18ème Congrès à Liège

19-27 Juin 2004

Résumés des communications
Samedi 26 juin 2004

 

Samedi 26 juin              09h00 – 10h30

 

Session I.        La représentation du corps

Présidente : Jacqueline BERNARD-BILLIEZ, Université Stendhal-Grenoble III

Secrétaire : Marie BERNANOCE, I.U.F.M. Grenoble

« L’ars erotica de l’Occident et la pédagogie du corps en littérature française », Gaëtan BRULOTTE, écrivain, University of South Florida

Alors que l’Orient aurait su pleinement élaborer une ars erotica, notre civilisation, en première approche du moins, n’a pas d’ars erotica, écrivait Foucault. Elle en a peut-être eu une dans une très lointain passé, mais c’est une tradition qui se serait perdue et qui aurait été remplacée par l’élaboration d’une scientia sexualis. Or, c’est précisément cette idée selon laquelle l’Occident serait amputé à tout jamais d’une ars erotica authentique que cette intervention souhaiterait tenter de revoir, en montrant l’existence d’une ars erotica bel et bien occidentale et en en retraçant quelques étapes historiques des origines jusqu’à la fine pointe du contemporain à travers la littérature française.

« Littérature et théâtre : deux rapports au corps », Marie BERNANOCE, I.U.F.M. Grenoble

La didactique du texte de théâtre permet d'entrevoir à quel point les vieux clivages entre le littéraire et le théâtral ne résistent pas à un examen du fonctionnement du texte dramatique. Au travers de quelques exemples précis, on essaiera de montrer comment la notion de "voix didascalique" permet de donner corps à la matière des mots.

« La métaphore biologique : un corps-texte cendrarsien », Jacqueline BERNARD-BILLIEZ, Université Stendhal-Grenoble III

 Le corps et l’écriture sont pour Blaise Cendrars des lieux d’exploration qui entrent en synergie. L’acte littéraire qui lance sur la page le bouillonnement de la langue est indissociablement lié à ce corps mortel et douloureux qui se transcende dans la représentation dramatique et métaphorique : par exemple, le bras coupé par un obus aveugle en 1915 devient dans l’œuvre le centre d’un rayonnement infini qui fait participer le corps mortel à une cosmobiologie céleste avec l’Eubage, l’oreille devient le lieu d’un théâtre fantastique dans Moravagine. C’est cette relation fantasmagorique et créatrice d’émotion esthétique que nous parcourrons dans cette intervention.

 

Session II.      La vie est un roman ou les enfances exaucées : littérature de femmes II

Présidente : Jeannine PAQUE, Université de Liège

Secrétaire : Josette GOUSSEAU, Università di Palermo

« L’infini de l’enfance chez Dominique Rolin », Lola BERMUDEZ, Universidad de Cadiz

Chez Dominique Rolin, le roman affiche une fonction thérapeutique d’auto-connaissance ; il s’agit d’un roman « autographique », d’une écriture à la quête de soi, les péripéties dessinant moins le trajet d’une vie que le creusement obsessionnel d’une identité. La mémoire, l’enfance, le passé familial constituent un immense et inépuisable champ narratif où la romancière tient ses assises et que l’écriture permet sinon de découvrir, au moins de mettre à jour, fusionnant parfois comme c’est le cas dans L’Infini chez soi, l’avant et l’après-naissance dans un geste qui tente de débusquer l’au-delà des apparences : « Il faut oser – lit-on dans L’Infini chez soi – Percer. Fendre. Toucher mon avant-vie pour cesser enfin d’être le je que d’ordinaire on suppose être moi ».

« Véra Feyder ou comment s’échapper de la bouche de l’ogre », Domenica IARIA, Università di Messina

Les protagonistes des romans de Vera Feyder sont ses « âmes sœurs ». Comme leur auteur, ce sont des orphelines marquées par la souffrance et l’abandon dès leur enfance, repoussées par l’Histoire, passées d’un collège à un sanatorium... Malades surtout de déréliction, « d’un cancer d’images qu’<elles> ne <peuvent> évacuer de <leurs> pensées », à la fin de leur histoire, elles disparaissent, elles se fondent dans la folie (Eva de La Derelitta) ou dans un gouffre de montagne (peut-être, Alba de La bouche de l’Ogre). Mais le moment de leur dissolution coïncide avec le rachat de leur créatrice. Elles réifient la dissolution de la honte et de la misère d’une enfance et d’une jeunesse pénibles. Contre la réalité, contre les règles des autres, contre la cruauté de l’Histoire, contre la déréliction, ni le rêve, ni la vengeance : seule l’écriture est le véritable acte libératoire, l’unique moyen pour exorciser sa propre histoire, pour recréer une possibilité de vie « normale ».

« Les marges de l’exil : langue, corps et identité chez Nicole Malinconi », Martine RENOUPREZ, Universidad de Cadiz

Comment l’écriture de Nicole Malinconi peut-elle nous émouvoir autant ? Oralité, discours rapporté et effet de réel dans ses romans. Le rapport à l’étranger (la mère), le discours de l’émigré (le père) et les souvenirs d’enfance de l’Italie (la narratrice). Le langage de la raison et le langage de l’émotion. Une écriture laconique, elliptique et répétitive. Le retrait de l’énonciatrice : une distance pudique entre le réel et la littérature. La charge affective des silences et des non-dits. La dignité conférée par l’écriture à la langue des humbles, au quotidien, à la pauvreté, au corps déchu.

