19ème Congrès à Ottawa-Gatineau

27 Juin - 3 Juillet 2005

Résumés des communications
Jeudi 30 juin 2005

 

Jeudi 30 juin     09h00 – 10h30

Session I.   Maternités I

Présidente : Antoinette SOL, University of Texas at Arlington

Secrétaire : Pierre-Louis FORT, Université Paris XII – Val de Marne

« George Sand : mère, grand-mère et écrivain », Maria G. TRAUB, Neumann College

Dans son autobiographie, L’histoire de ma vie, George Sand se souvient de son passé et le recompose. De son enfance, à sa jeunesse et à son indépendance, elle nous trace ses impressions, émotions, sentiments, et faits. L’influence de deux femmes, sa mère et sa grand-mère est primordiale. Sa formation chez sa grand-mère, avec sa mère, et au couvent ainsi que ses expériences mondaines informent ses œuvres. Sa vie de femme de lettres est une vie hétéroclite. Écrire est sa passion, son art, son métier. Elle prend également au sérieux son rôle de mère. Elle se soucie de l’éducation de ses enfants et s’en charge elle-même à moments donnés. Elle en fait de même pour ses petites-filles, pour qui elle écrit quelques œuvres originales. Nous allons explorer comment l’œuvre et la vie de Sand se mêlent presque au point de se confondre.

« La mère idéale », Dolores HOLDER, University of Texas at Arlington

Être enceinte ou donner le jour à un enfant n’assure pas que le sentiment de maternité entre dans l’esprit de la femme. Deux écrivains connus, même célèbres, ont traité ce problème : c’est-à-dire l’intervalle entre la naissance d’un enfant et la présentation de cet enfant à la société. Madame de Lafayette (1634-1692) montre un exemple positif avec Mme de Chartres, tandis que Choderlos de Laclos (1741-1803) donne un exemple négatif ou faible avec Mme de Volanges, la mère de la malheureuse Cécile. On peut constater même aujourd’hui ce que ces deux romanciers, plutôt moralistes, des 17 e et 18 e siècles ont écrit pour leur public.

« ‘Todo sobre mi madre’ : portraits de la mère en Médée chez Michel del Castillo », Cosmin POPA, Université de Genève

Ma communication se proposerait d’étudier la représentation de la mère dans les romans (autobiographiques) de Michel del Castillo, écrivain français d’origine espagnole, né en 1933. Elle tenterait d’analyser les différentes images utilisées par l’écrivain afin de brosser, au travers de son oeuvre romanesque (depuis Tanguy, jusqu’aux Portes de sang) le portrait mobile et complexe de sa mère. Le point central de mon argumentation serait de montrer à quel point l’héritage culturel et littéraire revendiqué par l’auteur impose à son personnage son identité d’une manière presque mécanique. Lire et comprendre le portrait de la mère reviendra, pour nous, à identifier, en filigrane, les traits d’une Médée toute classique, sur l’authenticité et la dynamique de laquelle il conviendra de s’interroger dans le contexte du corpus offert par l’oeuvre de del Castillo (mais aussi à travers des comparaisons avec d’autres Médées [contemporaines], notamment celle de Christa Wolf). Entre image-cliché et travail du mythe, la représentation de la mère chez Michel del Castillo peut fournir, sinon des réponses, de riches questionnements quant au statut du personnage hérité du/travaillé par le mythe.

« La double figure de la mère chez Malika Mokeddem », Sytuis GUEI, University of Western Ontario

De même que chez d’autres écrivaines et théoriciennes africaines, la lutte pour l’amélioration des conditions sociales, économiques et politiques des femmes d’Afrique constitue l’une des problématiques majeures chez Mokeddem. Elle voue une attention particulière à cette lutte, tantôt en opposition, tantôt en concordance avec les points de vue d’autres femmes de race, de couleur, de langues et nationalités différentes. Être femme et africaine pour cette écrivaine implique des prises de position radicales sur la construction de son genre, mais aussi sur les pratiques locales paralysantes de la religion et de la tradition. De fait son féminisme ne peut se passer d’une autocritique et d’une critique sociale. C’est ainsi que dans son œuvre, l’exploitation des femmes se trouve examinée d’un point de vue qui dévoile l’implication insidieuse et parfois volontaire de certaines mères : un projet controversé que réalisent des textes d’une clarté écorchante. L’auteure s’autocensure-t-elle pour éviter l’ostracisme qui frappe ceux dont le discours ne reconduit pas le code social de leur société d’origine ? Ou adopte-t-elle la voie de « l’objectivité » qui manquerait parfois aux œuvres traitant des mêmes sujets, parce que trop enclines aux idéologies ? Telle est la problématique que nous voudrions examiner à travers Le siècle des sauterelles (1992) et L’interdite (1993) par Mokeddem. En tout état de cause, le féminisme qui en ressort s’érige contre toute pratique entravant la marche des femmes quels qu’en soient les instigateurs et les fondements.

Session II.   Le corps dans la littérature francophone contemporaine I

Présidente : Lydia LAMONTAGNE, Université d’Ottawa

Secrétaire : Nathalie LAVAL BOURGADE, Université des Antilles-Guyane

« Le corps : histoire et littérature à la Martinique », Chantal MAIGNAN-CLAVERIE, Université des Antilles et de la Guyane

Dans l’histoire de la Martinique, où la société se construit majoritairement à partir du métissage de l’Occident et de l’Afrique, le rapport au corps est problématique. Il se nourrit d’une transgression morale, défiant les dogmes théologiques, d’une agression politique où l’Autre est réduit à un outil de production, et d’une digression érotique où l’Autre n’a qu’une fonction libidinale. Le corps devient donc à la fois le sujet et l’objet d’un rapport de conquêtes dont la trace subsiste encore dans la langue vernaculaire qui exprime une fracture existentielle et une schizophrénie ontologique : le corps est l’autre moi. L’impossible réflexivité d’un peuple en quête d’une unité historique devient ainsi un schème obsessionnel dans la littérature antillaise. Mais tandis que le corps masculin traque une virilité perdue dans le passé colonial, le corps féminin devient espace-temps à explorer selon Édouard Glissant ; un espace-lieu à arpenter pour Saint-John Perse et un espace-profondeur où sombre Aimé Césaire en quête d’une langue maléfique. Il devient donc l’enjeu d’une histoire coloniale et la clef d’une construction identitaire post-coloniale. Le dialogue des êtres rompu par le Code noir de 1685 qui impose aux colonies une société matriarcale peut enfin reprendre : Acculé à se réaliser, l’Antillais doit affronter aujourd’hui son rapport à son corps dans une dynamique nouvelle. Les soubresauts d’une écriture de la Créolité (Chamoiseau, Confiant, Bernabé) montrent les lieux de résistance – émouvants ou grotesques – d’un affrontement dont l’issue est irrémédiablement programmée par la prolifération d’un discours féminin.

« Expression et représentation du corps dans la littérature caribéenne », Jean-Georges CHALI, Université des Antilles et de la Guyane

La projection du corps dans ses relations avec les métropoles coloniales ou les perceptions de ce même corps dans les relations que l'être entretient avec l'autre différent, telle est l'une des problématiques qu'aborde la littérature francophone caribéenne. Il en découle un questionnement sur le corps en exil dans son propre pays, sur la relation de l'être avec l'ailleurs, sur la rencontre avec l'autre, l'impossible réalisation de soi, l'impossible existence et nécessairement le retour vers le monde d'origine à travers le rêve éveillé.

