans de Jean Muno », Josette GOUSSEAU, Université de Palerme

Avec un regard d’analyste, l’auteur – de son vrai nom Robert Burniaux (1924-1988) – réussit un parcours de romancier où un protagoniste petit-bourgeois prend conscience de son extranéité au monde qui l’entoure. L’île des pas perdus (1967) renonce à l’ironie qui permettait au protagoniste de se défendre de la banalité quotidienne et s’enfonce dans l’amertume. Mais ce constat d’échec est renversé dans Le joker (1972) qui se termine par une révolte du personnage rompant avec ses attitudes habituelles. Avec Ripple-Marks (1976), la révolte éclate dans une férocité allègre qui donne au lecteur une sensation de liberté dans l’écriture, qui se manifeste par ce que Robert Frickx a appelé une « fête des mots ». Celle-ci aura toute licence dans son dernier roman dont le titre même lance un clin d’œil au lecteur : Jeu de rôles (1988) – technique théâtrale utilisée en didactique par le professeur qu’est aussi l’auteur –, ce titre n’est-il pas perçu à l’oral comme « jeu drôle » ? L’autodérision se ressource dans le langage même.

« Les folies langagières de Jean-Pierre Verheggen. Répertoire de titres et formes de “mythorigologie” », Domenica IARIA, Université de Messine

On se propose de codifier et d’analyser les procédés linguistiques et textuels qui dirigent la main du poète belge le plus mordant, le plus piquant, le plus excitant ; de découvrir – au moyen d’un répertoire de titres et de formes – le secret qui transforme sa « violangue », en « poézi », en mythorigologie. Une « lecture élémentaire » des titres des recueils et des poèmes de Verheggen révèle tout de suite que c’est par le procédé de la paronomase que ce poète déforme le plus souvent tout ce qui lui paraît digne de son ironie : Le degré Zorro de l’écriture, Les Folies Belgères, Divan le terrible… Sa matière première est diverse et variable même dans le contexte d’une composition : clichés, proverbes, portraits, titres, prières, litanies, blues… Les changements qu’il opère ne touchent pas la structure choisie, mais un seul élément, le plus marquant, celui qui qualifie la première signification et dont la distorsion peut déterminer comme par anamorphose le ridiculum vitae, dénoncer le côté aigre-doux de notre quotidien et la banalité de nos modèles idéologiques ankylosés.

« Rire et pleurer : François Weyergans », Jeannine PAQUE, Université de Liège

Rire et pleurer est le titre du septième roman de François Weyergans (1990). Il convient à la plupart de ses récits. Soit, la courbe sinusoïdale que trace l’infatigable transition d’un mode à l’autre reflète le pur plaisir du jeu chez celui qui tient la plume et exhibe tant son goût pour la digression que sa virtuosité. Soit, cette alternance entre le rire et les larmes fait écho au vécu du personnage, en proie à ce qui pourrait évoquer un épisode maniaco-dépressif. Mais rien n’est plus éloigné de toute volonté d’édification que les textes de Weyergans. Si le « grand air » de l’homme désemparé ne nous tire pas de larmes, si ce n’est de rire, parfois, il est plein de maestria et c’est en virtuose que le héros va l’interpréter. Tantôt, la formule est simple, dépouillée, vise à cette beauté fraîche que l’auteur vante dans ses écrits. Tantôt c’est le contraire et, au départ d’une expression ou d’un seul terme, Weyergans en multiplie les potentialités et déploie tout un jeu de mots, de sentiments ou de raison, superposant aux variations sur le signifiant les figures de pensée. Deux niveaux de lecture vont ainsi se succéder ou parfois se superposer tout au long de son œuvre. Ce qu’illustre une fois de plus le dernier roman, Trois jours chez ma mère, prix Goncourt 2005.

