19ème Congrès à Ottawa-Gatineau

27 Juin - 3 Juillet 2005

Résumés des communications
Lundi 27 juin 2005

 

Lundi 27 juin     10h45 – 12h15

Session I.   Le français en situation minoritaire et le français en situation de dominance

Président : P. Marc LOGUE, Université de Toronto

Secrétaire : Pamela V. SING, Faculté St-Jean

« Écoles et Empire : des débuts de la Francophonie coloniale (1884-1914), le français, arme d’instruction massive », Linda LEHMIL, Tulane University

Bien souvent les études ont présenté une vision monolithique, uniforme, figée et manichéiste de la politique linguistique coloniale, et donc de son instrument privilégié : l’école. La problématique est plus complexe qu’il n’y paraît. Les débats animés sur la (non)-éducabilité et la (non)-nécessité d’instruire « les indigènes » laissèrent place à ceux du choix de la langue d’enseignement. À la conquête territoriale succède la conquête morale dite pacifique bien que linguistiquement belliqueuse. Les guerres linguistiques en francophonie coloniale sont déclarées avec pour arme privilégiée : la langue. Des guerres menées sur plusieurs fronts : non seulement le français comme arme d’instruction massive doit imposer sa suprématie vis-à-vis des autres langues des puissances coloniales mais aussi à l’intérieur de ses propres frontières face aux langues dites « indigènes ». Deux camps se dressent : les pour et les contre l’enseignement des langues indigènes, les pour et les contre la suprématie du français. Deux associations jouèrent un rôle primordial dans le débat sur les langues d’enseignement : la Mission Laïque Française et l’Alliance Française. Cette étude se propose d’analyser les débats autour de la langue d’enseignement, les rapports de force entre langue française et langues locales ; la place et le statut de ces langues notamment en Indochine, au Sénégal et en Algérie. Puis, l’étude se concentrera sur les moyens de propagande déployés par la Métropole pour la mise en place de politiques linguistiques assimilationnistes, associatives, ou encore adaptatives, tout en se penchant sur la position et le rôle de l’Alliance Française et de la Mission Laïque dans cette propagande pour cette francophonie coloniale doublée d’une conquête morale et économique.

« Un certain bilinguisme dans le Far-Ouest canadien : écrire dans la langue majoritaire tandis que la mémoire parle la langue minoritaire », Pamela V. SING, Faculté St-Jean

L’écriture chez les artistes littéraires canadiennes d’ascendance française pratiquant leur art dans le Far-Ouest porte les traces d’une identité divisée : ancrée dans une langue maternelle minoritaire, elle fonctionne parfaitement bien dans la langue majoritaire. Dans ma présentation, il s’agira de textes qui, écrits principalement en anglais, incorporent des éléments de la langue française. Cette dernière a un lien incontestable avec les notions fragiles de communauté et d’authenticité et ses différentes textualisations comporteront divers commentaires sur le concept d’une nation bilingue. Je m’intéresserai à découvrir jusqu’à quel point des passages textualisés dans la langue minoritaire génèrent, prolongent, perturbent ou subvertissent le récit principal écrit dans la langue majoritaire.

« L’exception québécoise : politique culturelle et identité nationale », Sylvie Pascale DEWEY, Kutztown University

Le Québec est une société majoritairement française par sa langue et sa culture. En 1974, l’Assemblée nationale du Québec faisait du français la langue officielle du Québec. La loi 101 si décriée et vilipendée s’inscrit dans un contexte spécial : d’une stratégie de survie l’on est passé à une stratégie de conquête d’une nouvelle identité. D’ethnique le nationalisme est devenu socio-culturel. Le taux de natalité au Québec après les conquêtes féministes étant tombé au plus bas depuis cinq ans, le Québec accueille chaque année quelques 44.000 immigrants. La mixité des cultures donne un nouveau visage à la société québécoise. Le Québec possède aujourd’hui une vitalité artistique hors du commun. Non seulement la culture et les communications occupent-elles une place déterminante dans l’économie mais elles jouent un rôle crucial dans la valorisation et la promotion de l’identité québécoise.