« De la mort d’un ‘je’ : Robbert Fortin, poète atteint du sida », Lydia LAMONTAGNE, Université d’Ottawa

Avant de se savoir atteint du VIH, Robbert Fortin écrivait déjà sur le thème de la mort. Sans pour autant tenter de faire du sida l’objet de son écriture, l’art devient alors pour lui le moyen de laisser une trace – une trace vivante – et de tenter de confronter la mort du corps. À travers les huit recueils du poète dont certains contiennent des peintures de l’artiste, le « je » semble passer par différentes étapes quant à cette « enveloppe corporelle qui nous embarrasse sur terre ». Alors que le corps a d’abord besoin d’affirmer sa présence, et que le « je » « se sent fragile dans la cruauté de la chair », une prise de conscience de l’absence du corps émerge graduellement de cette poésie. Progressivement, les mots semblent s’ouvrir sur une renaissance hors du corps : « j’ai traversé l’insondable / vu fleurir mes cendres ». Dans cette communication, nous suivrons le parcours de la confrontation à l’acceptation de la mort jusqu’à sa renaissance par les écritures poétique et picturale. Nous montrerons comment ce parcours est fondé sur l’incertitude que provoque la mort, le refus de ne pas exister corporellement, et par la suite la volonté à renaître par une dissémination d’un « je » qui vient à faire corps avec la nature. Pour ce faire, nous analyserons certains motifs récurrents tels les cendres, les os et la peau dans les premiers recueils de Fortin qui écrit, dès le premier recueil : « il me reste des cendres dans la bouche ».

Session III.   Traitements discursif et pragmatique du texte

Présidente : Lélia YOUNG, York University

Secrétaire : Thérèse MICHEL-MANSOUR, Seneca College

« Histoire et roman dans Les temps noirs d'Abdelhak Serhane », Thérèse MICHEL-MANSOUR, Seneca College

Dans cette analyse, je tente de cerner la fonction esthétique et identitaire de l’« Histoire » comme figure de mémoire et lieu de combat. Il s'agit dans ce roman d'une légende vraie. Elle est encombrée par les scènes tragiques de l'histoire de la résistance d'Abdelkrim, héros de la guerre du Rif au Maroc à la veille de la seconde guerre mondiale. Il s'agit pour nous de tracer les signes qui, par le biais du récit légendaire, réactivent et subvertissent la mémoire collective. Comment ces signes opèrent-ils le passage d'une mémoire collective à une mémoire individuelle ? Quelles sont les implications idéologiques, identitaires, voire esthétiques de ce passage ?

« Des actes de violence aux actes de parole : l’écriture de la guerre chez Andrée Chedid », Debbie MANN, Southern Illinois University, Edwardsville

À travers une production littéraire riche et variée, Andrée Chedid exprime depuis presque trente ans l’horreur et la barbarie de la guerre. Mais, dans le cadre d’une œuvre qui se veut célébration de la parole, qui se fait passerelle pour abolir les distances et qui met l’accent sur ce qui unit les humains, décrire la réalité sanglante des luttes fratricides n’est qu’un premier pas. Sous la plume de Chedid, les actes illocutoires mettent en valeur l’aspect interactif de la communication. Cette dimension illocutoire fait ressortir un désir de communication non seulement entre les personnages mais aussi entre un narrateur et un participant à l’acte communicatif situé hors de l’univers de l’histoire, soit-il narrataire ou lecteur virtuel. Ainsi, sur le plan perlocutoire, il ne suffit pas de communiquer un contenu, de se faire comprendre et d’utiliser certaines structures du langage afin de solliciter une réponse de la part de l’interlocuteur ; il est aussi question de créer certains effets sur les pensées, les sentiments, et même les actes de celui-ci. Chez Andrée Chedid il s’agirait donc d’ouvrir une brèche dans la trame narrative par un discours qui se situe sur la frontière flottante entre le texte du narrateur et celui du personnage. Dans ce discours, lieu de convergence, terre commune qui ne nie pas les différences mais les concilie, dont la provenance se caractérise par une ambiguïté fécondante, la voix du narrataire peut s’élever avec celles du narrateur et du personnage, à l’unisson. Dire, c’est aussi faire, car le partage de la parole se réalise pleinement, et nous nous trouvons amenés, avec Andrée Chedid, à « maintenir un regard attentif, ouvert, s’exprimer contre les violences. C’est peu. Mais ce peu, il faut le faire ».

« Le jeu des figures de style chez Leïla Houari », Lélia YOUNG, York University

Dans ce travail, je chercherai à montrer comme Leïla Houari utilise cohésion lexicale et figures de style pour développer certains thèmes cruciaux qui affectent l'homme et la femme maghrébins en contexte occidental. Je baserai mon étude sur son œuvre théâtrale intitulée Les Cases basses en reprenant une étude qualitative que j'avais faite et à laquelle j'essayerai d'associer une dimension quantitative basée sur l'analyse de certains thèmes et éléments cohésifs.

Session IV.   Visions littéraires d'Afrique et des Antilles

Président : Anthère NZABATSINDA, Vanderbilt University

Secrétaire : Marie-Hélène KOFFI-TESSIO, Princeton University

« René Maran, entre Afrique, Métropole et Guyane », Marie-Hélène KOFFI-TESSIO, Princeton University

De René Maran, on peut dire que c'est un homme-carrefour, un citoyen du monde avant l’heure : né ou en tout cas déclaré à la Martinique, élevé à Talence et à Bordeaux, puis employé colonial en Afrique Équatoriale Française. Citoyen du monde certes, mais aussi « monument » incontournable de la littérature noire francophone, Maran fut le tout premier prix Goncourt noir et plus encore, car il fut comme l'a dit Senghor, un « précurseur de la négritude ». La grande absente de la vie de Maran, ce fut le pays de ses parents : la Guyane ; personne, ou presque, n'associe Maran à la Guyane. Dans l'un de ses romans semi-autobiographiques, Maran situe sa naissance en Amérique du Sud. Déplacement inconscient ou volonté de se rapprocher du lieu de ses origines ? À travers les œuvres de Maran, ce sont les traces de la patrie perdue que nous nous attacherons à retrouver.

« Werewere Liking : de la misovire à la mémoire amputée », Bernadette KASSI, Université du Québec en Outaouais

 

« Poésie pastorale traditionnelle rwandaise et figures de la guerre », Anthère NZABATSINDA, Vanderbilt University

La présente communication examine le genre poétique pastoral du Rwanda et les figures de la guerre qui y sont paradoxalement associées. C'est dans ce paradoxe que se trouve l'originalité de la poésie pastorale rwandaise qui a alors les traits propres à la poésie guerrière. Dans la poésie pastorale du Rwanda, l'aède considère les vaches comme de farouches guerrières armées chacune de deux lances ou javelines, leurs longues cornes. Celles-ci ne vont pas transpercer les vaches du clan opposé, mais plutôt les pasteurs de ces troupeaux. Les vaches sont regroupées en « armées bovines » et leur prouesse est exaltée dans des « chants » du répertoire guerrier. Nous présenterons essentiellement des exemples tirés du poème d'Alexis Kagame intitulé Indyohesha-birayi (le Relève-goût des pommes de terre) qui est inspiré du genre poétique pastoral.

