19ème Congrès à Ottawa-Gatineau

27 Juin - 3 Juillet 2005

Résumés des communications
Mercredi 29 juin 2005

 

Mercredi 29 juin   09h00 – 10h30

Session I.   Portraits de mères dans la littérature francophone

Présidente : Véronique MAISIER, Southern Illinois University

Secrétaire : Karin EGLOFF, Western Kentucky University

« En attendant Folcoche : la mère castratrice dans Le Clavecin de Diderot de René Crevel », Karin EGLOFF, Western Kentucky University

Dans la galerie de portraits dont foisonne l’œuvre de René Crevel, les mères castratrices occupent une place de choix. Le rapport à la mère est toujours décrit comme fort douloureux, et on ne tarde pas à s’apercevoir que le personnage ne souffre pas d’un ordinaire complexe d’Œdipe : ce n’est pas sa mère qu’il désire, ce n’est pas son père qu’il entend effacer. C’est le contraire. En fait, il s’empêtre dans l’Oedipe, car ce n’est pas tant que Crevel prétende détester sa mère, mais plutôt qu’il ait la plus grande difficulté à se défendre de « désirer » une sœur quelque peu fantasmagorique, une « jumelle » fabriquée, une « autre lui » en qui il voit le substitut de la Folcoche qu’il n’a peut-être jamais cessé de porter aux nues. C’est ainsi qu’il devient clair pour le lecteur que si la mère est castratrice, la femme, en tant que telle, n’en est pas pour autant à dénigrer. Peut-on suggérer qu’en devenant écrivain Crevel a su reprendre le stylo, le phallus, à sa mère et c’est ainsi que l’écriture lui a permis de surmonter sa difficulté d’être [fils] au monde ? Selon la formule de Lacan, les mères dont Crevel brosse le portrait renvoient à des femmes incapables d’afficher les oripeaux de la féminité.

« La mère dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar ou le déni créateur », Lylian BOURGOIS, University of Massachusetts

L’œuvre de Marguerite Yourcenar affuble la mère d’images négatives (araignée, vache, prostituée, buse, Parque) où la mater familias apparaît comme une reine toute puissante qui manipule et qui trame un mauvais destin pour ses enfants qu’elle vide. Aussi forte qu’un homme, la mère peut même concentrer les privilèges des deux sexes et la métaphore animale a pour but de toujours détruire tout sentiment maternel. Les thèmes de l’abject, de la dévoration ou de la toile d’araignée sont récurrents et la mère-araignée devient, une fois la procréation terminée, une femme-araignée tuant le mâle après qu’il l’a copulée et dont la sexualité ne fonctionne que comme piège. La mère n’a pour autre but que de se décomposer, de mourir et de se transformer. La naissance est ainsi toujours liée à la mort et à la mère morte, comme dans le cas de la mère de Yourcenar. La mère y représente un cadavre emmuré dont « l’écriture se fait la propre tour » et qui en fait a donné naissance à l’écriture. La mort de Fernande n’est-elle pas le début de l’autobiographie yourcenarienne ? À la fameuse phrase de Fernande (« Si la petite a jamais envie de se faire religieuse, qu’on ne l’empêche pas. »), Marguerite Yourcenar répondra : « Il m’arrive de me dire, tardivement, et à ma manière, que je suis entrée en religion, et que le désir de Mme de C*** s’est réalisé d’une façon que sans doute elle n’eût ni approuvée ni comprise. »

« Le portrait problématique de la mère chez Albert Cohen et Annie Ernaux », Véronique MAISIER, Southern Illinois University

Quoi de commun entre Albert Cohen, auteur suisse, juif, né à Corfou en 1895, et Annie Ernaux, cette femme écrivain, française, catholique, née en Normandie en 1940 ? Quoi de commun ? Une mère dont le décès donne irrépressiblement naissance à un texte. Ces deux auteurs écrivent un essai autobiographique en réaction à la disparition de la mère. Le livre d’Ernaux, Une femme, écrit en 10 mois, sera publié un an après le décès de la mère. Celui de Cohen, Le livre de ma mère, reprend quatre textes écrits pendant une période de 11 mois et entrepris de même quelques mois après le décès maternel du 10 janvier 1943. Dans les deux cas, l’autobiographie se fait confession et mea culpa. Le sentiment de culpabilité chez ces deux auteurs par rapport à la mort de la mère est indéniable ; chez Ernaux parce que la mère est décédée seule dans une maison de repos, chez Cohen parce qu’elle est décédée seule à Marseille sous l’Occupation allemande. Si « l’abandon » de la mère se trouve justifié dans les deux cas, l’impossibilité physique et/ou historique de passer les dernières années auprès de la mère n'apporte cependant pas l’absolution qui délivrerait du sentiment de culpabilité. L’intérêt de ces textes réside dans l’analyse de la complexité des sentiments révélés au fil des pages, une analyse qui révèle un fond commun dans le portrait de la mère chez ces auteurs si différents.

« Pourquoi les mères ne sont-elles pas maternelles ? Itinéraires de mères dans les romans de Maryse Condé et Gisèle Pineau », Dominique LICOPS, Northwestern University

Dans leurs romans qui sont en partie autobiographiques, les auteures guadeloupéennes Maryse Condé et Gisèle Pineau nous offrent des portraits complexes de mères : mères célibataires incapables d’aimer leur fille suite à leur propre histoire (abandon de l’amant- père, viol) dans La vie scélérate et Desirada de Maryse Condé ; mère prises dans des courants idéologiques et des réalités économiques (colonialisme, bourgeoisie, capitalisme) qui remettent en cause leur capacité à répondre aux attentes de leur fille dans les romans cités ci-dessus et dans Exil selon Julia de Gisèle Pineau. À travers une étude de ces personnages dont le rôle maternel est rendu difficile, sinon impossible, par les circonstances de la vie et par des systèmes sociaux hostiles aux femmes et plus spécifiquement aux mères, je propose d’analyser comment ces itinéraires personnels de mères offrent une critique des discours socio-culturels sur la maternité et des réalités socio-économiques défavorables à l’épanouissement réel des mères. Je mettrai également l’accent sur les pistes de solutions que ces trois romans offrent aux conditions difficiles de mères en analysant comment les personnages (mère et fille) négocient les situations dans lesquelles leur histoire personnelle et la conjoncture socio-économique les placent.