« La trilogie de Neel Doff : entre naturalisme et écriture femme », Josette GOUSSEAU, Università di Palermo

Les trois volets de la trilogie de Neel Doff, Jours de famine et de détresse (1913), Keetje (1919) et Keetje trottin (1921) forment une unité, tout en exposant des spécificités diverses. Tout au long de la trilogie, la misère règne en despote, mais la fin du troisième volume accuse la classe bourgeoise d’exploitation sexuelle, ce qui n’était pas le cas des romans précédents. Les rééditions, partielles ou complètes, marquent toutes une étape de la critique consacrée à l’œuvre de Neel Doff. D’abord érigée en exemple de littérature prolétarienne par Henry Poulaille, puis rangée dans la littérature naturaliste par Charlier et Hanse, aujourd’hui l’œuvre peut-être considérée avant tout comme un exemplaire récit de femme à la première personne : roman rétrospectif où l’accent est mis sur l’enfance de la protagoniste, moment où celle-ci décide de s’opposer au destin auquel sa condition sociale semble la vouer inexorablement, et où la narratrice-protagoniste découvre en elle une disposition artistique qui se développera tout au long de son existence jusqu’à l’écriture du livre que le lecteur tient dans ses mains.

 

Session III.     Femmes et institutions culturelles : questions et perspectives

Présidente : Gabriella RICCIARDI, Pacific University

Secrétaire : Françoise NAUDILLON, Université Concordia

« Edith Butler : réception critique d’une chansonnière acadienne à Monréal dans la tourmente de la question nationale québécoise », Maurice LAMOTHE, Université Sainte-Anne

 

« Grandeur et misères : Florette Morand exotique exote », Françoise NAUDILLON, Université Concordia

Florette Morand est aujourd’hui encore la poétesse guadeloupéenne qui a divisé le plus la critique. En même temps qu’elle obtenait une certaine reconnaissance en France, elle était oubliée puis décriée en Guadeloupe, son île natale. Peu d’articles de fond sont consacrés à cette poétesse qui cessa de publier en français en 1967, date de la publication de son dernier recueil : Feu de brousse. Les deux articles de quelque importance qui lui furent consacrés frappent par le contraste et l’opposition dans l’analyse. Jack Corzani, le grand spécialiste de la littérature antillaise, lui consacre en effet une douzaine de pages dans le sixième tome de son ouvrage monumental, tandis que Roger Toumson, le Martiniquais, lui en consacre quatre dans le deuxième tome de La transgression des couleurs. Ce qui frappe à la lecture de ces pages c’est le grand écart dans la réception critique de la poétesse guadeloupéenne, l’une par un critique de France, l’autre par un Martiniquais, pour le premier assez méprisant, pour le second avec un regard plus indulgent. Le parcours de Florette Morand est à mettre en relation avec celui d’autres écrivaines comme Maryse Condé ou Gisèle Pineau. Il s’agit de vérifier s’il existe une spécificité de la critique instutionnelle ou médiatique quant il s’agit des femmes.

« Agnès Varda : le geste modeste de la glaneuse », Gabriella RICCIARDI, Pacific University

Dans l’oeuvre cinématographique d’Agnès Varda la recherche d’équilibre entre le personnel et le politique, la fiction et le documentaire est souvent liée au souci autobiographique. Son documentaire Les Glaneurs et la glaneuse (2000) nous présente les glaneurs d’aujourd’hui et glaner, recueillir par-ici par-là des bribes dont on peut tirer parti, comme un acte politique et artistique. Le geste « modeste » des glaneurs reste « auguste » et le travail d’Agnès Varda, réflexion sur la fiction et la réalité, continue à nous surprendre avec sa poésie et son réalisme. L’analyse des discours de réception du documentaire Les glaneurs et la glaneuse d’Agnès Varda nous permet d’examiner sa place en tant que cinéaste femme dans la production cinématographique contemporaine.

 

Samedi 26 juin              10h45 – 12h15

 

Session I.        Littérature suisse romande au XXe siècle : entre tradition et rupture

Présidente : Sylvie JEANNERET, Université de Saint Gall

Secrétaire : Gilles REVAZ, Université Paris III

« Figures lyriques et féminité dans la poésie romande », Dominique KUNZ-WESTERHOFF, Université de Genève

Poursuivant une précédente étude sur la poésie féminine romande, mon propos adoptera un parcours historique qui me conduira à traverser et relire des œuvres parfois très peu connues, telle celle d’Isabelle Kaiser au début du XXe siècle, et qui aboutira à la poésie contemporaine d’Anne Rotschild, Sylviane Dupuis et José-Flore Tappy. Je m’interrogerai sur les figurations de la féminité qui s’y effectuent, et qui réfléchissent parfois explicitement une situation historique (I. Kaiser consacre ainsi un poème à la nouvelle émancipation féminine, qui n’est pas sans impliquer une auto-critique sur ses propres choix poétiques, voués à un certain canon post-romantique), ou qui s’inscrivent en parallèle à un questionnement ouvertement féministe, chez Monique Laederach par exemple. Sur un mode moins ostensible, je cernerai aussi les images de la féminité que construisent les textes, qu’il s’agisse de la figure de l’auteur (Pénélope, de Monique Laderach) ou des expériences du sujet, voire de leur métaphorisation réciproque (ainsi, la réflexivité du deuil et de la maternité chez Anne Rotschild). Je m’attacherai également à la réinterrogation des mythes de la féminité que déploie le recueil Figures d’égarée de Sylviane Dupuis, et à la valorisation d’activités traditionnellement attribuées aux femmes, qui sont refigurées comme des expériences poétiques, fécondes et révélatrices de l’élémentaire chez José-Flore Tappy. Enfin, il s’agira de voir en quoi ces réflexions poétiques cherchent à redéfinir un rapport à soi, à l’autre et à l’espace réel, notamment à l’espace romand. Au-delà des différences entre ces œuvres spécifiques, c’est un processus de renversement que je voudrais désigner, où ce qui peut marquer la féminité – errance identitaire, expérience de la solitude, marginalité sociale et littéraire – devient un indice fondateur de l’acte poétique lui-même : le défaut de propriété qui hante les expériences du féminin et que désignent souvent ces oeuvres se ressaisit comme le fait même de la figuration littéraire. L’écart à soi-même, n’est-ce pas ce qui constitue le phénomène métaphorique ? Le jeu de l’identité féminine, tel que peut le représenter le texte poétique, se rapporte donc aux fondements du discours lyrique : il effectue la poésie.