Jeudi 30 juin     10h45 – 12h15

Session I.   Entre l’intime et le public. Histoires de couples dans la littérature des femmes contemporaine

Présidente : Martine DELVAUX, Université du Québec à Montréal

Secrétaire : Ching SELAO, Université de Montréal

« L’amour, la mort. Les romans d’Aki Shimazaki », Ching SELAO, Université de Montréal

La guerre, et en particulier la bombe atomique tombée sur Nagasaki le 9 août 1945, sert de toile de fond aux histoires d’amour vécues par les couples qui traversent les cinq romans d’Aki Shimazaki (Tsubaki, 1999 ; Hamaguri, 2000 ; Tsubame, 2001 ; Wasurenagusa, 2003 ; Hotaru, 2004), cinq courts récits qui tournent tous autour des mêmes amours impossibles, que ce soit à cause du statut social, de l’adultère ou de l’interdit de l’inceste, mais qui sont chaque fois racontées par une narratrice ou un narrateur différent(e). Dans l’écriture de Shimazaki, le couple amoureux est, à l’image du coquillage japonais appelé hamaguri, formé de deux coquilles qui, une fois séparées, se cherchent désespérément sans jamais retrouver la forme initiale. Le contexte de la guerre rend-il la narration de l’amour moins intime, plus « politique » ou, au contraire, la rend-il d’autant plus personnelle qu’elle l’emporte sur les histoires d’horreur, sur les massacres collectifs ? Quel est le lien qu’entretiennent l’amour et la mort dans ces récits où les personnages ne meurent pas d’amour, ni ne vivent l’amour rêvé, mais portent en eux un lourd secret jusqu’à l’heure de la mort ? Et, enfin, comment interpréter cette réécriture des mêmes histoires, sinon comme la difficulté de raconter les amours interdites, difficulté qui est pourtant intimement liée au désir de tenter de dire l’indicible ? Telles sont les questions que cette communication propose d’explorer à travers une analyse de l’œuvre de Shimazaki.

« Aventures et amours : gestes de résistance dans L’astragale et L’ombre », Karin SCHWERDTNER, Université du Québec à Montréal

En amour, comme dans tous ses rapports interpersonnels, la protagoniste/narrratrice du roman semi-autobiographique, L’astragale, agit selon la conviction suivante : « tout m’est dû, mais j’aime prendre moi-même ». Ne s’intéressant pas à se faire inclure parmi les épouses et mères soumises, elle prend plaisir à aimer d’un amour éphémère femmes et hommes susceptibles de la profiter dans l’immédiat. Du point de vue social dépeint dans L’astragale, ses aventures et amours correspondent alors à un acte d’insubordination, voire à une instance de résistance. Il serait pourtant difficile de lire la révolte chez l’héroïne de L’ombre à qui les hommes ne cessent de faire violence tant qu’elle se montre sans force, sans vie. Dans ce roman que vient de faire publier Chawaf et que l’on devine semi-autobiographique, il faut attendre que l’héroïne forme un couple avec la Vie – qu’elle renoue avec son corps plutôt qu’avec un homme dit forcément oppresseur – avant de pouvoir noter chez elle une certaine prise de pouvoir. Mais alors que représente cette insoumission féminine dans le contexte du couple ? Les rapports entre individus sont-ils destinés à échouer ou à céder la place au narcissisme ou au seul rapport à soi ? Cette communication aura comme but d’étudier l’impact que peut avoir la mise en discours des rapports « amoureux » auxquels se greffe une instance d’insurrection au féminin.

« Le proche, le familier, l’intime : histoire et généalogie du couple dans L’amour, roman de Camille Laurens », Maïté SNAUWAERT, Université du Québec à Montréal

La préoccupation de Camille Laurens dans L’amour, roman (2003) est celle d’une essayiste, dont La Rochefoucault constitue la référence littéraire et la mesure. À travers l’histoire d’une filiation et la généalogie d’un non-pouvoir féminin, elle soulève la question de l’individuation d’une femme face à la double contrainte de la chaîne familiale et du couple. L’écriture permet de passer d’un régime de transmission confidentiel à un régime d’exposition, dont l’enjeu est l’éclatement du caractère secret traditionnellement associé à l’intime, pour mettre au jour la nature historique de leur parenté : elle peut se modifier, et l’intime alors n’être pas nécessairement le gardé pour soi, mais la matière la plus vivante de la vie, le cœur d’une pratique historique du vivre. Ce passage au public fonde un renversement du rapport de force à l’homme, mais plus encore une prise en main de sa vie, par l’appropriation de ce qui est sien à partir de l’identification de ce que lègue l’ascendance. Le livre devient dès lors le lieu d’un questionnement collectif, forgé dans la singularité d’une histoire particulière, dont le récit ou plutôt la reconstruction des valeurs forme le roman qu’est le texte. Son dessein final est de montrer que l’amour est un roman, c’est-à-dire une représentation de langage, et comme tel un héritage, à la fois littéraire et familial, mais aussi un inconnu à inventer sans cesse – à quoi ouvre le départ de l’institution mariage censée le consacrer, qui oblige à redéfinir le couple à neuf.

Session II.   Maternités II

Présidente : Antoinette SOL, University of Texas at Arlington

Secrétaire : Pierre-Louis FORT, Université Paris XII – Val de Marne

« Les mères à l'horizon de l'écriture dans la littérature française contemporaine », Rachel BOUÉ, Wesleyan University

Si l’amour est un des thèmes privilégiés de la tradition romanesque, ce n’est que dans sa confrontation à des obstacles d’ordre social, moral ou politique qu’il semble pouvoir s’épanouir. Parmi eux, la maternité, qui joue un rôle ambivalent dans la mesure où elle est souvent à la fois source et empêchement de l’amour : souvent représenté en la figure du précepteur (La ouvelle Héloïse, Le lys dans la vallée, Le rouge et le noir, L’éducation sentimentale) l’amour se trouve entravé par le code moral où l’adultère, source pourtant de tant d’intrigues mondaines, n’en est pas moins réprouvé lorsqu’il est commis par une mère. La mort ou la maladie d’un enfant en sont souvent le prix à payer : la première grossesse de Julie d’Etange prend fin prématurément et elle mourra après avoir sauvé son fils de la noyade, Madame de Mortsauf ne survivra pas à la mort de l’un de ses enfants, Madame Arnoux est prête à céder à l’amour de Frédéric Moreau lorsque son fils tombe gravement malade, quant-à Madame de Rénal ou Emma Bovary leur sort de mère adultère se termine, on le sait, en crime passionnel. Le roman du XXème siècle, libéré du souci normatif, proposera une autre image de la figure maternelle. Soit la mère comme objet d’écriture : la mère, lieu de souffrance et/ou fondement de la parole (Enfance de Nathalie Sarraute, L’amant de Marguerite Duras, W ou le souvenir d’enfance de Georges Pérec, Osnabrück d’Hélène Cixous). Soit réflexion sur une double identité d’écrivain-mère (Le bébé de Marie Darrieusseq, Philippe de Camille Laurens) ou encore liens d’étrangeté entre mère et enfant, (Le pont de Brooklyn de Leslie Kaplan, Le cinéma des familles de Pierre Alféri).

« L’éducation sentimentale ou re-présentation maternelle dans les contes et romans de jeunesse de Pauline de Meulan Guizot », Antoinette SOL, University of Texas at Arlington

Quand on parle de la littérature pédagogique ou de la jeunesse, on pense à Rousseau et à Mme de Ségur. La période entre la fin du XVIIIe siècle et l’âge d’or de la littérature enfantine, la deuxième moitié du XIXe siècle est marquée par la production pédagogique et littéraire de Pauline de Meulan Guizot. Romancière, journaliste et pédagogue, Pauline Guizot avec son mari, François Guizot, élaborait la base d’une nouvelle éducation dans leur revue, Annales de l’éducation, où ont paru ses contes pour enfants à l’usage pratique des parents ainsi que leurs essais théoriques. Ses œuvres pédagogiques destinées pour la deuxième enfance (10 à 14 ans) évitent le romanesque pour mieux tirer parti d’une réalité reconnaissable à l’enfant afin qu’il puisse mieux mesurer les conséquences de ses actions dans les situations qui lui sont familières. Basés sur « la vraisemblance des faits et des détails, autant que sur la vérité des principes » les contes élaborent une théorie d’éducation à partir des sentiments et où le rôle essential dans la formation morale appartient à la mère. Cette communication explorera les diverses manifestations du rôle maternel diégétique et son rôle social contemporain.