Session II.   Les écritures migrantes du Québec contemporain I

Présidente : Simone GROSSMAN, Université Bar Ilan

Secrétaire : Danielle DUMONTET, Johannes Gutenberg Universität

« Terre, mère et langue : deuil et écriture migrante du Québec contemporain », Marie CARRIÈRE, Université du Nouveau-Brunswick

La double spécificité du cadre qu’il quitte et de celui qu’il adopte détermine l’état économique, social ainsi que psychique de l’auteur migrant. Or, c’est bien au-delà de l’exaltation de l’ethnicité sous-jacente, selon certains critiques, à la notion du multiculturalisme canadien (Bissoondath, 1995), qu’il nous faut cerner la douleur de l’exilé à l’issue de l’expérience migratoire. Nous tenterons d’abord, pour parler d’écritures migrantes au Québec, d’évoquer l’expérience de l’immigration ainsi que celle de l’exil, mais encore plus de pointer vers une esthétique de mouvements, voire, de traversées et de dérives, certes liée à la postmodernité, et surtout ouverte à l’indéterminé, au discordant ainsi qu’au pluriel de l’identité, de la langue, des genres et discours littéraires, de la mémoire, du temps et de l’espace. À travers leurs expériences individuelles d’exil, que ce soit par rapport au lieu délaissé, à la langue maternelle ou encore, à une perte plus intime (par exemple celle d’un être cher), l’écriture de plusieurs écrivains migrants rend compte d’un travail de deuil. Ainsi, le deuil inachevé se projette dans les textes littéraires à travers la mélancolie d’un sujet énonciateur. En abordant la poésie de Nadine Ltaif (Les métamorphoses d’Ishtar), le théâtre de Marco Micone (Déjà l’agonie) et la fiction d’Abla Farhoud (Le bonheur a la queue glissante), cette étude prend pour objet l’oscillation entre deuil et mélancolie – entre travail de deuil et sa négation. Ainsi, ces expressions littéraires d’exil mettent en lumière la nature arbitraire, toujours labile et surtout transnationale de l’identité. L’analyse nous conduira à scruter, toujours dans les textes littéraires à l’étude, l’idée d’un soi-même labile et peut-être toujours déjà endeuillé, issu de la nature discontinue, insaisissable et transnationale de l’expression de l’exil.

« Culture populaire et recherche de soi dans Un petit pas pour l’homme (2004) de Stéphane Dompierre », Kelly-Anne MADDOX, University College of the Cariboo

L’action de ce roman de Stéphane Dompierre se situe dans un monde composé d’une multiplicité de références culturelles, des références qui s’entrecroisent et s’entremêlent pour faire de ce roman un récit basé sur le métissage culturel. Ce métissage est principalement évident dans le foisonnement de renvois à la culture populaire contemporaine : musique anglophone des groupes tels que les Rolling Stones, films américains mettant en vedette Bruce Willis, émissions télévisées françaises de Michel Drucker. C’est à travers ces multiples renvois que l’influence d’autres pays, cultures et langues s’infiltre dans l’espace montréalais romanesque de Dompierre. En plus, c’est sur ce fond hybride, dépourvu de repères identitaires culturels bien identifiables, que le narrateur, Daniel, se lance à la recherche de son identité après avoir perdu son repère identitaire principal, c’est-à-dire, sa copine de six ans et demi, Sophie. Daniel se trouve ainsi doublement déraciné, ne sachant pas se définir sans sa copine dans ce monde mouvant. Dans ma communication, je compte explorer la recherche de soi dans le cadre de cette double perte de repères. Je me pencherai d’abord sur la relation entre les différentes représentations de la culture populaire et le brouillage culturel. Pour ce faire, je me servirai à titre d’exemples de la musique, du cinéma et de la télévision et je discuterai du rôle de l’intertextualité dans le métissage culturel et textuel. Finalement, mon étude portera sur la quête d’une identité authentique au sein de ce brouillage, ainsi que les tentatives entreprises par le personnage principal afin de retrouver et de reconstruire ses repères identitaires.

« L'altérité chez Chung Ook », Rosa HONG, Université de Toronto

Chung Ook est un jeune écrivain québécois qui a déjà reçu de nombreux prix littéraires. Né au Japon des parents coréens, il est venu au Canada à l'âge de deux ans. Il a fait ses études à Montréal et commence à rédiger ses romans en français très tôt. Il a récemment obtenu son doctorat à Paris avec un travail sur Le Clézio. La thématique principale dans son œuvre - romans et nouvelles - qui m'intéresse le plus est la notion d'altérité dans la construction de ses personnages romanesques.