Session IV. Francophonies canadiennes et québécoise : marges, mémoire et narration

Présidente : Pamela SING

Secrétaire : Estelle DANSEREAU

« Espace, contraintes scopiques et narration : la femme vieillissante chez Claire Martin », Estelle DANSEREAU, Université de Calgary

L’espace social dans les nouvelles de Claire Martin (Avec ou sans amour [1958]) est urbain et bourgeois. Émancipée du rôle domestique typique de la femme dans les milieux ruraux et ouvriers, la femme bourgeoise se voit définie par son corps, seul marque de sa valeur sociale et personnelle. Déambulant les espaces publics étroits et masculins, elle s’aperçoit qu’elle est à la merci du « regard social » (Bourdieu), qu’elle subit avec anxiété mais qu’elle reconnaît comme source de son seul pouvoir. Si les regards venant de l’autre sont devenus une partie intégrale de son identité dans le monde, comment vit-elle son vieillissement dans une société qui valorise la beauté et la jeunesse ? J’examinerai la représentation de l’économie scopique, y compris celle d’auto-surveillance, sur la femme vieillissante en milieu urbain chez Martin. Je m’intéresserai en particulier à la construction identitaire, le regard normalisant et parfois punitif de l’autre, et les contraintes apportées de l’extérieur sur le sujet vieillissant. Pour conclure, j’étudierai cette représentation dans les courts romans que Claire Martin a publiés dans sa vieillesse.

« Entre les marges de la mémoire : narrer l’insaisissable dans Tant que le fleuve coule de Marie Jack », Lise GABOURY-DIALLO, Collège universitaire de Saint-Boniface

Dans une série de courts textes lyriques, où la voix d’Albertine crée l’unité textuelle de Tant que le fleuve coule (Éditions des Plaines, 1998), Marie Jack puise dans le passé et la richesse du souvenir pour raconter différentes scènes « des pays de sa vie intérieure » (quatrième de couverture). Une femme se remémore ses aventures et son regard éloigné, filtré par le temps, semble se focaliser sur des épisodes anodins et surtout sur des êtres mélancoliques, vivant en marge de la société. La narration, à la fois intimiste et réaliste, semble superposer les strates sémantiques, alternant les dits et les non-dits, les imprécisions aux détails significatifs. Parfois flous, souvent incomplets, les fragments textuels révèlent néanmoins une telle densité émotive que l’onirisme qui s’en dégage illumine autrement la simple banalité des activités quotidiennes évoquées. L’humanisme et la sensibilité qui imprègnent Tant que le fleuve coule vont au-delà d’un récit présenté comme une série d’images, où les silences sont reconduits et les lacunes ou trous réinvestis de nouveaux sens. Nous nous intéressons particulièrement à la cohérence étonnante du volume où l’écriture, en créant un pont entre le souvenir et la réalité, tente de capter l’insaisissable. De plus, les destins entrevus de tous ces visages d’êtres marginaux nous fascinent : leurs histoires nous interpellent. Sept récits, situés entre le métarécit et le microrécit, naissent grâce au souvenir qui fonctionne comme charnière et axe commun autour duquel toute l’œuvre se construit.

« “Mozart assassiné” ou l’enfance trahie : la vision pessimiste de Marie-Claire Blais », S. Pascale VERGEREAU-DEWEY, Kutztown University