« La génération contemporaine et la tradition littéraire romande : entre affirmation et rupture. Le cas d’Adrien Pasquali », Gilles REVAZ, FNS-Université Paris III

Il s’agit de problématiser la rupture apparente de la génération des années 1980 par rapport à la la tradition littéraire dont la génération précédente (famille Galland) semble l’aboutissement. On interrogera la réécriture des auteurs précédents par la nouvelle génération, en particulier le procédé du pastiche dans l’œuvre d’Adrien Pasquali. A partir du modèle théorique élaboré par Papa Samba Diop à propos de la littérature subsaharienne, on proposera une variante de la relation à la tradition en faisant intervenir le paramètre de l’immigration. On réfléchira en outre à la possible intégration de ce paramètre dans la définition d’une poétique « suisse romande ».

« Le roman de formation en Suisse romande : entre continu et discontinu », Sylvie JEANNERET, Université de Saint Gall

Je compte parler du roman de formation dans l’oeuvre romanesque d’Étienne Barilier, avec la figure de musicien comme point de départ. Il s’agit de remonter aux modèles du Bildungsroman représentés par Jean-Christophe de Romain Rolland, ou le Doktor Faustus de Thomas Mann, et en particulier de voir la place privilégiée occupée par Guy de Pourtalès en Suisse romande. Comment se définit le roman de Barilier par rapport à Pourtalès, en termes à la fois de continu et de discontinu ? (J’aimerais montrer la non-appartenance de l’oeuvre de Barilier au contexte littéraire romand contemporain.) Pour mieux cerner la particularité – la non appartenance de cette œuvre au champ romanesque romand des années 1980-2000, j’aimerais dans un deuxième temps la comparer avec les textes de Rose-Marie Pagnard, qui écrit à la fois des romans de formation et à la fois des romans musicaux, tout comme Barilier. L’avantage est de faire découvrir deux auteurs que l’on connaît très mal, tout en cherchant à comprendre pourquoi tous deux ont choisi le roman de formation comme genre romanesque. Je pense que ce sujet n’a pas encore été traité, et le rapport musique littérature m’intéresse beaucoup, tout comme cette particularité de l’oeuvre de Barilier, qui ne touche pas beaucoup de lecteurs, avec son côté classique peut-être et aussi un peu « philosophique ».

Session II.      Écriture et ré-écritures dans l’œuvre de J.M.G. Le Clézio

Président : Thierry LÉGER, Kennesaw State University

Secrétaire : Rose Marie KUHN, California State University, Fresno

« L’Ile Maurice dans l’imaginaire Le Clézien », Bénédicte MAUGUIÈRE, University of Louisiana at Lafayette

Dans mes recherches précédentes, j'ai montré comment l’univers Le clézien était influencé par la philosophie orientale du cycle de vie et de mort en particulier dans La Quarantaine. L’objectif de cette communication est de poursuivre l’étude de la mythologie indienne cette fois plus précisément dans le texte parallèle de la descente du Gange dans la Quarantaine et de voir comment une cosmogonie boudhiste structure le texte.

« Pawana de J.-M. G. Le Clézio : la ré-écriture du récit d’aventure et la rhétorique du malaise », Robert MILLER, Université de la Colombie Britannique

S’initier à la vie dans le cadre de la chasse à la baleine, ce n’est sans doute pas l’idéal des jeunes, même à une époque où les massacres à l’écran cathodique font rage. Étroitement lié au Moby Dick de Melville et à l’Atala de Chateaubriand (voir B. Thibault, 1997), ce récit reprend les fonctions de la quête obsessionnelle et du « rêve indien ». Ce n’est pas un intertexte exclusivement parodique, mais ce n’est pas non plus une reproduction de mythes d’exotisme que vise Le Clézio. Si le jeune narrateur de Pawana, John of Nantucket, part comme mousse à bord du Léonore et témoigne d’un massacre de baleines à une échelle cataclysmique, il s’agit d’un voyage anti-initiatique dans la mesure où il en retient avant tout le souvenir d’un déchirement irréparable. Vieil homme, il doit retourner seul au lieu de ce souvenir afin de commémorer le sens du sacré que son aventure de jeunesse lui avait arraché. Alors que le récit d’aventure offre à ses lecteurs un voyage de découverte, Pawana recouvre, comme d’un linceul, une découverte qui a fait honte à son héros. Les discours environnementalistes et post-coloniaux, réunis symboliquement dans le nom pawana (du cri en langue nattick selon John pour signaler aux chasseurs blancs la présence d’une baleine à tuer), se font entendre de façon indirecte: dans la voix du jeune homme qui avait commis l’erreur d’aimer Araceli, femme autochtone vouée au sacrifice ; et dans la rhétorique du capitaine du Léonore, Charles Melville Scammon, qui exhibe son malaise tout en témoignant de son triomphe sur la nature et sur le harponneur autochtone qui, « sur son ordre », assène le premier coup du massacre des baleines. Chez Le Clézio, qui n’a jamais été a priori l’auteur d’une cause politique, des injustices que la mondialisation cherche en vain à effacer de notre mémoire affleurent mystérieusement à la surface d’une rhétorique narrative dont nous chercherons à dégager les traits principaux.