Session III.   Les voix minoritaires dans le monde francophone

Président : Zakaria FATIH, University of Maryland at Baltimore County

Secrétaire : Kanaté DAHOUDA, Hobart and William Smith Colleges

« L’étrange Afrique de l’Afro-asiatique, l’Indochine du tirailleur : montages et re-constructions identitaires à travers Mémoire(s), Histoire(s) et discours social », Ibrahima WADE, The Colorado College

La francophonie demeure un espace multiple dont la composition ethnolinguistique est, pour dire le moins, une réalité organique résistante à l’exploration ou à la définition exhaustive. C’est dire qu’en ces éléments constitutifs, à savoir les peuplades francophones, il existe de nos jours une pluralité de micro-cultures dont la genèse et le bourgeonnement se trouvent toujours éclipsés par la dynamique présence des cultures à caractéristiques nationales. Par exemple, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal constituent des pays dont le caractère national s’appréhende pour la plupart à travers les traits culturels émanant des groupes ethniques dont la composition dénote, si ce n’est des millions, au moins des centaines de milliers de membres. Or, si le francophone se définit ne serait-ce qu’en partie, à travers son adhésion et son usage de la langue française, de par son existence et sa participation pratique aux gestes culturels dans un espace francophone déterminé, alors nous sommes loin d’avoir cerné les contours de la francophonie africaine. Car il se trouve existant dans ce complexe et vaste univers, à l’intérieur de ses interstices, des cultures « exiguës » dont la présence rappelle les empreintes indélébiles d’une osmose culturelle féconde de nature plus invraisemblable que réelle. Ma communication a l’ambition de discuter la problématique qui sous-tend les rapports « accidentellement » féconds de la guerre, de l’exil et de la re-configuration identitaire dans le contexte des œuvres de Niane et Coulibaly mais aussi dans le cadre plus historique des mémoires de tirailleurs sénégalais qui participèrent à la guerre d’Indochine sous les coups de boutoir de la France.

« Les jeux de l'écriture ou les problèmes culturels à travers la traduction », Maria ORPHANIDOU-FRERIS, Université Aristote de Thessalonique

Partant du principe que la traduction nous donne souvent une notion partielle du contexte source – c’est-à-dire que partageant la conception que traduire n’est pas bel et bien un savoir professionnel, mais aussi et avant tout une activité culturelle, voire littéraire – nous montrerons, en particulier à partir des conceptions de Meshonnic, comment le recueil de nouvelles, Les passantes, de l'écrivain française, Sylviane Roche – qui vit et travaille à Lausanne, se considérant francophone romande – a été rendu en grec moderne. Et ceci en mettant l’accent par des exemples, sur les littératures minoritaires, comme la littérature francophone grecque. Dans le contexte, en particulier littéraire, le processus traductif vise avant tout à adapter – pour être compris – le contexte de la langue source à la langue cible. C’est pourquoi le traducteur « imagine » souvent des images, des tournures, des styles, autres que ceux du contexte du départ. D’où le besoin d’envisager la traduction non pas comme une simple opération de transcodage d’éléments ou de transfert de sens équivalents, mais comme une forme d’acte langagier dont les variétés des mécanismes discursifs qui le structurent peuvent se restituer dans leur totalité. Cet aspect théorique sera centré, par des exemples brefs et précis, pour prouver que la traduction constitue une nouvelle imagination, ou plutôt une ré-imagination du texte, métamorphosant le texte-source français à une réinterprétation écrite en grec moderne, à une réécriture due aux besoins de liberté de la compréhension, d’une œuvre de la littérature francophone, qui pour le public grec est considérée une littérature minoritaire.

« L'affection érotique de Théo Crassas », Georges FRERIS, Université Aristote de Thessalonique

Après avoir défini la francophonie grecque, littérature marginale de la périphérie minoritaire et la place qu'occupe aujourd'hui Théo Crassas dans cette production littéraire, on envisage de présenter son œuvre poétique, en mettant l'accent sur son thème préféré : l' affection érotique. À travers ce thème, le poète exprime une sensualité cosmique, encyclopédique et mythique, présentant un art simplifié de la syntaxe, d'où jaillit le sens de l'archaïsme, de la dérivation, du doublet rare ou recréé de toutes pièces. Mais le poète ne se contente pas de l'ivresse ordonnée et de la folie des sens ; il se plaît à énumérer l'énergie érotique, par une intensité de flux verbal, par une efflorescence effective, par un amour à la langue. À travers cette technique, le lecteur constate une force de conviction, une force lumineuse de glissement majestueux, qui s'oppose aux mélodies constamment contrariées. Le poète soucieux pour la beauté féminine et pour la perfection en général, recherche le mystère de la beauté, préoccupé avant tout de faire émerger une poésie éruptive, lisse et maîtrisée, une poésie qui refuse le beau vers. Crassas utilise une strophe soyeuse, aux mètres courts et enchaînés, un discours lumineux, une réverbération vénusienne, donnant à sa poésie une précipité lyrique, riche de couleurs, de sons, d'images, traits qui forment une affectivité spéciale, une affectivité dont la clé se trouve dans sa langue poétique. En général, en mettant l’accent sur ce grand poète d’une littérature complètement ignorée et très mal diffusée, on espère donner un aperçu d’une autre littérature minoritaire.

« La dynamogénie de l’étranger ou les avatars de l’obsession ethnique dans la littérature ivoirienne », Kanaté DAHOUDA, Hobart and William Smith Colleges

Au cours des années 80, les observateurs internationaux parlent de miracle ivoirien pour souligner le caractère extraordinaire de la réussite économique de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, cette réalité ne cesse de se dégrader sous la pression d’une profonde crise politique générée, en partie, par le malheureux concept de « l’ivoirité ». L’exploitation politique de cette notion ivoiritaire suscite en effet un discours social dont le caractère manichéen oppose de « vrais Ivoiriens » à de « faux Ivoiriens », qui sont assimilés à des étrangers. Cette division idéologique a fini par créer des fractures et des blessures sociales, que la communauté internationale s’efforce en ce moment de guérir. Dans ce contexte de crise profonde, la montée en puissance de l’ethnicisme comme enjeu identitaire et national constitue un phénomène inquiétant qui ne manquera pas d’affecter l’imaginaire de la littérature ivoirienne, comme en témoignent des œuvres de création de Maurice Bandaman. C’est avec son « conte romanesque », Le-fils-de-la-femme-mâle, que ce jeune écrivain ivoirien s’impose à l’attention du lectorat francophone, en obtenant le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire en 1994. Nous nous proposons de voir comment cette figure fonctionne chez Bandaman en tant que motif de subversion et de contradiction sociale. Nous montrerons ensuite comment la dynamogénie de l’étranger actualise une vison de la terre natale donnée comme lieu de refuge d’une identité essentialiste. Enfin, nous verrons comment cette vision éternitaire de l’identité réactive la pratique d’une violence rituelle, qui vise à étouffer toutes velléités de désaffiliation par rapport à l’idéologie conservatrice du terroir ethnique.