« ‘Il y a mères et mères’ : Marguerite Yourcenar et la maternité », Pierre-Louis FORT, Université Paris XII – Val de Marne

On le sait, Marguerite Yourcenar est ce qu’on pourrait appeler une fille du père, pas une fille de la mère. Pourtant, l’ombre qui hante ses textes est bien plus maternelle que paternelle. Ses exégètes n’ont d’ailleurs pas manqué de le souligner : malgré ses multiples dénégations, le poids de sa mère, Fernande, morte d’une fièvre puerpérale quelques jours après sa naissance, a pesé sur l’œuvre. Mais, au-delà de cette mère absente, n’est-ce pas la maternité même qui est souvent en jeu, non pas une personne donc mais une fonction ? C’est à cette question que tentera de répondre cette communication qui, au moyen d’une analyse textuelle minutieuse, étudiera la complexité du rapport de Yourcenar à la maternité.

Session III.   Réécriture des mythes II

Présidente : Joëlle CAUVILLE, Saint Mary’s University

Secrétaire : Metka ZUPANČIČ, University of Alabama, Tuscaloosa

« Fabienne Pasquet et les archétypes féminins », Metka ZUPANČIČ, University of Alabama, Tuscaloosa

L’écriture de Fabienne Pasquet, auteure de L’ombre de Baudelaire et La deuxième mort de Toussaint-Louverture (les deux chez Actes Sud, en 1996 et en 2001), semble toute entière basée sur sa recherche des dénominateurs communs, voire des paradigmes de pensée ou encore des mythes fondateurs, des archétypes, qui relieraient non seulement plusieurs cultures mais qui montreraient les filiations existant dans l’esprit humain, au-delà de l’appartenance à des groupes ethniques ou sociaux. Par ailleurs, cette écrivaine qui avoue prendre son temps à s’informer, réfléchit à fond sur les données communes de l’imaginaire, sur les images symboliques, dans la gestation de ses écrits. Ainsi, son séjour « de part et d’autre de la frontière franco-suisse » en 2003 a donné un petit volume en prose, Au fil du fer (Centre Régional du Livre de Franche-Comté, 2004) qu’elle est en train de développer en roman et dans lequel le mythe assure le passage, la continuité dans l’imaginaire collectif, alors que sa perméabilité permet les métissages, les recoupements, les greffes et les élargissements. Parmi les textes plus courts et qui ont mis l’écrivaine sur scène en tant qu’actrice (en 1988), Le récit de Madeleine nous plonge dans l’espace de la réflexion et de la quête spirituelle d’une femme fort probablement mal comprise de son temps et dont l’attitude à l’égard du corps, de l’amour, du don, des relations, continue à habiter en tant qu’archétype notre imaginaire collectif.

« Marie-Madeleine, un archétype féminin de la grande amoureuse, guérisseuse du corps et de l’esprit : une passion païenne qui croise celle du Christ », Fabienne PASQUET, écrivaine

Sans parler des récits et évangiles apocryphes, dans les évangiles canoniques, dix-sept passages concernent trois femmes : la pécheresse chez Simon le pharisien, Marie de Béthanie, et Marie de Magdala, que de nombreux exégètes ont identifiées avec Marie Madeleine. Condensation, comme dirait Freud, ou naturel rétablissement d’une personnalité fractionnée par la misogynie des évangélistes qui ne supportaient qu’une même femme pêchât, oignît et témoignât ? La pluralité de ses noms est à l’image des usages multiples qu’elle a fait de son corps, de ses larmes, de ses cheveux et de ses parfums ou baumes. À l’origine, les soins du corps revenaient naturellement aux femmes en commençant par les nouveau-nés…Soigner-donner-aimer. Qu’était-ce qu’une pécheresse ? Une femme de mauvaise vie, en deux mots, une femme qui a aimé plusieurs hommes. Une légende apocryphe fait de Marie de Magdala l’amoureuse de Jean. Mon point de départ. Grandes lignes d’un court roman.

« Jeux de doubles à Joux. La deuxième mort de Toussaint-Louverture de Fabienne Pasquet », Joëlle CAUVILLE, Saint Mary’s University

En 2001, Fabienne Pasquet, écrivaine française d’origine russe et haïtienne, publiait La deuxième mort de Toussaint-Louverture qui met en scène, privilégiant la forme dialogique, le poète et dramaturge allemand, Heinrich von Kleist (1777-1811), auteur entre autres de Fiançailles à Saint-Domingue (1811) et le fantôme du révolutionnaire haïtien Toussaint-Louverture (1743-1807). Ce qui réunit ces deux personnages est d’avoir été tous deux les victimes de la vindicte napoléonienne et enfermés, à quatre ans d’intervalle, dans le Fort de Joux, situé dans le Jura. Au -delà des oppositions évidentes : race, âge, réalité/imaginaire, fougue romantique, influence kantienne/pragmatisme révolutionnaire, l’écrivain tisse un réseau de symboles et de mythes (bestiaire totémique, mythologie germanique et créole) où ses deux personnages s’affrontent dans des duels verbaux, exposent leur vulnérabilité et fraternisent jusqu’à même se rejoindre sur des sujets comme l’esclavage par exemple. Dans cette communication, nous explorerons le mythe du double, qui tire sa complexité des variations du même et de l’autre. Nous emprunterons notre approche méthodologique à Jung (concept de l’Ombre) et à René Girard (concept de désir mimétique).

Session IV.   Quelle institution pour Gérard Étienne ?

Présidente : Corinne BEAUQUIS, Université de Toronto

Secrétaire : Mark ANDREWS, Vassar College

« Perspectives de chute : déchéance et réinvention chez Gérard Étienne », Mark ANDREWS, Vassar College

Les deux textes de Gérard Étienne qui feront l’objet de cette communication, Une femme muette (1983) et Au bord de la falaise (2005), entretiennent une relation complexe l’un avec l’autre sur les plans conceptuel, historique, et fictionnel. Le dernier roman de Gérard Étienne se donne pour projet la réécriture du roman antérieur, et entreprend une nouvelle description de la situation de la femme haïtienne au Québec. Tout en respectant avec une grande fidélité son inspiration originale, Étienne fait évoluer le portrait de la femme haïtienne sur les plans social et politique, afin de souligner la contemporanéité de son dilemme existentiel. À la fois (auto) critique et éloge de l’ouvrage auquel il est jumelé, Au bord de la falaise réussit ainsi à « faire date », selon la formule consacrée de Bourdieu. La stratégie d’Étienne a ceci de paradoxal, elle fait preuve d’une économie élégante des moyens en introduisant du différent grâce à la réinsertion du même dans l’objet esthétique. Dans cette communication il s’agira de faire une lecture comparée des deux ouvrages, et d’en dégager les grandes lignes de convergence et de divergence, afin de cerner la production du temps qui en résulte. L’un des vecteurs du flux temporel apparaît dans le dernier roman sous la forme de la production artistique haïtienne québécoise courante, celle, en l’occurrence, de Dany Laferrière. La communication s’interrogera sur la manière dont le roman Au bord de la falaise se positionne face à cette production et cherche à s’en démarquer. En replaçant dans son contexte l’entreprise romanesque actuelle de Gérard Étienne, il sera question d’apprécier la contribution de celui-ci à l’institution littéraire dont il est l’une des voix fondatrices.