« Le roman familial dans Révolutions de Le Clézio », Thierry LÉGER, Kennesaw State University

Dans son roman Révolutions, Le Clézio retrace l’histoire à peine fictive de ses ancêtres qui, depuis l’époque de la Révolution et pour des raisons économiques, politiques, et familiales, ont dû abandonner leur pays pour une terre étrangère. En m’appuyant sur la psychanalyse et les travaux de Marthe Robert, je vais analyser la façon dont Le Clézio tente, au moyen de l’écriture et de personnages interposés, de se créer une identité ancrée dans le temps et l’espace. Je conclurai mon étude en montrant comment la majorité des œuvres de Le Clézio s’inscrit dans cette quête identitaire.

 

Session III.     Exils, rêves et retours II

Présidente : Mary McCULLOUGH, Samford University

Secrétaire : Charlène GRANT, Skidmore College

« Slimane Benaissa en ‘outre-mer’ ou dramaturgie en ‘fondu-enchainé’ : d’un exil à un autre », Kamal SALHI, University of Leeds

La dramaturgie de Slimane Benaïssa suit une logique propre à celles qui ont connu le voyage à deux sens entre l’Algérie et la France. Avec sa composition épisodique, anti-illusionniste, un style ludique, une accentuation supra individuelle, et en étroite relation avec son développement politique, cette dramaturgie a évolué dans la cause du changement qualitatif du système post-colonial. La conception de l’œuvre de Benaïssa est fondée sur une interprétation de la technique de l’aliénation, qui s’apparente à celle de Brecht et que beaucoup confondent avec la « distanciation », produisant un style grotesque du verbe, du jeu d’acteurs et de la mise en scène. Cette communication tentera de cerner cet art en tant que nouveau théâtre et intellectuellement de colère. Cette production dite de l’exil est en fait la résultante du mouvement dramatique que Benaïssa a amorcé à partir des contradictions de l’Algérie post-indépendante, poursuivant une trajectoire qui reflète  la logique des rapports harmonieux et/ou antagoniques Franco-algérien.

« À la recherche d’un rêve : Beyrouth à travers les films », Chadia ABRAS, Goucher College

 

« Chants et vies de femmes dans Les Silences du palais de Moufida Tlatli », Agnès PEYSSON-ZEISS, Penn Charter School

Dans son film, Moufida Tlatli présente le cheminement vers le passé d’une femme, dont l’enfance et l’adolescence se sont déroulées dans un palais. Là, la vie de tous les jours de la domesticité est révélée aux spectateurs qui découvrent les vies de ces femmes au service des beys. C’est dans une époque de pré-indépendance que nous entraîne la réalisatrice, vers des temps immémoriaux où les femmes étaient esclaves de leurs maîtres. Mon propos est ici de parler de ces différents types de violences et de souffrances et de voir comment la réalisatrice réinscrit ce passé féminin disparu et se réapproprie ce passé volé à l’aide de la caméra. J’examinerai la façon dont l’auteur aborde l’histoire de ces femmes par le truchement de différents modes de discours. En effet, l’oeil de la caméra projette une histoire au féminin et crée un métalanguage pour étaler à l’écran les souffrances silencieuses de ces femmes. C’est à l’aide de chants et de regards qui supplantent le silence, règle d’or du palais, que la caméra nous dévoile ce qu’étaient les vies de ces domestiques.  C’est ce silence qui devient résistance que j’examinerai, car entre silence et résistance un lien se tisse et les femmes s’expriment alors.

« L’exil dans l’altérité : une analyse des exilées dans les œuvres de Taos Amrouche », Charlène GRANT, Skidmore College

L’œuvre romanesque de Taos Amrouche, qui comprend quatre livres, fait un ensemble qui est présenté sous le titre « Moissons de l’exil ». Bien qu’elle se serve de la fiction pour développer son message en fait autobiographique, c’est en utilisant la technique de l’altérité qu’elle essaie de se comprendre et de se faire comprendre. Cette altérité est bien manifeste dans son roman Jacinthe noire, par exemple, dans lequel sa propre vie est racontée à travers le personnage de Reine, tandis que le « je » de la narration est la voix d’une autre jeune fille qui vient à l’aide et qui devient l’amie de Reine. C’est ce décentrement de soi qui reflète les dédoublements constants dans la vie de Taos Amrouche qu’elle met tout son effort pour comprendre et pour expliquer à travers ses romans. Dans cette communication, je vais essayer de recueillir « les moissons » des efforts de Taos Amrouche pour comprendre ses sentiments d’exil, et d’explorer d’où vient son incessante nécessité de se voir « autre » pour arriver à cette compréhension.

 

Session IV.     Le corps féminin dans tous ses états

Présidente : Yolande Aline HELM, Ohio University

Secrétaire : Julie SOLOMON, Tufts University

« Le corps abject chez Amélie Nothomb », Armelle CROUZIÈRES-INGENTHRON, Middlebury College

La technique de Nothomb ne va pas sans rappeler celle de Rabelais par l’utilisation d’un langage vulgaire et la présence de jeux de mots. Amélie Nothomb affectionne les monstres, les êtres répugnants, énormes, profondément laids, souvent assignés à résidence. Ainsi, la boulimie ou la faim incessante du corps symbolise par une obésité visiblement malsaine la monstruosité de l’être, mène à une lente autodestruction et représente donc une forme de mort. Ainsi, les romans de Nothomb se situent bel et bien « entre le dégoût et le rire, l’apocalypse et le carnaval ».