Session IV.   L'homme générique court-il encore les rues ?

Présidente : Louise-Laurence LARIVIÈRE, Université Concordia et Université de Montréal

Secrétaire : Edwige KHAZNADAR, ERSS-CNRS et Université de Toulouse-Le Mirail

« De l'homme générique ou spécifique à la femme spécifique », Louise-Laurence LARIVIÈRE, Université Concordia et Université de Montréal

Dans Le Nouveau Petit Robert (NPR), le mot « homme » (dans son acception spécifique) est défini comme « être humain mâle ». On se serait attendu à ce que le mot « femme » soit défini, par symétrie, comme « être humain femelle » ; pourtant, il est défini comme « être humain appartenant au sexe capable de concevoir les enfants à partir d'un ovule fécondé (sexe féminin) ; femelle de l'espèce humaine ». Qu'en est-il lorsqu'il s'agit de féminiser des termes contenant le mot « homme » (au sens spécifique) pour dénommer la femme qui exerce une activité traditionnellement réservée à des hommes ? Doit-on recourir à une périphrase, comme dans la définition du NPR du mot « femme » ou remplacer le mot « homme » par le mot « femme » : ex. une femme-orchestre, une prud'femme ? Qu'en est-il aussi des expressions contenant le mot « homme » (au sens générique) comme dans « une chasse à l'homme » ? Doit-on recourir au doublet : « chasse à l'homme et à la femme » ou à une expression autre, sans aucune mention de genre, telle « poursuite policière » ? Qu'en est-il, par ailleurs, des termes contenant le mot « femme » pouvant s'utiliser pour dénommer des hommes qui ont accédé à des professions traditionnellement exercées par des femmes, comme « sage-femme » ? Ou des emprunts à d'autres langues contenant un mot qui est la traduction du mot « homme », tels « ombudsman » (mot suédois) ou « cameraman » (mot anglais) ? Ce sont à toutes ces questions que notre communication tentera de répondre en proposant un système de dénomination qui respecte à la fois les règles grammaticales de formation du genre en français et les règles terminologiques de créativité lexicale.

« Français d’hier ou de demain : à quand le féminin générique ? », Marie-Marthe GERVAIS-LE GARFF, University of Plymouth

La féminisation langagière, en France, se concentre surtout sur les cas de réticences à la féminisation. Les récalcitrants au changement ne sont plus qu’une minorité qui fait perdurer l’emploi du masculin générique et qui considère encore certaines formes féminisées comme une entorse au bon usage. Par ailleurs, un survol du traitement du genre grammatical dans les manuels de FLE à usage scolaire en Grande-Bretagne, ces dernières années, révèle que le masculin générique y a encore droit de cité. Compte tenu de cette situation, il m’a paru pertinent de procéder à une enquête de production en milieu scolaire en Grande-Bretagne. Tiraillés entre le besoin de respecter les normes langagières et le désir d’enseigner le français tel qu’il est utilisé dans la France contemporaine, quels choix les enseignant(e)s opèrent-ils ? Le but de l'enquête, réalisée auprès de professeur(e)s de français de l’enseignement secondaire, était de découvrir si les forces traditionnelles ont laissé place aux principes progressistes en matière de féminisation, et avait pour objectifs : 1) D’établir si les professeur(e)s du secondaire se sont laissé gagner à la féminisation langagière ; 2) D’établir des corrélations entre les attitudes envers la langue, le sexe, l’âge des professeur(e)s et les formes enseignées à leurs élèves ; 3) D’analyser le corpus recueilli (à partir de questionnaires) et de partir à la recherche de zones d’hésitation, de lacunes, de masculins génériques, voire d’usages non normatifs, et d’en tirer des conclusions. Le savoir linguistique qui ressort de cette collection de données est-il préjudiciable à la connaissance du français contemporain et de la France et jusqu’à quel point reflète-t-il la réalité de la féminisation linguistique en France à l’orée du 21e siècle ? C’est la question à laquelle nous tenterons de répondre.

« De l'homme générique à la femme particulière », Jackie SCHÖN, Université de Toulouse-le-Mirail

Toute indication de sexe repose sur la notion de différence entre les sexes. En français, cette différence se manifeste, en grande partie, par la distinction entre les deux genres grammaticaux, leur opposition portant sur la notion d'indifférenciation sexuelle pour le masculin vs celle de différenciation sexuelle pour le féminin. Il en résulte que seule la marque du féminin sera indicatrice d'une spécification sexuelle tandis que son corrélat masculin renverra à l'expression du générique selon le tableau suivant de correspondances qui se lit de bas en haut : le/il / la/elle ; universel / singulier ; générique / particulier ; indifférenciation sexuelle / différenciation sexuelle ; masculin / féminin. Se pose alors la question du rapport entre l'indifférenciation sexuelle et le générique, d'une part, et entre le générique et le particulier, d'autre part, mais il apparaît déjà que le sexe (à savoir, celui des femmes) joue comme premier attribut discriminant de catégories logiques de la pensée. Du côté du Sujet, le traitement linguistique sera différent selon que « je » est homme ou femme. Le premier se trouvera, à la fois, constituant la référence dont se distingue son corrélat féminin et adossé à l'Universel, tandis que le « je » femme est, d'entrée de jeu, marqué du sceau de la Différence et Singulier, par essence. Il ne restera plus qu'à rejoindre, en les illustrant, les enracinements psychanalytiques de la formulation apparemment scandaleuse de Lacan : « La femme n'existe pas ».