L’on retrouve chez Marie-Claire Blais le Québec d’avant la Révolution tranquille et le thème récurrent de l’enfance sacrifiée. Jean le Maigre, protagoniste d’Une saison dans la vie d’Emmanuel, et Pauline dans Les Manuscrits de Pauline Archange, sont victimes de la pauvreté et de la dépravation qu’ils exposent. Pauline retrace son enfance à partir de la perspective de l’adolescente qu’elle est devenue et débusque le mythe du roman du terroir et la vision d’un bonheur bucolique illusoire qu’il perpétuait. Comme Jean le Maigre, elle nous peint les détails sordides de souffrances physiques et morales : la faim, le froid mais aussi la violence et la brutalité des sévices subis. Impuissante mais habitée d’une révolte sourde, elle serre les dents et les poings face à un père odieux et brutal. À la fois victime et bourreau, ce dernier ne peut guère donner ce qu’il n’a jamais reçu. Sa mère, elle aussi, est victime de l’ordre patriarcal : bien qu’elle maudisse ses grossesses répétées qui l’usent, elle demeure incapable d’échapper à son sort, se contentant de vomir profusément lors de nausées qui l’empêchent de s’occuper de ses enfants, privés de ses soins et d’affection. Pire encore, elle transmet à sa fille une conscience tourmentée par des scrupules religieux qui paralysent l’adolescente et l’empêchent de résoudre ses contradictions. Blais plutôt que de se livrer à un réquisitoire, nous prend à témoin d’un monde cruel, noir et, après avoir fait de nous des témoins comme elle, nous invite à tirer nos propres conclusions.

« Mémoire, réinvention identitaire et discours culinaire : une pratique mnémonique intime chez les Métis d’ascendance francophone depuis le XIXe siècle », Pamela SING, Campus St-Jean, Université de l’Alberta

Le récit identitaire dans la production textuelle (orale et écrite) des Métis d’ascendance francophone de l’Ouest canadien vise, entre autres, à résister contre la subalternité, l’assimilation et l’effacement sociohistorique. Longtemps (depuis 1885), les Métis d’ascendance francophone ont été considérés comme « le peuple oublié du Canada ». Depuis la médiatisation pancanadienne du cas Powley, le Canada est devenu très conscient de leur existence, mais leur culture demeure peu connue, peu reconnue et forcément méconnue et ce, non seulement par d’autres cultures, mais aussi par leurs propres membres. En effet, ayant assimilé les stéréotypes dévalorisants auxquels a été réduite leur culture, ces derniers se trouvent actuellement dans le processus de réapproprier des pratiques socioculturelles en besoin d’une symbolisation positive. Notre recherche sur la production textuelle des Métis d’ascendance francophone révèle l’importance attribuée à des pratiques locales et personnelles dont, notamment, les mets traditionnels. Dans cette présentation, il s’agira du discours culinaire qui figure dans différents textes mnémoniques franco-métis produits depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours pour ensuite souligner l’évolution dans sa représentation textuelle. À travers la découverte du travail de la mémoire sur la réactualisation d’un paradigme culturel traditionnel, l’étude voudrait contribuer à nos connaissances d’une culture franco-canadienne spécifique, importante à l’histoire de l’Ouest canadien, mais peu comprise. En outre, elle visera à donner un aperçu des manières dont une tradition est réinventée à partir de différents oublis et souvenirs.

 

Samedi 1er juillet, 10h45-12h15

Session I. Femme, j’écris ton nom : la dénomination de la femme dans les écrits littéraires et professionnels

Présidente : Louise-Laurence LARIVIÈRE

Secrétaire : Edwige KHAZNADAR

« Apport de la francophonie dans la dénomination de la femme et de l’homme », Edwige KHAZNADAR, ERSS-CNRS Université Toulouse-Le Mirail

Dans une perspective contrastive, l’exposé présentera d’abord le système de dénomination humaine en français, déjà présenté lors de congrès CIÉF précédents, avec ici un éclairage dirigé sur l’alternance en genre systématique qui le caractérise et les possibilités discursives qui en découlent, étudiées principalement au Québec. En comparaison, on considèrera ensuite le système anglo-saxon non genré de dénomination professionnelle avec ses avantages et ses éventuels inconvénients quant à la visibilité des femmes en discours généralisant. On poursuivra la comparaison avec le système polonais de suffixation diminutive du féminin, qui défavorise tant la dénomination professionnelle individuelle de la femme que toute insertion de référents féminins en discours généralisant. Une dernière partie complémentaire s’essaiera à l’examen, à partir de ce point de vue, des systèmes lexicaux des langues romanes en général, du roumain en particulier, pour conclure sur la nécessaire évolution des mentalités quant à la place sociale des femmes à travers la puissance symbolique du langage, évolution objectivement réalisable en français.