« Gérard Étienne : au bord de la faille linguistique, culturelle et conceptuelle », Keith WALKER, Dartmouth College

 

« Au bord de la falaise ou quand la littérature se réinvente », Judith SINANGA, Université de Windsor

Tant au niveau de la forme que du fond, Au bord de la falaise est une œuvre qui sort de l’ordinaire, un roman qui réinvente l’art d’écrire. La narration de Gérard Étienne sort des codes pour tracer une voix originale qui se distingue de celle adoptée par une grande majorité de romanciers contemporains. Comme si parler de la femme, puisqu’Au bord de la falaise est l’histoire d’Anna, exige qu’on sorte de l’habituel. Un peu d’ailleurs comme on le constate chez certaines écrivaines dont Hélène Cixous (La fiancée juive), Werewere Liking (Elle sera de jaspeet de corail ou le journal d’une misovire) ou Nicole Brossard (L’amèr ou le chapitre effrité). Mais si Gérard est comparé ici à ces dernières, il n’en reste pas moins particulier, comme chacune de ces trois femmes l’est par rapport aux autres. Au bord de la falaise correspond à la description que Danielle Dumontet a faite de l’œuvre de Gérard en l’appelant « Esthétique du choc ». Au bord de la falaise dépasse le choc. Le lecteur s’écroule de la falaise, au-delà du choc, pour tomber dans un monde scandaleux. Il y a eu l’éloge de l’homme noir par lui-même, l’hommage à sa propre culture, aujourd’hui c’est le temps de l’auto-critique que Gérard offre dans son œuvre. Comment s’y prend-il ? Parvient-il à réveiller les consciences endormies, à déranger les esprits indifférents ? En comparaison à Gérard Étienne, quelle position tiennent les auteurs haïtiens dont les œuvres sont publiées au Canada ? Répondre à ces questions en nous basant principalement sur l’œuvre Au bord de la falaise est la curiosité qu’il nous appartiendra d’assouvir.

« L’écrivain et l’institution : les textes et les choix », Corinne BEAUQUIS, Université de Toronto

L’étude de quelques ouvrages de Gérard Étienne (Le Nègre crucifié, Une femme muette, La pacotille, Vous n’êtes pas seul, La romance en do mineur de Maître Clo) et de divers articles critiques qui leur ont été consacrés dégagera, d’une part, les problématiques principales qui articulent ces ouvrages et, d’autre part, leurs conditions de réception. Ainsi, une analyse de la fortune littéraire de ces ouvrages permettra de desceller le positionnement de l’institution littéraire par rapport à ces ouvrages. À ce positionnement sera comparé, dans la mesure du possible, le désir de l’auteur de revendiquer une certaine position institutionnelle.

Session V.   Les origines de la création chez Le Clézio

Président : Thierry LÉGER, Kennesaw State University

Secrétaire : Bruno THIBAULT, University of Delaware

« Onitsha et le sacré », Robert MILLER, University of British Columbia

Quand les Anglais démolissent en 1902 le Long Juju, oracle du peuple aro, on peut parler d’un espace sacré violé et effacé. Ce n’est pas seulement à cause de la destruction matérielle du lieu sacré. C’est la démonstration du pouvoir discursif de nier le caractère inviolable de l’univers de croyance de l’autre. Mais si cette forme de désacralisation coloniale est la plus dévastatrice, elle n’est pas la plus complexe, sournoise ou permanente. Comme négation elle est sujette à la négation. La quête de Geoffroy par contre, ainsi que celles de son fils Fintan et de sa femme Maou, suggèrent une forme de désacralisation par duplication. Le regard colonial, ayant pénétré jusqu’au centre du sacré de l’Autre, crée un nouveau sacré parallèle et semblable, mais investi de nouveaux rêves et fantasmes. Ce double peut être parodique, comme la « piscine » de Simpson, ou voyeuriste comme le miroir qui fournit à Rodes et Fintan l’occasion d’observer l’union sexuelle d’Okawho et Oya, ou délirant comme le rêve de Geoffroy reproduisant le voyage de la reine-prêtresse de Meroë. Dans chaque cas, il est dorénavant très difficile sinon impossible de rétablir le sens d’un sacré qui soit indépendant de son double qui est devenu à la fois son masque et son visage. Cette étude, à partir d’une réflexion sur les sens du sacré, visera une description de cette forme de duplication telle qu’elle figure dans Onitsha et pose la question de savoir comment elle influe sur les nouveaux acteurs du contexte post-colonial dans lequel Le Clézio a écrit ce récit.

« À la recherche d'un art multiculturel authentique : l'influence de Frida Kahlo et de Georgia O'Keeffe sur l'œuvre de J.M.G. Le Clézio », Bruno THIBAULT, University of Delaware

Cette communication se propose de montrer le dialogue qui existe chez Le Clézio entre art moderne et art primitif. Après avoir rappelé dans mon introduction les liens qui ont unis Le Clézio à l'école de Nice et à ses artistes les plus novateurs (Klein, Arman et Raysse) dans les années 60, je parlerai de l'influence de l'art amérindien sur son œuvre à partir des années 70-80. Dans un premier temps, j'analyserai dans « Haï » les quatre caractéristiques anthropologiques que l'auteur distingue pour définir l'art primitif amérindien et pour l'opposer à l'art européen. Puis dans un second temps je montrerai comment Le Clézio envisage dans « Diego et Frida » l'influence de cet art amérindien sur l'œuvre de Frida Kahlo : le thème indien est chez elle plus qu'un cliché folklorique car il s'agit d'une quête de ses racines indiennes, liée au culte des esprits, c'est-à-dire au chamanisme. Dans un troisième temps je montrerai que si la culture chamanique et les « corps » indiens sont omniprésents chez Kahlo, en revanche ce sont les paysages du Nouveau-Mexique qui dominent l'œuvre de Georgia O'Keeffe. En me basant sur certaines observations de Sharyn Udall, je montrerai l'influence et la signification profonde de ce décor okeeffien, avec ses plateaux désertiques et son ciel immense, sur certains passages de « Peuple du ciel », de « Voyages de l'autre côté » et de « L'Inconnu sur la terre ».

« La figure problématique du père chez J.M.G. Le Clézio », Thierry LÉGER, Kennesaw State University

Alors que la figure paternelle est remarquablement absente de la plupart des œuvres de Le Clézio, dans L’Africain, il conte l’histoire complexe de son père qu’il considérait pendant l’enfance comme un étranger. Si L’Africain nous présente un père qui a passé sa vie à soulager les souffrances des pauvres en Afrique dans des conditions existentielles difficiles, il nous révèle également des relations père-fils marquées par des conflits violents et le refus du fils de se soumettre à l’autorité paternelle. M’appuyant sur la théorie psychanalytique, ma communication examinera la façon dont la problématique de l’autorité, qui apparaît sous différentes facettes, et qui est à relier au nom du père, constitue une des dimensions fondatrices de l’œuvre de Le Clézio.

Jeudi 30 juin     14h15 – 15h45

Session I.   Les écritures migrantes du Québec contemporain II

Présidente : Simone GROSSMAN, Université Bar Ilan

Secrétaire : Danielle DUMONTET, Johannes Gutenberg Universität

« Des effets perturbateurs de l'immigration littéraire au Québec », Danielle DUMONTET, Johannes Gutenberg Universität

 

« Littérature migrante et mélancolie », Joubert SATYRE, Université de Guelph

La littérature migrante est placée sous le signe de l’exil, volontaire ou forcé, mais plutôt forcé dans le cas des écrivains migrants haïtiens vivant au Québec. L’exil crée une sorte de distension entre l’écrivain migrant et une partie de lui-même, ici le lieu d’origine, qui est forcément celui de l’enfance, d’où la présence de ce thème dans la littérature migrante. Dans notre communication, nous nous proposerons moins d’analyser le thème de l’enfance, comme figure d’anamnèse, que de voir ses liens avec la mélancolie et surtout comment cette dernière est mise en scène à travers des figures mémoratives comme le retour. Notre travail se basera sur quelques écrivains migrants du Québec d’origine haïtienne : Émile Ollivier, Gérard Étienne, Dany Laferrière.