« L'homme générique court toujours : discrimination sociale par le discours au masculin en France en 2005 », Edwige KHAZNADAR, ERSS-CNRS et Université de Toulouse-Le Mirail

En introduction, l'exposé prend appui sur une synthèse de plusieurs études de discours précédentes : textes lexicographiques, narratifs, didactiques, etc., plus celui du discours argumentatif académique promouvant le masculin dit générique. En point principal est développée l'analyse d'un texte de journalisme de vulgarisation scientifique de 2004, extrait d'une revue française, sur Homo sapiens, toujours dénommé massivement « l'Homme », avec peu ou pas de références explicites à la femme. En conclusion, on examinera la place de la dénomination de la femme non pas dans la langue française, au fonctionnement équilibré, mais dans l'univers discursif français d'aujourd'hui, tel qu'on peut le considérer à partir des théories philosophiques et sociologiques actuelles comme celles de Jacques Derrida et Pierre Bourdieu.

Mercredi 29 juin   10h45 – 12h15

Session I.   Portraits de mères dans la littérature francophone II

Présidente : Janine RICOUART, George Mason University

Secrétaire : Véronique MAISIER, Southern Illinois University

« La parole maternelle dans les romans de premières lectures au Québec », Claire LE BRUN, Université Concordia

Depuis une dizaine d’années, les collections de romans pour lecteurs débutants (6 à 9 ans) se sont multipliées de manière exponentielle dans l’édition québécoise. Ces récits appartiennent à différents genres, du policier à la Fantasy, en passant par les réécritures de contes, mythes ou fables. Alors que certains sont dominés par le ludisme, d’autres accordent une attention soutenue aux étapes du développement de l’enfant, aux interrogations existentielles sur le temps, la mort, voire le sens de la vie. Dans cette seconde catégorie de romans, le personnage enfant, qui assume souvent la fonction de narrateur, évolue dans un cadre socioréaliste où la famille occupe une place prépondérante. À une représentation du monde de l’enfance en marge de celui des adultes se substitue de plus en plus celle d’une société multigénérationnelle. La dynamique des romans et le processus de résolution des problèmes se fondent sur l’interaction des jeunes protagonistes avec les adultes de leur famille. Divers procédés textuels sont mis en œuvre pour assurer dans le récit subtilement didactique l’insertion d’une parole adulte. On assiste ainsi à une réhabilitation de l’image parentale, fortement malmenée dans les années 1980. Nous nous proposons d’examiner les savoirs et les valeurs véhiculés par le truchement d’une parole maternelle et d’analyser les modalités d’insertion de cette dernière dans le texte romanesque. Le corpus d’étude comprend une dizaine d’auteurs actifs dans les années 1990 et 2000, parmi lesquels Jasmine Dubé, Gilles Gauthier, Charlotte Gingras, Louise Leblanc, Jean Lemieux, Élise Turcotte.

« L’écriture, la recherche du moi et le rapport mère-fille dans Ce fauve, le bonheur de Denise Desautels », Sarah ANTHONY, Université de Toronto

Décrivant son travail d’écrivain comme une « archéologie de l’intime », Denise Desautels poursuit, dans Ce fauve, le bonheur, une fouille déjà bien entamée des bas-fonds de son passé. Dans un entretien qu’elle a donné à Louise Dupré en 2001, elle avoue que son moteur d’écriture naît du rapport qu’elle partageait avec sa mère – elle écrit à partir de ce nœud. Cette image d’entrelacement entre mère et fille est révélatrice dans plusieurs textes de femmes québécoises et symbolise souvent un rapport nocif, un sentiment d’étouffement, un manque de liberté ou d’agentivité. Mais quel est le rôle de l’image du nœud dans Ce fauve, le bonheur ? Comment se construit le rapport mère-fille dans ce texte ? De quelles façons ce rapport d’altérité affecte-t-il l’écriture et la recherche du moi dans ce récit de Desautels ? En faisant appel à l’étude d’Éric Landowski intitulée Présences de l’autre, j’analyserai dans ma communication les multiples strates que présente la construction de ce rapport d’altérité – une lute à la corde, qui centré autour du nœud mère-fille, tire tantôt vers une indépendance voulue mais revient souvent vers le foyer, vers la mère. Dans le but de sonder toutes les couches de cette altérité, les théories de Landowski (qui tiennent compte du fonctionnement bidimensionnel du concept de l’altérité et des composantes spatio-temporelles et matérielles qui affectent sa construction) me permettront aussi d’étudier le vacillement entre l’espace familial, l’espace maternel et tous autres espaces échappatoires ainsi que les transitions entre le mutisme, le silence et la parole chez la fille.

« Anne-Marie Alonzo et la mater dolorosa », Janine RICOUART, George Mason University

La présentation des rapports d’amour entre femmes accorde une grande place à la maternité et à l’amitié dans l’œuvre de nombreuses auteures québécoises, en particulier Marie-Claire Blais ou Nicole Brossard, entre autres. Handicapée à l’âge de 14 ans, Anne-Marie Alonzo s’est retrouvée très tôt dans un rapport de dépendance énorme vis-à-vis de sa mère pour recevoir des soins physiques de base. Cependant, on verra que ce n’est pas toujours l’enfant qui est dépendant de la mère, mais tout aussi bien la mère qui dépend de l’enfant. Ce rapport intense et exclusif entre mère et fille est décrit de façon émouvante dans des textes tels que Geste (1979), Veille (1982), Une lettre rouge orange et ocre (1984), ou plus récemment et la nuit... (2001), et une étude approfondie de ce rapport à la douleur, au corps et aux soins apportés par la mère nous aidera à déterminer l’étendue et la complexité de ce rapport unique à la mère. Je conclurai en faisant un parallèle entre Cixous et Alonzo pour souligner que Cixous représente peut-être pour Alonzo une figure maternelle littéraire. Des voix critiques telles qu’Adrienne Rich dans Of Woman Born m’aideront à explorer cette question plus en détail.