« La femme dans tous ses états dans le TLFi : pour une analyse de discours des Citations lexicographiques », Fabienne Hélène BAIDER, Université de Chypre

Cette communication propose des changements lorsqu’il s’agit des dénominations des êtres masculins et des êtres féminins dans la rédaction des ouvrages lexicographiques, qu’ils soient destinés aux enfants ou aux adultes, à un public de langue maternelle française ou à un public d’apprenants de la langue française. La réflexion présentée dans cette communication se base sur un corpus de centaines de citations des plus grands auteurs de la littérature française et examine comment le sens des dénominations du concept « être masculin » et le sens des dénominations du concept « être féminin » se construisent dans le discours même du dictionnaire, alors que celui-ci devrait jouer le rôle d’exemplum, c’est-à-dire soit représenter, soit expliquer le sens en langue. Au contraire, ces exemples soit construisent, soit valident des stéréotypes de la fonction sociale des êtres féminins et des êtres masculins dans la société. Le fossé entre sens en langue (ontologique) et sens en discours (sociologique) sera déduit de la confrontation des résultats obtenus d’une part avec l’analyse des énoncés selon des analyses sémantiques formelles (telles que celles décrites par la théorie des cas sémantiques) et d’autre part avec une analyse véritablement de discours.

« D’une mère à l’autre ou la “vraie” nature de la mère », Louise-Laurence LARIVIÈRE, Université Concordia et Université de Montréal

Avant l’avènement de la procréatique, des nouvelles technologies de la reproduction, de l’insémination artificielle, de la fécondation in vitro, de la maternité assistée, bref de la « bébéologie » sous toutes ses formes et des transformations sociales qui en découlent, on savait ce que c’était qu’une mère. Une mère, c’était celle qui concevait, portait un enfant, le mettait au monde et en prenait soin jusqu’à l’âge adulte. Il y avait aussi, bien sûr, la mère adoptive qui n’était pas reliée génétiquement à l’enfant qu’elle avait pris en charge, mais qui, légalement, faisait office de mère. Depuis, toute une gamme de termes complexes formés avec le mot mère a fait son apparition. On parle maintenant de mère porteuse, de mère biologique, de mère utérine ou encore de mère sociale, au point où l’on peut se demander si les « enfants de la science », présents et surtout futurs, auront les mêmes certitudes face à la notion de mère. En fait, de nos jours, qu’est-ce donc au juste qu’une « vraie » mère au plan terminologique ?

Session II. Littérature belge : L’effacement, la disparition, le manque

Présidente : Béatrice LIBERT

« La fable occulte chez Béatrice Libert », Jalel EL GHARBI, Faculté des lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba

La communication portera sur l’inscription de la fable dans la poésie belge contemporaine, notamment celle de Béatrice Libert.

« Le malaise d’être soi. Regard sur la question de l’identité culturelle dans les lettres francophones de Belgique », Carmen ANDREI, Université Dunarea de Jos, Galati