« Et l’Autre ne bouge pas sans l’Une : Andrée Chedid et le temps du corps », Christiane MAKWARD, Pennsylvania State University

Cette communication propose d’analyser la méditation sur le temps et la conscience du corps dans le temps dans un choix de textes d’Andrée Chedid. On trouve éparses dans l’oeuvre narrative –romans et nouvelles – diverses « épiphanies » du corps : un étonnement joyeux ou tragique dans la perception du corps comme miroir interne du sujet. La mémoire du corps propre passe par le besoin de retrouver la permanence dans l’éphémère, le même disparu dans l’autre perçu au présent. Les saisons de passage, Les Corps et le temps et La Maison sans racines seront particulièrement mis en jeu.

« Plaisirs de danseuse : narcissismes au féminin chez Colette », Julie SOLOMON, Tufts University

Pour Colette la danseuse professionnelle connaît à la fois un plaisir kinesthétique et esthétique, et une jouissance visuelle (être vue, voir le regard des autres qui la regarde, s’imaginer telle qu’elle apparaît aux autres etc.). En même temps, ce corps offert au regard du public est pris dans une autre économie du désir, celui où la femme n’est considérée que comme une marchandise, un objet de plaisir pour l’homme. À partir d’une étude du « moi-peau » (Anzieu) de quelques héroïnes de Colette, et de leur rapport avec le miroir (Lacan), nous approfondirons ici la « plastique » de la danseuse et de toute femme qui vit activement de son corps, dans son corps, en assumant son propre droit au plaisir et à la maîtrise de son « moi » corporel.

« Métamorphoses dans L’Enfant Méduse de Sylvie Germain », Yolande Aline HELM, Ohio University

Cette communication propose de montrer comment Sylvie Germain met en scène les transformations de « l’enfant méduse », victime de sévices sexuels ; son corps et sa subjectivité fusionnent pour devenir sujet et non plus « objet-proie ». La dimension corporelle de la subjectivité est ainsi pensée dans toute sa richesse et dans des termes qui rejettent la pensée binaire et réductrice. Dans L’Enfant Méduse, le corps n’est pas exclu de la constitution de l’être en tant que sujet ; au contraire, sa présence est totalement assumée pour penser la subjectivité. Corps et psyché sont indubitablement soudés dans une trajectoire rhizomatique (au sens deleuzien du terme) qui s’ouvre sur de multiples devenirs de la protagoniste.

 

Samedi 26 juin              14h15 – 15h45

 

Session I.        La représentation de la guerre dans la littérature francophone III

Président : André BENIT, Universidad Autónoma de Madrid

Secrétaire : Chistine TIPPER, University of Exeter

« Journal d’une menace personnelle et de la séparation : relire le Journal de Guerre de Simone de Beauvoir », Éric LEVÉEL, University of Stellenbosch

De la déclaration de guerre en 1939 au début 1941, année du retour de captivité de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir va tenir un journal de son existence dans la France de la Drôle de Guerre, de l’Éxode et des premiers mois de l’Occupation. Ce journal non censuré (ou presque), publié par sa fille adoptive après son décès, mais largement utilisé dans sa forme expurgée dans ses mémoires « officielles », demeure un document littéraire et historique incomparable sur cette période extrêmement difficile pour le France. Cet écrit regorge d’information sur la véritable existence parisienne de celle qui allait devenir le chantre numéro deux de l’existentialisme d’après-guerre à Saint-Germain-des-Prés. Nous y découvrons (comme dans ses lettres à Sartre de la même période qui font l’écho au journal et qui seront également analysées et utilisées dans cette brève étude) un visage différent, amusant et parfois dérangeant de la future romancière et de la jeune philosophe. Nous nous proposons de relire ce journal, encensé par certains, violemment critiqué par d’autres (on pensera à Bianca Lamblin-Bienenfild dans Mémoires d’une jeune fille dérangée et l’historien Gilbert Joseph dans Une si douce occupation) et d’en analyser le contenu en tant que journal d’un individualisme forcené et d’une expérience singulière : celle de la guerre objet de menace, personnelle plus que générale, et de séparation physique et intellectuelle avec les êtres aimés et admirés (au pluriel car il nous faut ne pas oublier Jacques-Laurent Bost, l’amant de coeur). La guerre en tant qu’Autre menaçante, qu’ennemie personnelle et concrète (telle la Xavière de l’Invitée) pouvant détruire avant tout l’édifice fragile et unique d’une existence voulue et construite au jour le jour depuis les années de Sorbonne ainsi que le couple « nécessaire » formé avec Jean-Paul.

« Lucien Descaves et la vie de caserne en France à la fin du XIXe siècle », Michael HARRIS, Virginia Military Institute

La Guerre franco-prusse fut un désastre pour la France de tous les points de vue. L’occupation dura plusieurs décennies avec des conséquences graves pour l’éducation, pour les finances, pour la société française en général, et pour les armées françaises en particulier. L’auteur Lucien Descaves (1861 – 1949) ne connut pas la guerre en tant que combattant, mais il fit son service militaire obligatoire à partir de 1882. Ses expériences dans la caserne le marquèrent vivement, et dès sa sortie en 1886, il se mit à écrire un recueil de petits contes sur les conditions de la vie militaire. Trois ans plus tard il sortit un long roman, Sous-offs, traitant des mêmes thèmes, mais écrit d’un ton encore plus amer. Ces deux ouvrages, le roman surtout, lui valurent une réputation immédiate dans le monde littéraire et au sein du public français. Sous-offs devint l’objet d’un procès dressé contre son auteur et ses éditeurs qui fascina la France entière. La présente communication examinera les deux œuvres de fiction écrites par Descaves, jeune auteur naturaliste, sous l’optique du style et des images. Notre intention sera d’investiguer, non des effets psychologiques de la guerre, mais les effets d’un service obligatoire en temps de paix. Le ton pessimiste des œuvres, leurs images de monotonie et de bestialité, et les récits des abus commis à tous les échelons de l’armée offrirent à la société française de cette époque un microscope d’analyse sociologique. « L’affaire Descaves » fut-elle un premier exemple du malaise sociale qui déchira le pays quelques années plus tard, la célèbre « affaire Dreyfus ? »