« Complicité et conflit : mère et fille dans le roman franco-américain », Janet SHIDELER, Concordia College

Pour l’immigrant, l’acte de l’immigration représente souvent une rupture entre son pays natal et son pays d’adoption. Pour Camille Lessard-Bissonnette, pour grand nombre de ses lectrices, et pour son personnage fictif, Victoria Labranche, cet acte représente une rupture entre mères et filles, entre celles qui persistent à habiter, de façon réelle ou nostalgique, la mère-patrie et celles qui font partie de la diaspora. Le roman franco-américain Canuck nous raconte non seulement l’histoire de l’immigration massive des Québécois aux États-Unis, surtout entre 1860 et 1930. Il expose aussi une société en pleine évolution – ou révolution. Comment vivent-elles – mère et fille – ce bouleversement social ? Ayant quitté leur pays d’origine, où les influences archi-conservatrices de l’époque avaient nié l’existence des changements, mère et fille se voient plongées dans une société où la prolétarisation de la femme et la démocratisation de la famille sont des faits accomplis. Leurs réactions et le conflit qui en résulte seront le sujet de cette œuvre de fiction, publiée en 1936, et le point de départ de cette présentation. En même temps, ce roman constitue un hommage rendu à la mère traditionnelle, une suggestion avancée avec tendresse que chaque victoire des jeunes – d’où le nom du jeune personnage principal – dépend des sacrifices de celles qui nous précèdent. Alors, s’agit-il de conflit ou de complicité ?

Session II.   Enseigner la Francophonie II

Présidente : Rose Marie KUHN, California State University, Fresno

Secrétaire : Nicole VAGET, Mount Holyoke College

« Enseigner la culture francophone par le polar », Ira ASHCROFT, Wilfrid Laurier University

Cette communication sur l’enseignement de la culture francophone par le polar se propose de répondre aux questions suivantes : Pourquoi choisir le polar ? Quel polar choisir ? Qu’est-ce qu’on peut enseigner par le polar ? 1) Pourquoi choisir le polar ? Les étudiants contemporains n’aiment plus lire, surtout la littérature classique ; le polar est facile et captivant à lire. Le polar pour se rendre plus crédible, se situe dans une ville réelle et souvent dans notre monde contemporain ; il présente donc les mœurs, les habitudes, la culture d’un lieu spécifique. La langue du polar est généralement la langue parlée, familière, bourrée d’expressions idiomatiques ou populaires. 2) Quel polar choisir ? D’abord il faut choisir le pays qu’on veut étudier, puis chercher un autochtone, auteur d’un polar. Puis il faut s’assurer que le polar soit récent (moins de trois ans). La langue du polar est très importante, il faut donc triller pour trouver le polar le plus approprié. 3) Qu’est-ce qu’on peut enseigner par le polar ? L’histoire, la géographie des anciennes colonies (les DOM et les TOM) et d’autres pays qui sont, ou étaient francophones et qui gardent encore le français comme langue officielle ou culturelle. Les différentes ethnies. La littérature mondiale. La culture pop. La B.D. L’histoire contemporaine ; la situation politique et sociale du pays. Les mœurs et les traditions du pays. La culture classique. La langue : expressions idiomatiques françaises et celles propres au pays étudié. Vocabulaire. Argot. La cuisine. La flore. La faune.

« La pédagogie interculturelle », Mana DERAKSHANI, Saint Mary’s College

L’enseignement de la culture dans les cours de langues reste depuis plusieurs décennies un sujet de discours et de débat dans la communauté d’experts en pédagogie des langues étrangères. Aux États-Unis, l’AATF et l’ACTFL, associations professionnelles d’enseignants de français et de langues étrangères respectivement, ont privilégié la pédagogie de la culture dans leurs descriptions des standards et des étapes auxquels les étudiants de français ou de langues étrangères en général doivent aspirer au cours de leurs études. Les deux documents reconnaissent que, dans un monde de plus en plus divers, les enjeux culturels s’inscrivent non seulement dans la connaissance des spécificités de chaque culture mais dans une approche qui s’engage à former les étudiants à la compétence interculturelle. Dans cette présentation nous envisagerons des questions d’ordre théorique qui cerneront la différence entre l’enseignement de la culture et la formation à la compétence interculturelle ainsi que des stratégies susceptibles de développer ces compétences dans le cadre des cours de français langue étrangère.

« Enseigner la Polynésie française, culture francophone oubliée », Janet FISHER-McPEAK, University of Notre Dame

Ma communication offrira un plan de création pour un cours universitaire portant sur la Polynésie française. Seront présentés : un compte rendu des matières disponibles pour un cours de ce genre ; des textes littéraires et culturels disponibles actuellement sur le marché, avec leurs sources ; les thèmes principaux qu’un tel cours peut inclure, tels que les voyageurs polynésiens, la découverte de la Polynésie par les Européens, l’influence des missionnaires, le système et la culture tribaux (cannibalisme, religion, art, danse, musique), la population chinoise, la Seconde Guerre Mondiale et la base U.S. à Bora Bora, les tests nucléaires français et la Polynésie moderne. Je montrerai des vidéos que j’ai réalisées à Bora Bora, consistant en des entrevues de Polynésiens sur des thèmes variés tels que le « Mahu » ou « troisième sexe », le tatouage et la vie quotidienne sur les îles. Les participants recevront un exemple de programme de cours et une liste de textes, de sources pour les textes, et de sites web utiles.

Session III.   La représentation de la guerre dans la littérature francophone I

Président : Marc BENSON, Collège militaire royal du Canada

Secrétaire : Claire KEITH, Marist College

« L’écriture claudélienne de la guerre », Raymond DELAMBRE, Bibliothèque municipale classée de Mo

Il s’agit de traiter les spécificités des représentations claudéliennes face aux faits de guerre. L’une des hypothèses est que cette écriture ne saurait être simplement descriptive, pour différentes raisons. Premier obstacle à l’écriture de la guerre chez Claudel : la tendance chez lui à poétiser le monde – tant par la forme que par le fond. L’œuvre de Claudel vaut avant tout large assentiment à l’égard de la création. Conjointement, l’écriture de la guerre entre en conflit avec les devoirs de réserve qui pèsent sur le diplomate. En regard, une certaine « idée de la France », laudative pour celle-ci, anime la plume claudélienne et lui enjoint des textes « de combat » où se rencontrent onirisme, optimisme et catholicisme.