« Toute écriture est migrante », Jeanette den TOONDER, Centre d’Études canadiennes

Cette citation de l’écrivain migrant Naïm Kattan (dans Suzanne Giguère, Passeurs culturels, 2001) constituera le point de départ de ma communication, dans laquelle j’insisterai sur l’aspect de mouvance comme trait distinctif de l’écriture migrante. Depuis le milieu des années 80, ce concept d’écriture migrante a été utilisé pour caractériser l’écriture des auteurs venus d’ailleurs qui écrivent en français. Au Québec, des chercheurs éminents ont mis en relief l’hybridation, le mouvement et le déracinement provoqués par l’expérience de l’exil. Les auteurs migrants eux-mêmes insistent sur la double polarité de leur écriture. Or, la migrance est premièrement déterminée par le déplacement, par le passage. Cette mouvance donne lieu à des transferts culturels qui ne concernent pas seulement les écrivains migrants établissant un équilibre entre la culture du passé et celle du présent, mais également les auteurs québécois qui s’engagent dans une traversée de cultures. Rien d’étonnant que le terme de transculturation, sur lequel a beaucoup insisté Fulvio Caccia par exemple, soit devenu primordial dans les études récentes sur l’écriture migrante. À mon avis, ce sont notamment les notions de mouvance et de transculturation qui poussent les réflexions dans une nouvelle direction. Comme, depuis une vingtaine d’années, la littérature québécoise a été enrichie par les caractéristiques mentionnées ci-dessus de l’écriture migrante, cette notion ne doit plus être utilisée de façon restrictive. Elle a provoqué des changements et des mouvements de transculturation qui concernent la littérature québécoise dans son intégralité, ce qui mène à la question de savoir ce que signifie actuellement la notion d’écrivain migrant ? Qui sont aujourd’hui les écrivains migrants si, comme l’affirme Kattan, toute écriture est migrante ?

« Errance et écriture chez Sergio Kokis », Simone GROSSMAN, Université Bar Ilan

Selon Kokis, l'artiste est « une sorte d'étranger, de transculturel » doté d'« un point de vue décentré de l'ordre habituel des choses et des gens ». Pour les personnages de ses romans fuyant « l'envasement de la mort en vie », l'errance devient « voyage initiatique » par la « curieuse métamorphose que subissent les événements et les décisions s'agençant en récit ». Le fabulateur d'Errances trouve son identité en narrant ses aventures imaginaires comme tout vagabond, « immigrant à l'envers ». L'intertextualité, d'Homère à Cendrars et Conrad, décentre l'écriture et gomme l'identité du voyageur pour la reconstituer à travers ses périples. L'art de la narration s'acquiert dans les bars, lieux de décentration sociale, à l'écoute des ivrognes, parce que « l'alcool libère la syntaxe ». Dans Les amants de l'Alfama, le personnage refait là sa vie. Préférentiellement avec miroir, le bar est à l'épicentre de la fiction. Le déracinement linguistique par lequel, selon H.J.Greif, « l'auteur allophone » parle « de son monde à lui, mais dans une langue qui n'est pas la sienne », transforme le déplacement fondateur de l'écriture en errance : les langues sont les « horizons » qui font voyager l'écrivain. Tel le récit constitué d'un « mélange très marin d'argot anglais et hollandais, en plus d'un créole local » (Les amants de l'Alfama) dont le métissage raconte à lui seul le déplacement propre au voyage. L'espace littéraire est pour Kokis un « lieu d'exercices existentiels » produit dynamiquement par les « croisements », les « surgissements » et les « sensations « vraies » toujours aussi imaginaires, fictives, irréelles » que Pierre Nepveu voit au travail dans les écritures migrantes.

Session II.   La représentation de la guerre dans la littérature francophone II

Président : Marc BENSON, Collège militaire royal du Canada

Secrétaire : Claire KEITH, Marist College

« Les enfants-victimes dans Johnny chien méchant d’Emmanuel Dongala », Armelle CROUZIÈRES-INGENTHRON, Middlebury College

Exilé depuis 1998 au Massachusetts aux États-Unis où il enseigne la chimie et la littérature africaine francophone à Simon’s Rock College, Emmanuel Dongala publie Johnny chien méchant en 2002 qui traite ouvertement de la guerre civile au Congo et de ses répercussions tragiques aussi bien sur les enfants-soldats que sur les enfants-victimes. Ce beau et poignant roman trace le parcours de deux enfants, Johnny le méchant, et Laokolé, la douce enfant responsable de sa mère handicapée, qui, paradoxalement, apprennent tous deux la survie, l’indépendance et, surtout, la haine dans un pays déchiré et chaotique. Fondé sur une approche dialogique, ce travail va démontrer que la superbe technique d’entrelacement des voix d’enfants et d’adultes, d’Africains et d’Occidentaux qui se superposent, se confondent et s’enchaînent entre elles sert à dénoncer l’autoritarisme quel qu’il soit et le génocide, ainsi qu’à rappeler que les enfants incarnent et demeureront le futur du Congo et qu’ils sont à chérir et non à anéantir.

« La violence est ‘en moi, en toi, en nous’ : la nécessité du dire en temps de génocide et autres apocalypses », Annie Lise CLÉMENT, Université d’Ottawa

En 1998, Véronique Tadjo, une Ivoirienne résidant aujourd’hui en Angleterre, est invitée par le collectif lyonnais Rwanda : écrire par devoir de mémoire à témoigner par la fiction littéraire du génocide rwandais. Comme les autres membres du collectif, l’écrivaine fera d’abord montre de scrupules, hésitant à commenter un drame qui dépasse l’entendement, voire, l’humain. Comme elle, toutefois, les onze écrivains et journalistes appelés feront « devoir de mémoire » et verront leurs œuvres publiées, convaincus de la nécessité du dire devant l’inénarrable, et de l’importante dénonciation des constructions arbitraires et autoritaires (historiques, politiques, culturelles) qui attisent la haine, divisent et engendrent la cruauté. Suivant les théories de René Girard sur la transhistoricité et sur la transdiscursivité de la violence, la présente analyse entend démontrer le pertinente, sensible et originale voix des écrivains qui s’impose devant l’évidence de l’horreur, ainsi que la nécessité de reconnaître sa propre part au mensonge meurtrier collectif — sa propre violence — pour espérer prétendre à la réconciliation avec l’autre. Pour mieux rendre compte d’un possible transculturel de la violence, nous intègrerons dans le corpus les romans Les hirondelles de Kaboul, de l’Algérien Yasmina Khadra (2002), de même que Windows on the World, du Français Frédéric Beigbeder (2003).

« La rhétorique du génocide : deux victimes de la tragédie rwandaise », Janice SPLETH, West Virginia University

Les évènements déclenchés en 1994 par la mort du Président Habyarimana donnèrent naissance à toute une littérature de témoignage qui a voulu préserver l'expérience de cette violence entre Hutu et Tutsi. Dans son récit autobiographique N'aie pas peur de savoir, Yolande Mukagasana, une infirmière tutsi, raconte le massacre de sa famille et sa propre fuite devant les voisins qui l'auraient tuée. Marie Béatrice Umutesi, une sociologue d'origine hutu, a publié ses souvenirs comme réfugiée au Congo dans Fuir ou mourir au Zaire. Le vécu d'uneréfugiée Rwandaise. Après la destruction des camps de réfugiés, elle a dû traverser le pays à pied avec des milliers de ses compatriotes pourchassés par les militaires. Ces deux œuvres dramatisent les conséquences inévitables des guerres ethniques en Afrique dont les victimes sont surtout les civils et souvent les femmes. Des ethnies différentes, elles décrivent des expériences pareilles : le racisme, la haine, l'horreur de la mort, la destruction, la séparation, la fuite, et finalement l'exil et le besoin de témoigner à la souffrance. Mon objectif sera d'analyser ses deux textes pour identifier les éléments narratifs communs et les procédés stylistiques qui les unissent dans l'itinéraire universel du survivant du génocide.