« La langue française : langue dominée, langue dominante », P. Mark LOGUE, Université de Toronto

Dans la majorité des pays de la Francophonie le français est en situation dominée. Il coexiste avec une ou plusieurs autres langues dont les locuteurs forment la majorité de la population. En Suisse, le français est parlé par environ 20% de la population. Au Canada le français est parlé par environ 20% de la population. En France, où le français est majoritaire, il existe d’autres langues, comme l’occitan et le breton, qui sont dominées. Au Québec, le français est parlé par 80% de la population, mais l’anglais y avait dominé avant les années soixante. Quels sont les rapports qu’entretiennent le français et les langues avec lesquelles il est en contact ? Sont-ils des rapports de dominé/dominateur ou sont-ils plutôt paisibles ? En regardant le monde, notre « global village », il est clair que l’anglais prend de plus en plus de l’ampleur. Le français est-il réellement menacé par l’anglais ou les cris d’alarme qu’on entend de temps en temps sont-ils dus au fait que le français a perdu son prestige face à l’anglais ? Je propose de répondre à ces questions en examinant le français comme langue dominante et langue dominée.

Session II.   L'identité en tant que problématique dans les littératures francophones

Président : Jean-Luc DESALVO, San José State University

Secrétaire : Michael O’RILEY, Colorado College

« Pource que rire est le propre de l’Acadien : humour et identité chez Antonine Maillet », Mary Anne GARNETT, University of Arkansas, Little Rock

Dans Rabelais et les traditions populaires en Acadie une jeune Antonine Maillet contrastait la fin violente du conte du bûcheron et de sa cognée dans le quart livre avec celle, plus comique et moins sévère, que la tradition orale acadienne lui a donnée, en tirant la conclusion que cette différence s’expliquait par le caractère du peuple acadien « qui aime mieux rire que ‘brailler’». Au cours d’une conversation avec Zachary Richard en 2001, Maillet a de nouveau identifié l’humour comme un élément constituant de l’identité acadienne, en précisant que le genre d’humour acadien est différent de celui des Québécois. Dans cette communication, nous examinerons le thème du rire et ce qui caractérise l’humour mailletien dans son roman Le temps me dure (2003). Dans ce livre, la narratrice et son double, la jeune fille Radi, remontent le temps, suivant l’évolution du genre humain, et dans une scène burlesque, assistent à la naissance du rire chez les Cro-Magnon, ce qui rappelle à la narratrice les paroles de Rabelais : « Mieulx est de ris que de larmes escrire / Pource que rire est le propre de l’homme ». Nous essaierons de dégager ce qu’il y a d’universel et de particulier dans l’humour acadien tel que Maillet le conçoit et l’exemplifie.

« Julien Green, un Américain à Paris : regards sur l’Amérique », Dominique VAN HOOFF, San José State University

Julien Green tient une place unique dans la littérature francophone. Ses parents, Américains sudistes se sont établis à Paris à la fin du XIXe siècle. Mal intégrés à la société française, ils cultivent en Julien Green une image nostalgique d’un Sud légendaire et poétique qui ne correspond plus à la réalité. Julien Green entretiendra toute sa vie des rapports ambigus avec le pays de ses ancêtres. Il utilisera l’Amérique (le Sud en particulier) comme décor pour de nombreux récits fictifs qui contribueront à sa célébrité de romancier. Ses séjours sporadiques aux États-Unis ne transformeront guère son image première. Julien Green reste tiraillé entre la fascination et le rejet. Il porte sur le pays de ses racines un regard où se confrontent de manière originale les mythes passés familiaux et un jugement qui est le résultat d’une éducation française peu favorable envers un pays dont les valeurs pragmatiques semblent, en apparence, guère propice à une vision esthétique du monde.