« Alain Bosquet et la Deuxième Guerre Mondiale », Christine TIPPER, University of Exeter

Alain Bosquet s’est battu pendant la Deuxième Guerre mondiale, d’abord dans l’armée belge, ensuite dans celle de la France et finalement pour l’armée américaine. En premier lieu, je voudrais regarder le climat en France en 1952, quand La Grande Éclipse fût publié, en examinant les mythes de la Résistance et du Général de Gaulle. C’est exact qu’au début de sa carrière d’écrivain il a écrit des romans ayant comme thème la guerre et il est certain qu’ils reflétaient ses propres expériences mais à travers des personnages fictifs. Il est très probable que son premier roman, La Grande Éclipse, fût autobiographique mais à l’époque il n’osait pas l’admettre parce qu’il venait d’arriver à Paris et ne voulait pas compromettre son insertion dans le monde littéraire. Il faut remarquer que ce livre fit scandale en 1952. En second lieu, je regarderai la situation littéraire en France en 1984 et la réputation de Bosquet à cette époque. Je voudrai parler de son roman autobiographique, Les Fêtes cruelles, où il raconte ses expérience personnelles en tant que soldat. Quand il a publié Les Fêtes cruelles en 1984 sa réputation était établie depuis des décennies et il ne craignait plus de se voir écarté du monde littéraire parisien en avouant l’authenticité de l’expérience vécue de son récit. Puis, j’examinerai le contenu de ce roman autobiographique et sa représentation de la guerre. Enfin, je demanderai pourquoi il a tenu à présenter une image si cruelle de cette période de se vie. Est-ce que ses racines juives ont joué un rôle, à moins que ce ne fût la mort de son grand-père juif aux mains des Nazis ? En conclusion, il me parait important de connaître l’œuvre d’un des hommes rares du monde littéraire de France qui a vécu la guerre en tant que combattant.

« La geste des brigadistes internationaux dans la littérature francophone de Belgique », André BENIT, Universidad Autónoma de Madrid

La Guerre d’Espagne provoqua un véritable séisme dans le monde politique et la société belge. Témoin de cet intérêt pour ce que Stanley Weintraub nommera « The Last Great Cause », l’engagement de nombreux citoyens belges dans les Brigades internationales et l’écho du conflit espagnol dans la littérature belge d’expression française, fréquemment qualifiée d’ahistorique. Dans cette communication, nous nous centrerons sur la façon, positive ou négative, dont les romanciers francophones de Belgique reflétèrent dans leurs œuvres de fiction le phénomène des Brigadistes internationaux.

 

Session II.      Littérature libanaise francophone II

Président : Antoine SASSINE, Collège Mont Royal

Secrétaire : Arzu ETENSEL ILDEM, Université d’Ankara

« Arabia Brasilica ou le Liban d’où je viens s’appelle Brésil », Alberto SISMONDINI, Universidade de Coimbra

Peuplé de presque six millions de ressortissants d’origine libanaise, le Brésil a depuis toujours compté parmi ses intellectuels plusieurs écrivains fils de l’émigration, provenant du pays des Cèdres. Si l’activité de cette première génération, à savoir celle d’Akel El Jorr, Mussa Kuráiem et Chafic Maluf, a eu une diffusion limitée, c’est aujourd’hui que l’on assiste à une consécration internationale, notamment grâce à Raduan Nassar et Milton Hatoum. Cette communication vise à présenter certains aspects de l’œuvre narrative des deux auteurs cités auxquels sont joints les ouvrages de Salim Miguel – journaliste, écrivain et mémorialiste de la diaspora libanaise au Brésil – et à les confronter avec ceux des romanciers Farjallah Haïk, Amin Maalouf et Sélim Nassib. Bien lisible dans les textes de tous ces écrivains, la fonction de l’oralité dans le procès de création et de réélaboration des sources littéraires – notamment Les Mille et une nuits, les Rubayyàt de Omar Khayyàm, ansi que des compositions de Hafiz et de Saadi – est l’objet d’une analyse fort importante dans notre travail. Si l’on considère les personnages de fiction, le cosmopolitisme des héros de Maalouf ou l’intégration dans le nouveau monde témoignée par Miguel contrastent avec les « clandestins » de Sélim Nassib ou les « rejetés » de Raduan Nassar, Farjallah Haïk et Milton Hatoum, qui curieusement utilisent la même forme de sédition, c’est-à-dire l’inceste, pour exprimer la révolte contre le destin ou le système familial, miroirs d’une société injuste. Même s’ils évoluent dans des hémisphères différents, les auteurs concernés suivent des parcours souvent parallèles qui les mènent au-delà de l’apparence des choses, vers des essences insaisissables. On peut affirmer les étroits liens d’affinité entre les deux groupes d’écrivains, qui participent à une même culture.

« Fantasme de départenance et désir de communauté dans l’imaginaire d’Andrée Chedid », Nadia HARRIS, American University, Washington D.C.