Session III.   Littérature et thérapie

Présidente : Metka ZUPANČIČ, University of Alabama, Tuscaloosa

Secrétaire : Claude EVANS, Université de Toronto à Mississauga

« Littérature et thérapie », Nadia GHALEM, écrivaine, Canada

Écrire : Engouffrer les complexités et diversités de la vie dans des mots et les faire crépiter comme des étincelles sur le feu de l’inconscient. Se pencher sur ce feu au risque de s’y brûler ? Avoir le talent de passer de l’enfance à la vieillesse sans passer par l’âge adulte ? Doubler la vie dans le vain espoir de la dépasser ? Écrire c’est à la fois transgresser toutes les lois impunément et appliquer celles de la discipline, de l’effort destinées à masquer ou réparer les failles de l’inconscient dans une catharsis parfois traumatisante et, dans les pires des cas, mortelle. Le Français Antonin Artaud et le Québécois Claude Gauvreau, et surtout Virginia Woolf donnent à leur œuvre une signature tragique. Certains assument la mort sociale (comme Émile Nelligan) pour continuer chez les aliénés, leur monologue intérieur. D’autres comme Rimbaud mettent un point final à l’aventure aveuglante du verbe pour aller loin, ailleurs accomplir un destin qui ne doit plus rien à l’alchimie du verbe. S’agirait-il d’écrire en sachant quand et comment verrouiller les portes de l’inconscient pour ne pas être submergé tout en laissant se projeter les ombres portées d’un monde qui ne dit pas son nom ? Dans le chemin qui mène des rives enchantées de l’enfance à celles, proches de la mort qu’est la vieillesse, il y a cette prétention « proustienne » de voir ce que les autres ne sauraient voir, il y a cette tentative réparatrice, sans passer par le temps des « haleurs qui balisent les chemins liquides entre raison et déraison », pour paraphraser Rimbaud.

« Du fiasco sentimental au roman d’amour : Aziyadé et Pêcheur d’Islande de Pierre Loti », Claude EVANS, Université de Toronto à Mississauga

En comparant avec leur transcription dans ses deux célèbres romans, Azyiadé et Pêcheur d’Islande, les expériences amoureuses que Pierre Loti a vécues en Bretagne et en Turquie et qu’il décrit dans son journal intime, Cette éternelle nostalgie), je tenterai d’expliquer comment l’écriture fournit à l’auteur le moyen de trouver un équilibre entre les tendances vers le don juanisme et l’austérité qui s’opposent en lui de façon conflictuelle et potentiellement destructrice puisqu’elles le plongent souvent dans une profonde dépression. Après avoir analysé ces deux pôles de l’identité de Loti – le don juanisme et l’austérité due à l’influence de son éducation protestante –, j’examinerai comment la beauté de l’écriture, l’exotisme des décors et l’intensité des sentiments donnent une dimension touchante à des aventures qui dans la vie courante pourraient sembler banales et même déplaisantes. La mise en scène du roman finit par rejoindre la vie réelle lorsque Loti fait de la mosquée et de son salon turc de sa maison de Rochefort des reliquaires à la mémoire d’Aziyadé. Le séducteur peut se faire ainsi illusion à lui-même et aussi à son lecteur qui, sans une analyse poussée, oublierait facilement que celles qu’il dit avoir aimées sont en fait plutôt des victimes de son narcissisme.

« L’écriture dans Cogne la caboche de Gabrielle Poulin : moyen de se frayer un passage parmi les ombres », Sheila LACOURCIÈRE, chercheure indépendante

Le roman Cogne la caboche de Gabrielle Poulin relate le passage difficile de Rachel Delisle/soeur Anna-des-Anges d’une communauté religieuse à la vie séculière, c’est-à-dire des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie. En entrant au couvent, Rachel perd son nom et son identité. Puis, elle ne découvre qu’une morale rigide qui défend toute expression du désir. Même le pays des songes lui est défendu. Aussi, après quinze ans passés au couvent chez les religieuses, Rachel se sent-elle stérile et desséchée. Elle se compare à une poupée de son, inerte et inarticulée. Quel miracle pourrait la faire sortir de sa condition de morte vivante ? C’est dans et par l’écriture que Rachel va chercher le salut. La nuit, dans la solitude de sa cellule, elle commence d’écrire dans un petit carnet de poche qui deviendra un instrument de libération. Pour mener à bon port sa quête de libération et d’épanouissement, Rachel effectue, par l’écriture, une plongée psychologique au fond de son enfer intime. Son parcours possède des traits communs avec l’initiation. En effet, son trajet se rapproche d’une forme moderne de l’initiation, à savoir, la psychanalyse. Dans cette communication nous allons faire ressortir les grandes étapes de la thérapeutique par l’écriture qu’entreprend la jeune femme. Nous allons établir que c’est par la prise de parole que représente l’écriture que Rachel trouve le salut. De plus, nous allons montrer que son aventure initiatique engendre un ouvrage qui relate l’expérience qu’elle a vécue.

Session IV.   Écritures maghrébines

Présidente : R. Matilde MÉSAVAGE, Rollins College

Secrétaire : Zakia ROBANA, Alfred University

« Fascination de Naples dans Le labyrinthe des sentiments de Tahar Ben Jelloun », Najib REDOUANE, California State University, Long Beach

Quels sont les éléments particuliers qui distinguent Naples de toutes les autres villes abordées dans l’œuvre de Ben Jelloun telle que Tanger, Fès, Marrakech ou encore Paris ? C’est ce que nous tenterons de montrer dans la présente étude indiquant que la fascination qu’exerce Naples sur l’écrivain n’est pas un objet d’écriture sur le mode de l’imaginaire ou de la fabulation. C’est dire que cette ville aux multiples visages comporte une topographie bien spécifique qui lui donne sa coloration et sa tonalité propre. À partir de certaines réalités qui la composent, elle se fait cadre, thème et personnage agissant en tant que véritable agent qui permet à l’intrigue d’évoluer et qui conditionne jusqu’à l’action romanesque elle-même.

« Parcours poétique à la croisée de plusieurs cultures : Lélia Young », Yvette BÉNAYOUN-SZMIDT, Glendon-Université York

Lélia Bellaïche-Young, née en Tunisie à l’époque du protectorat français, quitte son pays natal pour s’installer au Québec et ensuite en Ontario où elle vit depuis plusieurs années. Auteure de divers recueils de poésie : Entre l’outil et la matière, Si loin des cyprès et Aquarelles de la paix, elle reçoit une critique élogieuse, l’érigeant au rang d’une nouvelle voix poétique qui vient enrichir le fait francophone à Toronto. Le but de notre communication est de tracer le parcours poétique de cette poétesse à la croisée de plusieurs cultures – à la fois sépharade, maghrébine, tunisienne, ontarienne et canadienne – symbiose culturelle qui l’amène à une béance identitaire qui tend vers le transnational et l’universel. Sa poésie qui ramène à l’essence de la Culture guide et transforme son cheminement personnel, à un retour constant aux sources identitaires et à une re-naissance de l’être et de l’écriture poétique.

« La chanson dans les films de Tlatli : une tradition ou une provocation ? », Zakia ROBANA, Alfred University

Les chansons ont toujours occupé un espace privilégié dans les films arabes notamment dans les films de Moufida Tlatli. Cette technique ou plutôt cette tactique s’appuie sur l’utilisation des figures rhétoriques et des images métaphoriques constituant un conservatoire fort impressionnant du vécu. Cette rhétorique sociale est munie d’un arrière plan comique dans certaines situations et sérieux dans d’autres, visant la provocation et les railleries dont la cible est de mettre en cause le statut quo et de renverser l’agressivité en persiflage.