« Le spectre, le monument, et la mémoire chez Assia Djebar », Michael O’RILEY, Colorado College

Le spectre, le monument, et la mémoire sont trois figures qui reviennent souvent dans l'œuvre d'Assia Djebar. Cette communication a pour but de regarder le lien entre ces trois aspects de l'œuvre romanesque de Djebar. Comment le monument joue-t-il parfois le rôle du spectre et vice versa ? Comment la mémoire figure-t-elle un spectre qui hante le texte de Djebar et laisse des traces indélébiles tout comme un monument ? Quel rapport entretiennent-ils le monument, le spectre, et la mémoire avec l'Occident et l'Orient dans l'œuvre de Djebar ?

« Les cris du silence chez Claude LeBouthillier », Jean-Luc DESALVO, San José State University

Nous proposons dans cette étude d'analyser le rôle du silence dans plusieurs livres de Claude LeBouthillier, tels que dans son roman, C'est pour quand le paradis..., son recueil de poésie, Tisons péninsulaires, et surtout dans son tout dernier roman, Complices du silence ? Comme nous allons le voir, ces œuvres sont victimes du silence imposé historiquement par les événements tragiques associés principalement au Grand Dérangement et aux « cent ans de silence » du peuple acadien qui a étouffé les voix des Acadiens. LeBouthillier montre que pour de nombreuses raisons les Acadiens ne sont pas encore « sortis du bois », car ils ont toujours besoin de revendiquer leur part et ne peuvent pas rester silencieux.

Session III.   Enseigner la francophonie I : conceptions, observations, réflexions

Présidente : Rose Marie KUHN, California State University, Fresno

Secrétaire : Nicole VAGET, Mount Holyoke College

« Réflexions pour une didactique de la francophonie », Katia MALAUSSÉNA, Université de Genève

Cette intervention explorera les implications méthodologiques d’une « didactique de la francophonie » dans les contextes actuels d’enseignement du FLE. Elle confrontera une réflexion théorique aux résultats de son application pédagogique, à savoir une année d’enseignement d’un cours pilote à l’École de langue et de civilisation françaises de l’Université de Genève. L’objectif immédiat est la création d'un corpus pédagogique répondant aux besoins d’apprenants désirant se familiariser avec la francophonie. Nous réfléchirons plus précisément sur l’idée d’une francophonie interculturelle, une interculturalité multidimensionnelle comprenant la rencontre de la culture-civilisation des apprenants avec celle(s) de la langue étrangère ainsi que la mise en présence des multiples cultures composant l’espace francophone. Notre enseignement actuel exploitant des sources issues de divers champs universitaires (linguistique, littérature, sociologie, histoire et anthropologie), la question de l’exploitation de savoirs pluridisciplinaires au sein de cette « didactique de la Francophonie » sera également développée. C’est aussi la question de l’évolution de la didactique du FLE face au contexte contemporain et aux répercussions de la mondialisation sur la discipline que nous soulèverons puisque vouloir tenir compte à part entière de l’espace élargi de la francophonie, c’est également repenser la géographie du FLE et donner une plus grande visibilité aux quelques 170 millions de francophones répartis à travers le monde. Il s’agira enfin et surtout de partager cette expérience et de susciter une discussion voire à moyen terme une collaboration avec d'autres enseignants impliqués dans des aventures pédagogiques comparables.