Nombreux sont les écrivains belges qui s’interrogent dans leurs œuvres sur le problème de leur identité culturelle. Tout part d’un dilemme linguistique traduit dans la dichotomie : être wallon / flamand et écrire en français, surtout lorsqu’il n’y a pas de connivence entre la région territoriale et la communauté linguistique à laquelle ces écrivains appartiennent. Chez les écrivains français d’origine flamande, les deux cultures suscitent des incertitudes d’identité et engendrent le souci de se créer une langue personnelle, un univers où se nouent rêves, légendes, mythes, hantises, désarroi, émotions, où tout est signe. Notre cheminement dans les lettres francophones belges part des symbolistes (Maeterlinck, Verhaeren), traverse l’entre-deux-guerres, le surréalisme (H. Michaux) et le réalisme magique (Hellens), s’attarde sur les révolutions théâtrales (Crommelynck et Ghelderode) et finit par les littératures régionales de fin de XXe siècle, de vraies rhapsodies du terroir (Marie Gevers). Le désir ardent d’affirmer son identité culturelle aboutit à la consécration de la belgitude, vue comme un refuge dans le pays des lettres où l’on crée son réel, son mythe personnel (Dominique Rolin). Les interrogations identitaires qui sous-tendent la question du multilinguisme et du multiculturalisme se sont aggravées lors de différentes étapes de la fédéralisation du pays. La question incontournable de la langue donne naissance à une interculture, à une aire d’intersection qui s’appelle littérature, territoire où les rapports de force entre la majorité francophone et les minorités néerlandophones sont partiellement suspendus, là où les barrières linguistiques et socioculturelles sont franchissables.

Session III. Optiques psychanalytiques et écrits de l’inconscient

Présidente : Karin EGLOFF

Secrétaire : Annick DURAND

« Une sexualité irrépressible : l’image du père dans La Répudiation de Rachid Boudjedra », Annick DURAND, Zayed University, Dubaï

Publié en France et victime de la censure en Algérie, le premier roman de Rachid Boudjedra, La Répudiation (1969), est une dénonciation véhémente des hypocrisies et des mythes fondateurs de l’Algérie post-coloniale – ceux de la famille patriarcale musulmane, de la religion et de la société algérienne des années 60. Le personnage du père, Si Zoubir, est la figure exemplaire de cette société, la représentation emblématique, outrancière même des paradoxes et des hypocrisies algériens. Cette présentation se déroulera en trois temps. En premier lieu, la lecture conventionnellement freudienne du roman (Freud, Totem et Tabou) retournera à la dimension autobiographique et universelle du texte. Boudjedra n’a cessé de clamer sa révolte dans des termes personnels mais aussi psychanalytiques. Il sera question du pouvoir du patriarche sexuellement omnipotent (Si Zoubir), de la castration conséquente des fils (Zahir et Rachid), du désir de parricide à travers le texte et de la résolution du complexe d’Œdipe. En second lieu, je m’attacherai à analyser les effets de saccage, de destruction, de négation de l’individu dans la société patriarcale que dépeint Boudjedra. Cette « répudiation » du titre est avant tout l’exclusion des fils hors de la culture ancestrale, qui a conduit Boudjedra à mettre en question les règles de cette société (bref parallèle avec L.-F. Céline). En troisième lieu, je soulignerai la politisation croissante du récit de Boudjedra, qui va d’un récit autobiographique syncopé, déstructuré, polyphonique à une dénonciation du régime algérien après l’indépendance. Je citerai brièvement les critiques parues en 1969, lors de la parution du roman.

« Déguisement onirique des symboles religieux : La Nuit des innocents et Le Long voyage du prisonnier par Sorin Titel », Cristina BALINTE, Institut d’histoire et théorie littéraires G. Calinescu

Au début des années 70, Sorin Titel, jeune prosateur roumain (né en Banat), vient de s’établir à Bucarest et compte parmi les sympathisants du « groupe onirique » fondé en 1968 par Leonid Dimov et Dumitru Tsepeneag. Séduit par la modernité de l’écriture, par tout ce qui est nouveau dans la littérature, il essaie de se forger un répertoire des souvenirs jaillissants de différents niveaux de la mémoire. Après une étape « expérimentale », quand il se préoccupe de l’application des techniques épiques suivant le modèle du « Nouveau Roman français », son intérêt vise les symboles (bibliques), l’exploration littéraire d’une « mémoire collective ». Notre approche porte notamment sur le recueil de nouvelles de 1970 (La Nuit des innocents) et le petit roman de 1971 (Le Long voyage du prisonnier, traduit en 1976, chez Denoël, par Marie-France Ionesco), les deux ouvrages considérés par les exégètes comme « oniriques », dans le système général de l’œuvre de Sorin Titel. Ce qui nous intéresse, c’est de mettre en évidence le parcours de re-signification successive des symboles, le polissage et le déguisement qui vont assurer finalement la publication.