Michel Serres avoue être poussé par « une forte propension » à « ne pas faire partie de » … car cela lui paraît requérir « d’exclure et de tuer ceux qui n’appartiennent pas à la secte » (cité in Mirelle Rosello, Infiltrating Culture. Power and Identity in Contemporary Women’s Writing, 1996, p. 17). Cette tendance que Mireille Rosello dénomme fantasme de départenance est très présente dans l’univers chedidien. Elle habite des personnages aussi divers que la pitoyable héroïne du Sommeil délivré, le pharaon hérétique Akhnaton, Aléfa, la femme-bouffon aussi bien que le voyageur de la nouvelle de science-fiction intitulée « L’Homme-tronc et son voyageur ». Ces mêmes personnages sont toutefois activement impliqués dans la création de communautés nouvelles qu’ils substituent à celles qu’ils ont rejetées. J’analyserai les diverses manifestations du fantasme de départenance dans l’univers chedidien ainsi que les communautés de substitut vers lesquelles le personnage réoriente son allégeance. Les questions que je me poserai sont les suivantes : Comment ces communautés nouvelles se construisent-elles ? Quels sont leurs fondements ? Quel rôle l’appartenance à ces communautés d’élection joue-t-il dans la construction identitaire du personnage ?

« La ville comme creuset à la quête identitaire dans Le Message d’Andrée Chedid », Marie-Michelle MELOTTE, Université de Calgary

La ville/l’espace urbain a longtemps existé comme canevas sur lequel se déploie la multiplicité des différences, des cultures, des expériences, des ethnies et des trajets de vie qui la/le compose. Son paradoxe gît dans le fait qu’il peut y avoir proximité de différences sans pour autant y avoir intéraction entre ces différences. Dans un contexte où cet espace n’est plus fonctionnel, où son progrès comme son infrastructure a été détruite, il y a un certain revirement souffert au paradoxe. L’espace urbain dans Le Message (2000) d’Andrée Chedid n’enregistre plus les va-et-vient inconscients et multiples d’habitants circulant selon des horaires et des buts propres et variés. Ici, tout trajectoire s’effectue consciemment, la quête identitaire personelle s’engendre seulement par l’intermédiaire de plusieurs Autres. Traverser la ville en décombres devient un déplacement à travers l’espace, l’histoire, la mémoire, le temps et les vécus divers des personnages. La réalité de la ville, comme celle des personnages, existe malgré leur statut en proie à la disparition. Le dépérissement devient prétexte pour un renouveau de vie. Les « coquilles vides » (Sherry Simon, Hybridité culturelle) du personnage mourant et de la ville détruite deviennent justement des incubateurs à la renaissance, à la re-création et aux retrouvailles.

« Amin Maalouf, la poétique du voyage dans Les Échelles du Levant », Arzu ETENSEL ILDEM, Université d’Ankara, et Vassiliki LALAGIANNI, Université de Thessalie

Les Échelles du Levant sont les étapes au sens propre et au sens figuré, d’un voyage entre l’Orient et l’Occident, d’une vie pleine d’aventures et d’un balancement entre la raison et la folie. Le voyage commence à Istanbul et se termine à Paris. Aux émeutes qui éclatent dans l’Empire ottoman agonisant font écho les affrontements qui accompagnent la naissance d’Israël. Le narrateur parcourt les chemins de la France occupée et du Liban sombré dans la guerre civile. Le but de ce travail est d’étudier la poétique du voyage, de tous ces voyages qui tissent la trame du roman intitulé Les Échelles du Levant d’Amin Maalouf.

 

Session III.     Identité et hégémonie : perspectives francophones II

Président : Timothy SCHEIE, Eastman School of Music

Secrétaire : Rebecca SAUNDERS, Illinois State University

« L’Andalousie dans l’imaginaire francophone », Rebecca SAUNDERS, Illinois State University

Lieu à la fois réel et rêvé, l’Andalousie est le symbole d’une coexistence harmonieuse de populations et de religions (arabe, berbère, juive, mozarabe, catillane, aragonaise et mudéjar), d’une civilisation savante et raffinée, d’échanges intellectuels remarquables, et d’un épanouissement des arts, des sciences, et du commerce. Elle est aussi la marque indélébile de la culture arabe en Europe, aussi bien qu’une complication énorme à la théorie post-coloniale. Ce carrefour géographique, qui est aussi un problème théorique, est le cadre d’un chapitre particulièrement riche dans le roman de Tahar ben Jelloun, L’Enfant de sable. Ce chapitre, qui s’apelle « La nuit andalouse », est d’un intérêt particulier du point de vue de certaines questions fondamentales portant sur le phénomène du colonialisme. Dans cette communication, je propose d’analyser les niveaux complexes de ce chaptire où un ecrivain venant d’un pays colonisé par la France (le Maroc) essaie de dégager, en français, le sens profond de ce pays (qui fait partie à la fois de l’empire mauresque et de l’empire espagnol) en le faisant narrer par un autre écrivain (Jorge Luis Borges, « le troubadour aveugle ») qui, lui, vient d’un pays colonisé par l’Espagne (l’Argentine). Quelle est l’importance du fait que l’image de l’Andalousie a joué un rôle important dans la colonisation des Amériques (y compris l’Argentine) et, plus tard, de l’Afrique (y compris le Maroc) ? Quel signifiance faut-il trouver dans le fait que Borges se fait guider par une femme qui s’appele Zahra, nom de la ville palatiale construite par Abd al-Rahman III au dixième siècle et presque complètement détruite par les forces chrétiennes de la Reconquista ? Quelle est la signification du fait que l’action de ce chapitre, dont le décor se situe aux carrefours culturels de trois continents, se déroule dans un espace indéfini entre le rêve et la réalité ?