« Une expérience d’enseignement des littératures négro-africaines de langue française », Nadjia MERDACI, Université Mentouri, Constantine

Lorsque j’ai créé l’enseignement de littérature négro-africaine de langue française dans le cadre de la licence de français à l’université Mentouri de Constantine en 1985-1986, il s’agissait surtout de marquer une ouverture vers d’autres expressions littéraires de langue française, moins connues que celles du Maghreb. Trois axes situent le projet pédagogique : 1) Histoire. Au-delà d’une reconnaissance – souvent difficile – de littératures négro-africaines peu institutionnalisées, cet enseignement reconstituait dans le champ de l’histoire leur cheminement en marquant la singularité de groupes littéraires nationaux émergents, affranchis de spécificités régionales (anciennes AOF et AEF). 2) Langue. Il fallait expérimenter ce passage essentiel de la langue française et de son potentiel culturel et civilisationnel dans des pratiques littéraires inscrites dans des nouvelles histoires sociales et politiques et de nouveaux espaces suscités par les indépendances. 3) Esthétique. Mon intérêt s’est porté sur le phénomène de l’interculturalité dans ces littératures et sur la prégnance et la confrontation de modèles de représentation (modernité-tradition ; écriture-oralité) et leur métissage bien observable dans les productions actuelles. Depuis la littérature des pionniers des années 1920-1950 dont Lylian Kesteloot (1961) s’attachait à noter l’œuvre féconde de « renaissance culturelle qui n’est ni française ni occidentale », la question centrale des littératures négro-africaines rebondit sur le legs colonial : cette langue française reçue en partage et dont les transcriptions diverses fondent déjà de sensibles frontières identitaires.

« La créativité en classe de FLE », Luca GEORGETA, Inspectoratul Scolar Judetean

À l’heure de la mondialisation les jeunes ont souvent une perception utilitaire du français. Il faut donner libre cours à l’imagination en classe de FLE, libérer l’élève de toute entrave à l’expression libre, verbale ou écrite. L’originalité, la capacité de produire des idées et des images nouvelles, de trouver des solutions non-usuelles est la caractéristique la plus spécifique de la pensée créatrice bien qu’elle soit conditionnée par la flexibilité et facilitée par la fluidité. Pour tous les enseignants une exigence s’impose : développer la motivation à l’apprentissage dans la langue étrangère. Cette tache est extrêmement complexe : il s’agit de créer chez les élèves le besoin et l’envie d’apprendre la langue étrangère, pour compenser l’absence relative de motivation en dehors des contraintes scolaires. Plusieurs moyens ont été proposés à cet effet : partir des situations motivantes qui mobilisent l’affectivité, la responsabilité et la socialisation des élèves ; recourir aux taches ludiques, mobiliser l’humour et la fantaisie ; utiliser comme moyen privilégié le travail en équipe pour créer l’esprit de compétition. Aucun de ces facteurs pris isolément ne peut assurer la performance créatrice. La créativité est un objectif prioritaire de l’enseignement moderne. Pour réaliser ce but les facteurs essentiels sont : « les méthodes, la relation professeur-élève / authentiquement coopération / l’attitude de l’adulte envers l’élève / ouverte et réceptive vis-à-vis des valeurs de sa créativité / et l’atmosphère instaurée en classe par l’enseignant. » (Ana Stoica, Creativitatea… 153). Il faut cultiver le goût de s’exprimer librement par tous les moyens, que ce soit les nouvelles technologies intégrées en classe de FLE, l’utilisation de l’Internet ou tout simplement la conduite innovante du professeur.

« L’avenir des études culturelles francophones : quelle culture enseigner et comment ? », Marilyn E. KIDD, Huron University College

À l’ère de la mondialisation, du multiculturalisme et du métissage à l’échelle internationale, les caractéristiques d’une « culture nationale » deviennent de plus en plus difficile à définir. Le concept de la nation même est en pleine transformation. En Europe et ailleurs les frontières entre les pays sont en train de s’effacer. À l’avenir, les liens qui groupent les peuples ensemble seront-t-ils basés sur des forces économiques plutôt que géographiques, linguistiques ou culturelles ? Alors, le problème se pose : Comment enseigner la culture face à cette diversité culturelle croissante à l’intérieur d’un pays et à l’assimilation constante des influences culturelles nombreuses venant de l’extérieur du pays ? Nous proposons une analyse des critères possibles pour définir la culture ainsi que des méthodes pédagogiques pour l’enseigner en français au niveau universitaire. Nous utilisons comme modèle les pays francophones.