« La guerre dans Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy », Yvon LE BRAS, Brigham Young University

Publié en 1945, Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy est considéré à juste titre comme un roman clé de la littérature québécoise qui s’était voulue jusque-là, à quelques exceptions près, comme une littérature édifiante, tournée vers le passé et attachée à la terre. Fruit de l’observation objective, il s’inscrit dans la continuité du réalisme social et du naturalisme français en jetant un éclairage nouveau sur le présent et l’avenir problématique du prolétariat dans un faubourg de Montréal à la veille de la Seconde guerre mondiale. Si Bonheur d’occasion illustre mieux qu’aucun autre roman québécois de cette époque la détresse, le malheur et la solitude qui accompagnent l’existence misérable d’une population urbaine éprouvée par le chômage, la place qu’y occupe la guerre retient tout particulièrement l’attention du lecteur. À la fois thème et intrigue, elle est omniprésente dans ce roman et lui donne un caractère apocalyptique. Symbole de destruction et de calamité, elle se présente aussi comme une chance de rachat et de salut.

« Le conflit dans Neuf jours de haine », Marc BENSON, Collège militaire royal du Canada

Premier roman de Jean-Jules Richard, ancien combattant qui prend la plume peu après son retour du front, Neuf jours de haine relate neuf journées individuelles pendant la dernière année de la Deuxième Guerre mondiale, du débarquement des troupes canadiennes le jour J, c’est-à-dire le 6 juin 1944, au 6 juin 1945 lors de l’occupation des territoires libérés par les alliés. Au cours de ces neuf journées, nous suivons les hauts et les bas d’une compagnie de soldats canadiens, du débarquement à la libération, le tout contre une toile de fond de haine provoquée par le conflit. On parle non seulement de l’évident conflit armé que représente la guerre, cette « cinquième dimension », comme l’appelle Richard, mais aussi des conflits qui en découlent : conflits régionaux et nationaux (les soldats chez Richard viennent de tous les coins du Canada), conflit amour - haine, conflit entre dominateur et dominé et conflit primordial entre la vie et la mort. Je me propose donc dans cette communication d’analyser tous les avatars du phénomène conflictuel dans le roman de Richard afin d’ausculter celui qui les engendre tous : la guerre, cette aberration « génératrice d’héroïsmes, de paradoxes, d’horreur, d’absurdités et de contresens qui remettent mystérieusement en cause les valeurs humaines élémentaires » (Jean-Charles Falardeau, Notre société et son roman). Nous essayerons de déterminer comment la guerre, malgré tout et paradoxalement, s’avère une affirmation de la vie.

Session IV.   Les traces du sacré dans l'héritage littéraire

Président : Terry COCHRAN, Université de Montréal

Secrétaire : Mahité BRETON, Université de Montréal

« Briser le miroir dans Le pur amour de Fénelon », Agnès CONACHER, Queen's University Ville

Dans Le pur amour, Fénelon écrit ne désirer qu’une chose : « que la nature humaine soit anéantie », c'est-à-dire que Dieu soit affirmé comme l’unique grandeur de l’être humain. Autrement dit, c’est comme si Fénelon prévoyait que, dans les siècles à venir, les êtres humains, pris de vertige par leur propre grandeur, allaient oublier de se courber et de se prosterner devant Dieu. Mais au contraire de nombreux mystiques pour qui le renoncement à soi implique s’engager dans une recherche d’un centre intérieur d’où on ressort avec une connaissance privilégiée, pour Fénelon, inspiré en cela par l’expérience mystique de Madame de Guyon, l’union avec Dieu implique renoncer à toute forme de connaissance. Pour Fénelon, qui accepte mal les retours sur soi-même, le mystique doit progresser vers un non-savoir. On montrera que ce non-savoir est ce qui permet d’échapper à une constante réinvention de soi-même, car il aboutit à l’extrême simplicité, au sacrifice du moi, qui ne se réduit pas à la négation, mais plutôt à ce que Slotedijk appelle bi-subjectivité.

« Expériences précoces de l’espace : extases de transfert chez Montaigne », Angela COZEA, Université de Toronto

Pour Montaigne, le but ultime de la philosophie semble se donner dans la forme de la pente facile, de la surface délicate, d’un paysage : voûte céleste, surface de la mer. Montaigne, dans « De l’institution des enfants », dit que la vertu, but de la sagesse, « n'est pas, comme dit l'eschole, plantée à la teste d'un mont coupé, rabotteux et inaccessible. Ceux qui l'ont approchée, la tiennent au rebours, logée dans une belle plaine fertile et fleurissante : d'où elle void bien souz soy toutes choses ; mais si peut on y arriver, qui en sçait l'addresse, par des routtes ombrageuses, gazonnées, et doux fleurantes ; plaisamment, et d'une pante facile et polie, comme est celle des voutes celestes. » J’aimerais interroger ici le rapport au paysage de Montaigne (et de Montaigne vis-à-vis de Nietzsche qui reprend le problème dans une autre optique) dans un double contexte : de la révolution de la cosmologie copernicienne, qui a fait perdre aux êtres humains du monde occidental leur milieu cosmologique, en laissant déverser sur eux le souffle extérieur, avec sa nouvelle froideur ; de la perte de Dieu, celui qui, selon Augustin, pour avoir fait l'homme, pouvait seul le comprendre et le réparer. Je vais considérer ce rapport au paysage comme une des formes de réparation que l’être humain cherche, au sein des temps modernes ; en d’autres mots, comme une figure de transfert.