« Le mythe d’un théâtre national à l’ère de la globalisation », Timothy SCHEIE, Eastman School of Music

Aux années 1950, les intellectuels disputent le caractère populaire du théâtre français. Pourtant, ils scrutent moins sa portée nationale, au moment même où l’immigration et la décolonisation demandent une reconsidération de la nationalité française. Entre 1953 et 1960, Roland Barthes écrit plus de 70 articles sur le théâtre. Barthes constate l’importance d’un théâtre populaire tout en se méfiant des invocations de la « nation française ». La tension qui soutend les écrits de Barthes sur le théâtre, surtout sur le Théâtre National Populaire de Jean Vilar, sert de nos jours à critiquer tout théâtre qui risque d’exclure certains spectateurs sous le standard de « l’universel ».

« Le discours gastronomique : mise en scène et surveillance », Apostolos LAMPROPOULOS, Université de Chypre

Dans cette communication, nous traitons de quelques thèses de Brillat-Savarin (Physiologie du goût), de Martin Melkonian (De la boulimie et de la privation) et de Claude Fischler (L’Homnivore). À cet effet, nous nous penchons sur le concept de la surveillance tels qu’il est développé par M. Foucault dans Surveiller et Punir : naissance de la prison, ainsi que sur quelques arguments que M. Ellmann emploie dans The Hunger Artists : Starving, Writing and Imprisonment. Nous pensons que les trois textes examinés portent sur les discours gastronomiques plutôt que sur la nourriture même. Notre propos est donc de montrer que ces discours gastronomiques y sont conceptualisés comme une mise en spectacle persistante, prégnante et relative aux conceptualisations opérées dans le domaine proprement littéraire. Plus précisément, nous allons examiner : Premièrement, l’idée récurrente que le discours gastronomique est une sorte de « metteur en scène » : qu’il s’agisse des textes historiques, sociologiques ou philosophiques, c’est lui qui fait émerger la « réalité » gastronomique à partir des témoignages personnels, des traités d’alimentation, des livres de recettes, des textes littéraires, etc. Il est important de voir comment ce méta- ou méga-récit critique re-narre et re-compose plusieurs micro-récits gastronomiques relativement autonomes. Deuxièmement, le panoptisme, autrement dit l’idée que le discours gastronomique fonctionne comme une caméra d’amateur, donc surveille et hante ses propres sujets (les individus ou les personnages boulimiques ou anorexiques). C’est surtout au moyen du discours gastronomique que ces sujets sont supposés atteindre un maximum d’ouverture. Les communautés ou les individus mangeants établissent leur identité et l’exposent en abandonnant leur autisme et en s’adonnant à ce gastrocentrisme public. Le boulimique et l’anorexique sont ainsi dé-victimisés et font de leur exhibitionnisme une expérience bouleversante (le discours gastronomique ressemble à une auto-pornographie) et ambiguë (il fait comme s’il « dévorait » son sujet, donc comme s’il était une forme de cannibalisme).

 

Session IV.     Pauvre Belgique ?

Président : Serge BOURJEA, Université Paul-Valéry Montpellier III

Secrétaire : Marie JOQUEVIEL-BOURJEA, Université Paul-Valéry Montpellier III

« ‘Sahara de prairies’, ‘horizons de forges rouges’, ‘gais chemins grands’ : les Impressions belges de Paul Verlaine », Esa C. HARTMANN, University of North Carolina, Greensboro

 

« MC Verheggen, rappeur belge », Éliane DALMOLIN, University of Connecticut

Si l’on interrogeait les textes de Jean-Pierre Verheggen pour en savoir plus sur la francophonie on aurait bien du mal à rester dans les limites d’une discipline purement académique tant la « poésie » qu’il y pratique convie plus le son, le rythme et le souffle du jongleur de mots qu’est le chanteur de rap que ceux du poète classique. Poète physique et jubilatoire, nous verrons comment il s’apparente mieux à la pratique du rap qu’à celle de la table de lecture. Pour Verheggen, être francophone, être belge, serait toujours déjà une façon d’aimer la langue, les langues du Français, autrement.

« La poésie au miroir de la Belgique », Marie JOQUEVIEL-BOURJEA ; Université Paul-Valéry Montpellier III

Terre d’exil pour les uns (Baudelaire), pays de passage pour les autres (Rimbaud, Verlaine), lieu de naissance définitivement quitté (Michaux) ou tendrement aimé (Odilon – Jean Périer), la Belgique entretient d’assidus bien que singuliers rapports avec la poésie de langue française de notre modernité. Comment définir cet ailleurs de la langue qui n’en est pas un ? Quel(s) miroir(s) la Belgique tend-elle à la poésie française ? Quel besoin pour les plus grands parmi les poètes d’en passer par (d’en découdre avec) « elle » – ce qui se cache pour eux sous l’appellation « Belgique » ? Que révèle la Belgique à la langue française ?

« ‘Le visage recouvert d’un drap’ – René Magritte et la représentation de l’impossible », Serge BOURJEA, Université Paul-Valéry Montpellier III

Né l’année de la mort de Mallarmé, Magritte connaîtra le déchirement des deux guerres mondiales. Son œuvre est caractérisée par de brusques changements de style, le mélange ou le croisement des genres (poésie, musique…), et l’obsession de la représentation impossible par définition : celle de l’unique. C’est en fait à l’impensable même – c’est à dire à la mort – que cette œuvre ne cessa d’être affrontée… Dans cette idée, on analysera l’usage et les pouvoirs du « polyptyque » (du « tableau multiple »), comme procédé privilégié de la représentation picturale dans cette œuvre.