Session IV.   Écrivaines du 21e siècle I

Présidente : Karen MCPHERSON, University of Oregon

Secrétaire : Kandace LOMBART, Canisius College

« Autobiographies de Beurettes : enjeux et défis », Hélène JULIEN, Colgate University

Cette communication sera consacrée à l’examen de deux textes autobiographiques d’écrivaines de deuxième ou troisième génération immigrée maghrébine en France. Nous examinerons en particulier la manière dont ces écrivaines négocient leur position d’entre-deux et définissent un espace où s’inscrivent et s’articulent leurs enjeux identitaires et littéraires. Dans un contexte où l’intersectionnalité des facteurs socio-économiques, culturels, générationnels et géographiques est déjà particulièrement prégnante, l’on se demandera notamment quelle place occupe le genre dans l’acte d’écriture de ces (jeunes) femmes et, réciproquement, quel rôle joue l’écriture dans la négociation de ces facteurs, mais également quel défi elles apportent aux dichotomies traditionnelles (immigré/Français de souche, tradition/modernité, Musulman/Chrétien, femme soumise /femme rebelle, etc.).

« Les transitions subliminales de Lise Gaboury-Diallo », Kandace LOMBART, Canisius College

Dans son premier livre, Subliminales, l'écrivaine franco-manitobaine Lise Gaboury-Diallo écrit : « J’ai aussi écrit de la mémoire et de la frustration née de l’oubli, qui nous empêche parfois de retrouver le passé. » Les auteurs franco-manitobains n’oublient pas leur patrimoine. À travers les aspects subliminaux, transparents, iridescents et diaphanes de ses textes, ce poète dévoile sa voix bilingue. Son écriture poétique indique clairement son respect pour ses aïeules métis. Cette présentation tracera le bilinguisme de sa parole des années 1990 jusqu’à en 2005. Les mots d’un de ses poèmes (« assimilé, assiégé, anglicisé, américanisé, écartelé ? /Silencieux, souterrain, souverain, serein ») révèlent une femme en quête d’une identité à deux langues, une femme qui « cherche à maintenir l’équilibre » entre deux expériences nationales « dans la langue de Molière soit dans celle de Shakespeare. » Dans cette communication, je discuterai les rapports entre Gaboury-Diallo et d’autres écrivaines franco-canadiennes. En citant le lien établi entre la terre et l’écriture chez Gabrielle Roy et Louise Fizet, par exemple, je montrerai que Gaboury-Diallo perpétue une longue tradition littéraire qui rend hommage au paysage dramatique des prairies et aux saisons qui passent d’un froid incompréhensible à une chaleur accablante. Gaboury-Diallo emploie subtilement une voix bilingue qui garde les traces du passé et qui la lie à la fois à ses contemporaines et à ses ancêtres. Tout comme les voix du passé qui hantent ses textes, sa propre voix bilingue énergise son écriture et emporte ses lecteurs/lectrices dans l’avenir, dans une continuation du « speakwhite d’une révolution tranquille ».

« Frontières et seuils à franchir dans Le coulonneux de Simone Chaput », Lise GABOURY-DIALLO, Collège universitaire de Saint-Boniface