« Souâd Guellouz et la genèse d’une œuvre », R. Matilde MÉSAVAGE, Rollins College

Au beau milieu de l’été en 1957, après les élections législatives qui donnèrent une majorité écrasante aux candidats du parti Néo-Destour, la République tunisienne fut proclamée par l’Assemblée constituante, et Habib Bouguiba devint président. Pendant la même année, Souâd Guellouz écrivait son premier roman, La vie simple. Elle n’avait que vingt ans. La naissance de la République tunisienne coïncide donc avec une prise de conscience individuelle féminine des enjeux de l’indépendance. Comme l’émergence du féminisme en Tunisie n’a débuté que vingt ans plus tard, il n’est pas étonnant de constater que ce roman parut seulement en 1975. Encore en 1984, le taux de l’analphabétisme féminin touchait 58% des Tunisiennes et 66% de rurales. Malgré sa publication tardive, La vie simple marque les balbutiements du féminisme tunisien. Après la parution de nouvelles, de poèmes et de deux romans, Souâd Guellouz remporte le prix « Les femmes qui ont marqué le siècle », en l’an 2000, pour le roman en langue française. La narratrice du récit à la première personne de La vie simple incarne les désirs et les peurs, les aspirations et les repliements de son pays. Cette femme essaie de se définir, de se structurer, déchirée entre les valeurs occidentalisées des partisans du Néo-Destour et celles du Vieux Destour qui favorisaient un retour à la tradition islamique. Une analyse de La vie simple et de certains de ses poèmes de jeunesse nous permettra de découvrir la genèse des personnages, des situations, des idées et des techniques narratives qui se développeront dans l’œuvre de Souâd Guellouz. L’ambiguïté au cœur de ses écrits reflète celle de son pays.

Session V.   De soi à la communauté en littératures francophones féminines d’Afrique et des Caraïbes I

Président : Ikanga TCHOMBA, Ohio State University

Secrétaire : Anne M. FRANÇOIS, Eastern University

« La critique du pouvoir dans le roman féminin francophone ivoirien », Viviane BEKROU, University of Maryland

La présente étude se propose d’analyser le thème de la critique sociale tel qu’il apparaît dans la littérature féminine africaine. On se servira plus précisément des romans d’écrivaines ivoiriennes, notamment Le royaume aveugle de Véronique Tadjo et de Une vie de crabe de Tanella Boni. Notre intérêt pour ce thème provient de la majorité des ouvrages critiques produits sur la littérature féminine africaine. Ces critiques marquent une nette préférence pour les thèmes traitant de la condition féminine. Le prétexte est qu’à travers leurs écrits, ces auteures elles-mêmes se confinent dans ce type de sujets. Pour plus de lumière, nous projetons, dans le cadre de cette communication, de démontrer que dans leurs romans, les écrivaines ivoiriennes ci-haut citées se démarquent de cette tendance. Par contre, différemment de cette conception générale, elles privilégient la dénonciation du pouvoir politique, l’incurie des classes dirigeantes, les contradictions inhérentes à la société traditionnelle et tous les maux sociaux qui en découlent. Ainsi, elles se posent comme des témoins privilégiés de leur société.

« Portrait de la femme antillaise dans Juletane de Myriam Warner-Vieyra », Anne M. FRANÇOIS, Eastern University

Cette communication proposera une lecture de Juletane comme l’élaboration consciente et performative d’une réflexion sur la présence de la femme antillaise en milieu africain. Juletane se lit comme une remise en question du portrait figé de la femme antillaise dans la littérature antillaise. Je chercherai à démontrer que le refus de la maternité chez Juletane, menaçant l’ordre social dans le système patriarcal, permet à l’héroïne de se définir à travers l’écriture. À travers Juletane, Warner-Vieyra s’insurge contre les abus (la polygamie, la maternité, etc.) dont sont victimes les femmes.

« Le soi dans Une si longue lettre de Mariam Bâ est un soi collectif », Ikanga TCHOMBA, Ohio State University

Le ton de l’expression est fonction de traitement subi. Dans le mauvais cas la victime se sent isolée, abandonnée dans son triste sort. Ainsi, elle étale implicitement ou pas son verbe en une sorte de verve frisant le dévoilement de soi. Partant de Une si longue lettre de Mariam Bâ le ton de ses protagonistes vire du personnel au communautaire, un communautaire traversant même océans et mers. En effet, dans notre texte de base, le primat de belles familles respectives d’épouses en plus de celui de leurs époux représente celui de toutes les familles des maris et des hommes d’Afrique. Si d’un coté s’affiche de façon flagrante la réification de la femme africaine privée de ses droits humains, de l’autre coté l’on déplore l’exclusion de l’enfant au procès de famille. Dans son ensemble, le discours de Mariam Bâ présente implicitement une sorte d’extension syllogistique où l’expression de soi, la situation d’un seul individu ou d’une partie de la société représente celle de toute une communauté. Ici donc, le discours se comporte en un langage où, de façon inédite, le dévoilement de soi se transforme en celui de la société entière dans tous ses aspects vitaux pour un lendemain meilleur. Finalement nous allons du lyrisme personnel à un lyrisme impersonnel où les cris de l’un sont aussi les nôtres.

Jeudi 30 juin     17h30 – 19h00

Table ronde : « La littérature guyanaise en question », avec Monique BLERALD et Serge PATIENT (présidée par Monique BLERALD, modérée par Mark ANDREWS)

Cette session se propose de faire découvrir la littérature de la Guyane Française. Qu’est-ce que la littérature guyanaise ? Existe t-il une littérature guyanaise ? Quel est son contenu ? En quoi se démarque-t-elle des autres littératures proches, notamment la littérature antillaise dans laquelle elle a toujours été intégrée ? D’ailleurs, le plus souvent lorsqu’on évoque la littérature guyanaise, on se réfère à Léon Gontran Damas. Les autres écrivains tels René Maran (Prix Goncourt 1928) sont rangés dans la littérature antillaise.

« Littérature guyanaise au féminin », Monique BLERALD, Université des Antilles-Guyane

Quand on parle de littérature guyanaise et surtout hors de la Guyane, on pense généralement à Damas, Juminer, Patient et Stéphenson, c’est-à-dire surtout les auteurs-hommes. Des auteurs dont les œuvres se caractérisent par le ton de la revendication, la contestation, la dénonciation par rapport à la culture occidentale mais aussi l’affirmation d’une identité, d’une culture nègres certes, mais surtout créoles. Pourtant depuis 1970 et ce jusqu’à ce jour, on note une absence de production littéraire d’envergure et d’auteurs dont la renommée dépasse les frontières guyanaises. Comment interpréter ce vide littéraire? Est-ce dû à l’absence de politique culturelle régionale dans le domaine du livre ou encore « à l’ignorance du circuit du livre par ceux qui écrivent » ? Quoiqu’il en soit, ce vide littéraire est comblé depuis les années 80 par les femmes. Ces dernières partent à l’assaut, apportent un souffle nouveau à la littérature guyanaise. Elles s’impliquent sur le plan associatif, écrivent des poèmes, des pièces de théâtre, des nouvelles, des romans, des essais… Une apparition tardive qui pourrait s’expliquer par une prise de conscience tardive mais aussi par la mentalité. Les femmes ont désormais compris que la lutte pour le respect de la dignité passe non seulement par la prise de position concrète dans la cité mais aussi par l’écriture.

Intervention de Serge PATIENT, écrivain guyanais, Prix Carbet 2000

Il évoquera sa pratique en tant qu’écrivain, héritier, fils spirituel ou non de Damas.