« ‘Le corps du Christ’ dans les textes de Georges Bataille », Mahité BRETON, Université de Montréal

Georges Bataille est animé par une quête spirituelle qu'il déploie largement dans ses écrits, surtout ceux des décennies 1940 et 1950. Le déclin et le discrédit qui minent la religion laissent un vide qui le trouble et dont on voit la trace dans ses textes. Dans son désir de maintenir le sacré au sein de l'univers humain, il cherche une expérience d'union avec une forme de transcendance qui ne soit ni Dieu, ni la transcendance raisonnable d'un concept, une expérience qu'il décrit toujours comme dépossession et débordement par quelque chose qui le dépasse infiniment. Dans ses divers textes, il la nomme tantôt extase, tantôt expérience intérieure, méditation ou extrême du possible, ou encore opération souveraine. C'est sur des matérialisations de l'esprit humain et, au premier chef, sur l'écriture, qu'il fait reposer cette possibilité d'union avec une forme de transcendance. S'ouvre alors le marécage de l'ambivalence de l'écriture entre dépossession et affirmation. C'est le geste de Bataille, tout ce qu'il doit au christianisme et à certains mystiques ainsi que l'ambivalence à laquelle il se heurte que mon discours propose d'explorer.

« La face du malheur chez Simone Weil », Terry COCHRAN, Université de Montréal

Pendant les dernières années de sa courte vie (elle meurt en 1943, à 34 ans), Simone Weil produit une prolifération de notes éparses, d'essais et de réflexions sur la dimension spirituelle de l'existence. En se penchant sur la spiritualité, elle essaie de saisir l'essence de l'expérience du divin à partir des méditations sur le malheur et la souffrance, sur l'amour et la mort. Loin d'être des considérations froides et analytiques de la transcendance, les textes qu'elle a laissés, comprenant ses cahiers intimes, son autobiographie spirituelle et ses diverses confessions de foi, ressemblent davantage à des écrits composés sous influence, à des écrits « inspirés », souvent transcrits d'une seule coulée comme si l'esprit lui tombait dessus. Dans ma communication, je me propose de lire l'inscription du sacré dans ces textes, de tracer les modalités d'une vision sacrée qui crée un amalgame étonnant entre la transcendance de la tradition chrétienne et celle de la quête spirituelle associée à la philosophie grecque de l'antiquité. Bref, je voudrais réfléchir sur la transcendance dans le cadre de la pensée de la contemporanéité.

Session V.   Cinéma africain : mise au point et perspective

Président : N. André SIAMUNDELE, Colby College

Sécretaire : Joseph E. MWANTUALI, Hamilton College

« Documenter le génocide rwandais : le témoin face à la violence symbolique de l'archive », Alex DAUGE-ROTH, Bates College

En comparant deux documentaires sur le génocide rwandais, je mettrai d'une part en évidence les défis énonciatifs auxquels doivent faire face les survivants du génocide pour parler de leur expérience et, d'autre part, j'analyserai le rôle que nous – les destinataires de ces témoignages – jouons dans la reproduction sociale de ces défis face à une parole qui dérange. Les documentaires de Greg Baker Ghosts of Rwanda (États-Unis, 2004) et de Daniel Lacourse et Yvan Patry Chronique d'un génocide annoncé (Canada, 1997) me permettront d'explorer les conditions de possibilités rhétoriques de la rencontre testimoniale telle qu'elle y est mise en scène. De manière plus spécifique, j'analyserai les implications du statut « ob-scène » de la violence génocidaire face aux injonctions du devoir de mémoire et quelles exigences cette hospitalité mémorielle sous-entend du moment où l'on renonce au monologue de nos mémoriaux pour s'exposer au dialogue dérangeant à l'avènement duquel les témoins œuvrent. Face à la violence symbolique (Bourdieu) qu'exerce toute médiation documentaire, la question est de savoir dès lors comment agencer une visibilité du génocide qui donne la parole aux survivants au lieu de parler en leur nom. En d'autres termes, comment filmer ces voix de survivants pour que ce soient elles qui viennent nous interrompre et non l'inverse. En analysant les « pactes de visionnement » radicalement opposés des deux documentaires, j'exposerai les bases d'une esthétique documentaire capable de déjouer l'interruption du témoin afin que sa parole et l'expérience dont elle est l'indice ne soient plus montrées comme « ob-scènes », mais comme faisant, au contraire, parties intégrantes de notre « scène symbolique ».

« ‘Mikilistes’, ‘Diaspourris’ et pont de lianes », Joseph E. MWANTUALI, Hamilton College

Cette communication partira des œuvres cinématographiques de Tshitenge Sana et de Mwenze Ngangura pour examiner la question de la quête d'identité dans le discours africain de manière générale. Un tel examen nous amènera forcément à discuter de la situation de la critique littéraire en Afrique aujourd'hui, et particulièrement du rapport Nord-Sud. Car, par ce temps de la mondialisation, le « pont de lianes » qui doit être jeté entre l'Occident et les Afriques sera productif ou davantage destructif, selon que les « lianes » auront ou non des racines nourricières.

« Cinéma et conflit identitaire », N. André SIAMUNDELE, Colby College

Je me propose de placer sur l'axe historique, l'effort du cinéma africain de créer une image africaine de l'Afrique. Pour ce faire, j'étudierai des perspectives qui, dans le parcours historique de l'Afrique, ont ouvert la voie à un conflit identitaire. Ainsi à travers trois films Camp de Thiaroye (Sembene Ousmane), Pièces d'identité (Ngangura Mwenze) et Lumumba (Raoul Peck), j'analyserai les questions liées au conflit colonial, à la lutte des indépendances et à l'immigration postcoloniale. Ces trois films me permettront de procéder à une lecture actualisée d'Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Une saison au Congo ; Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs ; Jean-Marie Adiaffi, Carte d'identité.