Les frontières et les seuils invisibles qu’on érige, déplace ou franchit sans cesse peuvent être à la fois géographiques, nationaux, ethniques, culturels, linguistiques et même sexuels. L’expérience des bornes qui limitent l’être ou le séparent d’une autre réalité est un concept qui se concrétise en la figure de la frontière et, plus récemment, elle se juxtapose à la notion de la dé-territorialisation dans la littérature. Ces nouvelles préoccupations apparaissent dans la fiction contemporaine, et parfois la spécificité univoque du minoritaire se fracture et l’éclatement identitaire est tel qu’il permet l’analyse de « l’altérité cosmopolite » (Harel, Le voleur de parcours) retrouvée dans ces écrits. Chez la Franco-Manitobaine Simone Chaput, auteure de 4 romans et d’un recueil de nouvelles, les échanges transculturels et le voyage initiatique sont privilégiés de sorte que la thématique des frontières (« Grenzen ») et des limites (« Shranken ») (Bennington, « De la fiction transcendantale ») permettent de saisir les attitudes changeantes des protagonistes qui évoluent dans un monde où les points de repère semblent être continuellement modifiés. Dans Le coulonneux (1998) l’errance spirituelle et la transhumance physique vont de pair et la quête personnelle qu’entreprennent trois personnages est narrée par chacune de ces voix distinctes. L’examen des figures métaphoriques du voyage, des frontières et des limites – concrètes ou abstraites – , que doivent traverser (ou transgresser) les protagonistes toujours en marge de la société nourrira notre réflexion sur la question de la fragilité et de la perméabilité de la notion d’identité chez Simone Chaput.

Session V.   Costumes et travestissements dans la littérature coloniale et post-coloniale I

Présidente : Catherine PERRY, University of Notre Dame

Secrétaire : Thomas BRODEN, Purdue University

« Costumes et coutumes : construction d’un savoir (proto-) colonial dans le Recueil de la diversité des habits de François Deserps (1562) », Vincent MASSE, Université de Toronto

Dans la deuxième moitié du 16e siècle, en France et ailleurs en Europe, le genre du « livre d’habits » connaît une fortune considérable. L’un des textes pionniers du genre, le Recueil de la diversité des habits de François Deserps (Paris, 1562), présente, en 140 gravures et autant de quatrains, les costumes des peuples d’Europe, d’Asie, d’Afrique et des Amériques, notamment ceux des « personnages » de l’« expansion » européenne : Africains, Anglais, Espagnols, Français, Indiens d’Inde et d’Amérique, Portugais... Le savoir sur l’autre que propose cette galerie de portraits semble se construire sur le visuel. Quelle frontière s’établit alors – si frontière s’établit – entre la représentation et le (ou la) représenté(e) ? Sont-ils (comme dans le genre contemporain du récit de voyage) posés comme équivalents ? Le savoir livresque offre-t-il au lecteur européen une « maîtrise » sur l’ailleurs ? Une maîtrise sur l’image de soi qu’il projette ? Et quelle est la relation entre costumes [en Latin : habitus] et coutumes [en Latin : habitus] ? Comment la présentation du costume d’un peuple devient-elle révélation d’une vérité sur son comportement ou sa condition ? Bref, quels sont les liens entre costumes et stéréotypes ? Il s’agira donc de s’interroger sur le lien entre une saisie « visuelle » de l’autre (par l’observation du costume ou de sa représentation) et l’invention d’un savoir sur soi et sur l’autre. Lorsque le savoir des apparences s’établit au cœur de la connaissance de l’autre, quelles sont les modalités de la relation entre la mode et l’anthropologie, entre le recueil de gravures et l’entreprise coloniale ?

« Mode, race et identité : l’héroïne de L’amant et Coco Chanel », Thomas BRODEN, Purdue University

Il s’agit de lire les apprêts de maquillage et de vêtements de l’héroïne de L’amant, surtout pour le fameux trajet en car de Sadec à Saïgon, comme un effort d’endosser le rôle de la femme moderne telle qu’elle s’articule pendant la période de l’entre-deux-guerres, et notamment dans l’identité féminine telle que la construit la maison Chanel et sa fondatrice. D’autre part, ce rôle adopté par la jeune créole blanche s’articule au sein de l’économie raciale de la Cochinchine coloniale de l’époque, en l’occurrence par rapport aux blancs pauvres que sont les membres de sa propre famille, au Chinois riche habillé en élégant européen, aux Annamites de moyens modestes (sur le bac) et à la vraie femme moderne élégante qu’est Anne-Marie Stretter dans le texte. Des témoignages du film de J.-J. Annaud appuieront ceux du texte durassien.