Session IV. Mémoires, autobiographies, littératures transculturelles

Présidente : Oana PANAÏTÉ

Secrétaire : Isabelle SIMÕES MARQUES

« Quand l’écrivain parle de lui-même : l’exil francophone dans la littérature portugaise contemporaine », Isabelle SIMÕES MARQUES, Université Nouvelle de Lisbonne et Université Paris VIII

Durant la dictature salazariste, qui s’est déroulée au Portugal durant près de cinquante ans, la censure et les répressions politiques ont poussé de nombreux écrivains à l’exil. Une grande partie d’entre eux ont fait le choix de s’installer dans des pays francophones comme la Belgique, l’Algérie et la France, dû à l’héritage culturel qui lie le Portugal à la langue française. Ainsi, de grands noms de la littérature portugaise comme José Rodrigues Miguéis, Urbano Tavares Rodrigues, Manuel Alegre, Nuno Bragança, Álvaro Manuel Machado, António Rebordão Navarro, ont écrit leurs mémoires sous forme de biographie romancée. Ces œuvres, produites lorsque leurs auteurs sont revenus au Portugal dans un contexte démocratique, nous livrent leurs mémoires. Ces écrits ont en commun qu’ils nous présentent des expériences de vie, liées à la découverte d’un autre monde, francophone (libre et ouvert). Les écrivains livrent aux lecteurs une tranche de leur vie qui les a profondément marqués et les mémoires qu’ils partagent sont leur vision de la francophonie telle qu’ils l’ont vécue, ou du moins, telle qu’ils s’en souviennent. Le lien entre la réalité et la fiction, inhérente à la mémoire, sera établi à travers la présentation et l’analyse de sa reproduction de façon linguistique (avec notamment la présence d’emprunts ou de paroles des personnages).

« S’annoncer, se dénoncer – postures énonciatives de l’écrivain francophone », Oana PANAÏTÉ, Indiana University-Bloomington

La question souvent engendrée à travers les personnages de la littérature caribéenne est bien celle de l’existence humaine et sa finitude. Étant une représentation de cet animal social qu’est l’homme, le personnage romanesque ou théâtral porte en lui les traits qui en font un archétype, une projection d’un nous et de la pensée collective. Sa condition est bien celle d’un être qui vit en perspective et qui se tient au centre d’une tragédie existentielle. Tout comme le modèle dont il est la représentation, il est dans la diégèse, cet être vivant à qui le narrateur donne assez de conscience pour éprouver, désirer, et vouloir saisir la vie et le monde. Or, rendu vivant, ce personnage de papier ne sait pas ce qu’est la vie ; on lui attribue des pensées, on le fait se mouvoir dans un monde dont il ne connaît ni l’origine ni la fin ; il naît et meurt sans que cela relève de sa volonté. Narrateur et lecteur participent de cette construction progressive et permanente de l’Être à travers une prise de conscience à partir du rien. Nietzsche ne prétendait-il pas alors que « l’homme est un pont et non un but, une corde lancée sur l’abîme » ? Partant de là, Édouard Glissant nous conduit à réfléchir sur la question d’absolu et d’être, celui-ci ne pouvant se concevoir que comme absolu dans la culture occidentale. Il oppose à cela une vision caribéenne, en faisant appel à l’idée de relation que l’on trouve déjà dans la pensée pré-socratique. L’écrivain martiniquais répond déjà à la question de l’identité et de la projection d’un nous en ayant une vision fondamentale de la notion d’être et d’absolu. Pour lui, la notion de l’être est forcément liée à la notion de l’identité « racine unique ». Et partant de là, il insiste sur la question de la relation qu’entretiennent les êtres.