« Vêtements et résistance dans la littérature ‘indochinoise’ de l’entre-deux-guerres », Emmanuelle RADAR, Universiteit van Amsterdam

À l’entre-deux-guerres, l’Indochine est soulevée par des attentats et révoltes. Si ces mouvements étaient minimisés dans les informations destinées à la métropole, il faut s’attendre à ce que les textes inspirés d’une confrontation directe avec l’Indochine représentent cette résistance indochinoise. Pourtant, rares sont ceux qui attaquent le problème de front et qui se questionnent sur l’origine de la violence indochinoise à l’égard des Français. Il s’agit surtout de récits à caractère journalistique tels que Viet Nam (1931) de Louis Roubeau ou Indochine S.O.S. (1935) d’Andrée Viollis ou même parfois des romans « militaires », tel que Du sang sur la ville de Jean-Renaud (1921). Cependant, si la majorité des romans « indochinois » ne traitent apparemment pas de cette « résistance » indigène, il n’est pas impossible qu’ils la représentent, mais de manière indirecte. Dans de nombreux cas, tels que Les dieux rouges (1923) de Jean d’Esme, Le retour à l’argile (1929) de George Groslier, ou Le roi lépreux (1927) de Pierre Benoît, le vêtement pourrait être un des indicateurs d’un questionnement sur l’entreprise coloniale, sur le succès de la mission civilisatrice et sur la résistance des « indigènes ». L’analyse de Homi Bhabha sur l’imitation peut nous aider à formuler des hypothèses sur l’importance et le rôle des costumes dans la narration. En effet, si le discours colonial civilisateur est mis à mal lorsque les colonisés portent le costume des Blancs, qu’en est-il lorsqu’un Européen s’habille comme un Annamite ? C’est en analysant les passages où sont décrits des vêtements que je propose de retracer la confrontation culturelle de l’Indochine de l’entre-deux-guerres et d’évaluer s’ils peuvent être considérés comme indices du contexte politique et culturel.

« Le travestissement de soi chez Ken Bugul et Williams Sassine », Priscilla R. APPAMA, Université de Cergy-Pontoise

Le travestissement de soi en tant que formes de construction ou de dissimulation de soi est un thème récurrent dans la littérature dite postcoloniale. Le rapport à soi et à l’Autre ayant été à jamais bouleversé par le phénomène de la colonisation, l’identité du soi ou du moi est devenue problématique. En effet, comment penser/concevoir le soi, comment dire le soi, comment montrer/dévoiler le soi, comment construire le soi..., dans un contexte postcolonial où fonctionne encore la logique binaire qui postule la supériorité du Centre (du colonisateur ou de l’ancien colonisateur) par rapport à la périphérie (du colonisé ou de l’ex-colonisé) ? Nous verrons que dans Le baobab fou (Ken Bugul), l’héroïne, en quête de soi et de la reconnaissance du Centre (colonisateur), va se « travestir » et « jouer des rôles » jusqu’à ne plus se reconnaître. Ce travestissement de soi relève à la fois de l’imitation de l’autre et de la dissimulation de soi. C’est d’ailleurs ce que nous constaterons aussi dans Mémoire d’une peau (Williams Sassine). Le héros qui est albinos a un constant souci de masquer sa « condition » par le maquillage et aussi en adoptant un comportement de « surhomme » qui fait oublier son « handicap ». Ce qui donne l’impression qu’il est constamment en train de jouer un rôle. Ce travestissement de soi par l’imitation et la dissimulation traduit un souci d’identification à un modèle parfait. Les deux personnages confondent donc identification et identité. Ainsi, leur quête d’identité/de soi passera obligatoirement par une étape de perte de soi pour ensuite aboutir à un soi reconstitué, reconstruit, changé, ce qui représente symboliquement l’identité postcoloniale hybride qui se nourrit de toutes les influences...